Prenez un Président. Son coiffeur, son portraitiste, son chef de cuisine. Placez le tout dans une capitale balnéaire. Remuez ce petit monde à la routine bien rodée par un coup d’État militaire. Vous obtiendrez un cocktail surprenant mêlant pouvoir, désir, séduction et surtout, trahison. C’est ce que propose Ceridwen Dovey, jeune sud-africaine, dans ce récit perspicace, « Les liens du sang », qui plonge dans les rouages du despostisme.
Quand le coup d’État survient, le coiffeur, le portraitiste et le chef de cuisine sont bien attrapés. Jusque-là, la vie était facile. Dommage pour eux, le Commandant, nouveau maître des lieux, les retient prisonniers.
En attendant de savoir à quelle sauce ils vont être mangés, les trois travaillent du ciboulot. Ils évoquent les années passées auprès du tyran. « Son » portraitiste était convoqué tous les deux mois pour peindre un visage qu’il avait appris à connaître par cœur. « Son » coiffeur préparait avec soin son rendez vous quotidien avec le Président « très méticuleux à propos de ses cheveux, ainsi qu’à propos des poils de son nez et de ses oreilles ». « Son » chef de cuisine savait combien le Président aimait le plateau de fruits de mer de son brunch dominical, et laissait consciencieusement se détendre les ormeaux vivants avant de leur assener le coup fatal sur le sol de la cuisine. A des postes aussi proches du pouvoir, le moindre geste - cuisiner, coiffer, raser, … - peut se transformer en acte politique. Que nenni ! Chacun vaquait tranquillement à ses occupations au service du Président… sans vraiment réfléchir à la nature du régime en place.
Mais peu à peu, le Commandant prend ses marques. Les meubles de celui qu’il a destitué sont assez confortables. Alors pourquoi ne pas continuer avec une équipe qui gagne ? Le coiffeur, le portraitiste et le chef de cuisine reprennent leurs postes et gagnent sa confiance. L’un d’eux ira-t-il au bout de ses désirs de pouvoir ?
Le coiffeur, le portraitiste et le chef de cuisine sont tour à tour narrateurs d’une œuvre qui ne ressemble pas tout à fait à une fiction tant le despotisme est universel. La fiancée du frère du coiffeur, l’épouse du portraitiste, la fille du chef de cuisine racontent aussi. Et quand les femmes s’en mêlent, on comprend mieux le sens du mot « trahison »… Une fable à plein de voix que Ceridwen Dovey a bien fait d’écrire dans un style neutre. Il dresse un portrait universel du despotisme. Il renforce l’horreur et la bassesse des trahisons.