Ou comment par la grâce, d’une loi assez répressive en matière de liberté de la presse, un livre d’enquête, « Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique », est en passe de devenir le bouquin le plus cher du monde. De quoi faire couler des milliers de litre de sirop d’érable…
Trois auteurs associés à un petit éditeur québecois se sont lancés au printemps 2008 dans une aventure périlleuse.
Ayant rassemblé et recoupé une foule d’informations solidement étayées –déjà dans la sphère publique – par des livres, des rapports d’agences de l’ONU, de grandes ONG, des documentaires, etc, l’universitaire Alain Deneault et ses assistants ont commis un véritable crime de lèse–image de l’industrie extractive canadienne. Et plus largement, portent atteinte à la bonne conscience des élites politiques et économiques du pays. Les auteurs font voler en éclats le mythe du gentil canadien venu aider de manière désintéressée les pauvres Africains à valoriser leurs ressources naturelles.
En publiant, chez Ecosociété, Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique, les auteurs et l’éditeur sont tombés sciemment sous le coup d’un redoutable instrument juridique qui, au Québec, répond au doux nom de poursuite bâillon, également connu dans les provinces canadiennes anglophones et aux Etats-Unis sous les initiales SLAPP (Strategic lawsuit against public participation).
La principale compagnie aurifère mondiale, la Barrick Gold, vient d’entamer, à Montréal, cette procédure qui présente pour le demandeur un immense avantage : nul besoin, pour faire payer l’adversaire, d’attendre d’obtenir d’un tribunal une condamnation pour diffamation. Les frais de justice sont exigibles dès l’ouverture de la procédure. Barrick Gold réclame 6 millions de dollars canadiens. De son côté, l’entreprise ontarienne Banro, alors que Noir Canada n’est même pas traduit en anglais, réclame à Toronto 5 millions de dollars canadiens, soit en tout, environ 7 millions d’euros … Ce qui ne va pas tarder à faire de Noir Canada le livre le plus cher du monde !
En Afrique, les minières canadiennes se sont principalement illustrées, ces 20 dernières années, dans trois pays : la Tanzanie, le Mali, et surtout la RDC (République Démocratique du Congo). Au-delà des spécificités propres à chaque gisement et à chaque Etat, les exploitants canadiens sont toujours parvenus à minimiser les redevances fiscales dans des proportions époustouflantes. Les populations voient ainsi leurs richesses naturelles non renouvelables disparaître sans en tirer de revenus, tout en étant victimes de graves atteintes à l’environnement, avec son cortège de stérilisation de terres arables et souvent d’empoisonnements (il faut beaucoup de cyanure pour extraire quelques onces d’or).
Autre caractéristique commune aux activités extractives canadiennes en Afrique, l’appui, voire la participation de la Banque mondiale et de son bras financier la SFI (Société Financière Internationale) à ces spoliations. Appartenir au G7 ne va pas sans quelques retombées…D’autant que les firmes minières savent faire entrer à leurs conseils d’administration d’anciens premiers ministres canadiens comme MM. Mulroney et Martin, et même l’ancien président américain, George Bush senior. Voilà qui facilite le recours aux forces de l’ordre locales pour sécuriser les sites d’exploitation, chasser brutalement les creuseurs, ces indigènes qui tentent de survivre en grappillant artisanalement quelques miettes de minerai à l’intérieur des immenses périmètres que se sont fait attribuer, pour une bouchée de pain, les industriels canadiens auprès d’administrations corrompues.
Plus grave encore, dans les provinces de l’Est du Congo, Ituri, Nord et Sud Kivu, du milieu de la décennie 90 jusqu’à nos jours, des entreprises canadiennes ont contribué significativement, par leurs financements et/ou livraisons d’armes, aux divers affrontements et massacres – estimés à 4 millions de morts – perpétrés par les armées et milices qui se disputent les gisements de ce miracle géologique qu’est l’est du Congo.
Noir Canada détaille les complexes jeux d’alliances ayant permis, avec notamment les armées rwandaise et ougandaise, de renverser le dictateur Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. En association avec d’autres opérateurs, des entreprises canadiennes ont alors dépecé la société minière d’état Gecamines, accaparant au Katanga pour des sommes modiques les secteurs miniers les plus rentables.
Pas étonnant que les fleurons de la bourse de Toronto s’efforcent de faire taire les auteurs de Noir Canada. La menace que représente la poursuite baillon a, jusqu’à présent, dissuadé tout éditeur de publier une version anglaise de cet implacable réquisitoire. La presse et l’opinion publique du canada anglophone risquent d’ignorer encore longtemps les bienfaits que dispensent les industriels canadiens en Afrique. C’est, comme le soulignent les auteurs, en faisant appel à l’épargne d’un public soigneusement désinformé que ces agissements sont possibles. Au Québec, une campagne citoyenne est en cours pour abolir la poursuite baillon.
Cette législation présente tant d’avantages, pour les grands opérateurs d’une économie mondialisée, qu’elle pourrait bien, sous des formes adaptées, atterrir en Europe. L’omni-président Sarkozy , si proche de tant de puissants patrons, pourrait discrètement tenter l’expérience en France. A la faveur d’un Grenelle de la presse ?
Ah quand candide tombe du nid !
quelle part de l’économie réelle canadienne est dopée par des dollars des mines ? La majorité surement… retournons nous vers les filères courtes, coopératives, mutuelles : les puissances de l’argent sont trop fortes devant nos élus ( qui ne sont pas achetés mais cèdent souvent devant les menaces du types, "tu fais ça, je délocalise", ou pour la raison d’Etat, protégeant de fait des pratiques néocoloniales vicieuses)