Une virulente campagne anti-Chirac, des Roumains gênés aux entournures, une classe politique libanaise toujours plus divisée … L’incident diplomatique qui a éclaté cette semaine entre Paris, Beyrouth et Bucarest fait boule de neige.
A l’origine de ces tensions : la non-invitation par les Roumains du président libanais Emile Lahoud au Sommet de la francophonie qui se tiendra à Bucarest les 28 et 29 septembre.
Surprenant, mais c’est bel et bien le Premier ministre Fouad Siniora qui a été convié à sa place pour représenter la délégation libanaise au Sommet. Une bourde dans l’envoi cette semaine des cartons d’invitation ? Que nenni. Plutôt une belle claque diplomatique infligée au Président libanais qui s’est empressé d’accuser son homologue français d’être derrière la décision roumaine et de « s’ingérer une fois de plus dans les affaires internes au Liban ». Si le Quai d’Orsay n’assume pas cette responsabilité, il affirme par la voix de son porte-parole, Jean-Baptiste Mattéi, que la France « ne désapprouve pas » la décision de la Roumanie. « Ce n’est pas la personnalité de Lahoud qui est en cause mais un souci de cohérence entre les positions prises dans le cadre des Nations Unies et celles de la Francophonie », explique Mattéi, rappelant que Lahoud n’a, aux yeux de la communauté internationale, plus de légitimité depuis que son mandat présidentiel a été prorogé de trois ans en septembre 2004, prorogation imposée par le Syrien Bachar el-Assad avec un culot inouïe puisqu’en violation de la Constitution libanaise et de la résolution 1559 du Conseil de Sécurité qui avait été votée à l’initiative de Paris et Washington.
Au Liban, le camp prosyrien se déchaîne contre Jacques Chirac, l’accusant « d’avoir tout fait durant ces derniers mois pour isoler son homologue libanais », notamment par le biais de « ses liens avec la famille Hariri (l’ancien Premier ministre libanais assassiné, ndlr) ». Le président Lahoud éructe contre « les considérations personnelles » qui sont à l’origine de la politique chiraquienne. Le général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre (CPL), dénonce, lui, la logique qui a conduit à la mise à l’écart de Lahoud : « Conformément à cette logique, il faudrait que nous ignorions le Président français qui, selon les sondages, ne bénéficie de l’appui que de 17 % des Français. Devons-nous dire aux Français que leur Président ne représente pas la France, et donc qu’on ne traite pas avec lui ? C’est une logique archaïque. »
Plus étonnantes voire surréalistes sont les réactions de certains membres du Courant du 14 Mars, le mouvement anti-syrien né du Printemps de Beyrouth. Saad Hariri qui, coïncidence, se trouvait mercredi à Paris, reste, lui, sur sa ligne et a légitimé la mise à l’écart de Lahoud par le respect du droit international. Mais au Liban, il faut croire que le repli communautaire l’emporte toujours, au détriment d’une politique cohérente : une partie du bloc maronite de la majorité a préféré défendre Lahoud becs et ongles. Ainsi, ceux-là même qui, comme toutes les composantes de la majorité, avaient expressément souligné, à l’adresse des Chefs d’Etat arabes, l’illégitimité et la non-représentativité de Lahoud au moment du Sommet de Khartoum en mars dernier, sont aujourd’hui solidaires du Président libanais, de peur, dixit un communiqué de l’Eglise maronite, que « cette affaire marginalise le rôle politique des chrétiens » - la fonction de Président de la République du Liban étant toujours dévolue à un chrétien, et celle de Premier ministre à un musulman sunnite. Un Premier ministre qui pour l’instant cherche la parade pour ne pas aller au conflit avec la Présidence. Fouad Siniora botte en touche et ironise sur le fait qu’étant « anglophone », il lui semble difficile de participer au Sommet…
Des tractations diplomatiques se sont engagées entre la Roumanie et le Liban alors qu’Emile Lahoud déclarait jeudi que Beyrouth n’enverrait pas de représentation au Sommet de la francophonie. A Bucarest, la question embarrasse. Le pays attend comme le messie son entrée dans l’Union européenne prévue en 2007, une adhésion que la France a largement soutenue. Mais les Roumains ne tiennent pas non plus à voir leurs relations se dégrader avec le Liban.
Quant à la France, elle est déterminée à continuer se petite joute diplomatique. Alors que le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, doit se rendre à Beyrouth en juillet - un voyage prévu de longue date -, le porte-parole du Quai d’Orsay a indiqué que « la date exacte de la visite n’est pas encore été fixée et je ne sais pas si le Président Lahoud sera au Liban au moment du déplacement de Philippe Douste-Blazy ». Entre Paris et Beyrouth, l’été s’annonce tendu.