Raouché, un samedi soir d’été comme un autre. Raouché, là où le tout Beyrouth vient se pavaner. Il est à peine plus de 20 heures mais le thermomètre reste accroché à ses 27 degrés alors que le soleil commence déjà à vouloir se retirer.
Les premières familles beyrouthines font leur apparition sur la corniche qui longe la mer, à la recherche d’un peu d’air frais. Choc temporel : en plein mois de juillet, des Pères Noël en sueur sous leurs lourds costumes de laine tentent d’appâter les enfants avec leurs barbes à papa roses et blanches. Ce sont pour la plupart des Syriens qui ont trimé toute la journée sur les chantiers de Beyrouth, ville qui ne cesse de se reconstruire depuis 15 ans, et qui trouvent là le moyen d’envoyer un peu plus d’argent aux leurs, restés au pays.
Bientôt, ce sont les familles saoudiennes qui sortiront de leurs luxueux hôtels. Depuis les attentats du 11 septembre, ils sont nombreux à délaisser leurs villégiatures occidentales pour passer l’été au Liban. Monsieur quelques pas devant, l’oreille vissée à son portable dernier cri. Madame derrière, cachée sous son tchador comme un fantôme drapé de noir devenu invisible dans la nuit et donnant des ordres à la bonne philippine ou sri lankaise qui essaye désespérément de se faire obéir des enfants. Des Saoudiens qui pourraient presque se sentir chez eux à Beyrouth. A Raouché, le Mövenpick, l’un des hôtels les plus luxueux de la capitale avec ses 300 chambres, ses 8 restaurants, sa galerie commerciale et sa plage privée, est la propriété du milliardaire et prince saoudien Walid Ben Talal. Son architecture rappelle les tentes bédouines d’Arabie saoudite.
Sur la route, des embouteillages à n’en plus finir. Les mélodies orientales de Najwa Karam et le gros son américain de 50 Cent se disputent les faveurs des auto-radio bloqués au maximum. Les Mercedes rutilantes côtoient de vieilles Renault que l’on croirait tout juste rescapées de la guerre. Et l’éternel concert de klaxons, inévitable de jour comme de nuit à Beyrouth. Ici c’est un énorme 4x4 qui cherche à se faufiler dans la circulation, là un taxi à la recherche de clients.
Devant la grotte aux pigeons, c’est le rendez-vous des amoureux. Hidjabs et minijupes se croisent. Les « jazal » sont de sortie. C’est ainsi que l’on nomme ici ces garçons aux cheveux gominés et aux fringues de marque qui ont la « crâne attitude » vissée au corps. Et qui ne perdent pas une occasion de draguer.
La jeunesse dorée s’est donnée rendez-vous sur la terrasse du « Starbucks coffee ». Un endroit avec vue imprenable sur la mer et les allées-venues de tout ce petit monde sur la corniche. Les filles ont sorti leurs plus beaux atouts. Maquillage de voiture volée, bijoux clinquants et habits sexy. Plus tard dans la nuit, beaucoup de ces jeunes iront se défouler dans les boites de nuit d’Achrafiyeh. Le temps passe. Sur la corniche, des petits vieux ont sorti les chaises en plastique et fument le narguilé. Des effluves de pomme s’échappent de la pipe à eau. Discussions interminables et énièmes parties de taoulé (backgammon). La moiteur de l’été se fait enfin un peu moins écrasante. Les terrasses des restaurants et des cafés sont bondées. Les vendeurs de ka’k, ces petits pains de blé aux graines de sésame, hèlent les passants.
Puis le son d’une télé émane du Grand Café. Cassant la magie de l’endroit et brisant d’un coup la trêve estivale : le présentateur de la LBC annonce qu’une nouvelle fusillade entre pro et anti-syriens vient de faire 1 mort et 6 blessés à Saïda, dans le sud. Et la douceur de ce samedi soir de prendre alors un drôle de goût amer.