Avec son dernier ouvrage « Les services secrets chinois, de Mao au JO » (Nouveau Monde, février 2008), le journaliste Roger Faligot pénètre les arcanes des officines les plus secrètes de l’Empire du Milieu et décrit de manière minutieuse l’approche chinoise du renseignement. Interview.
Existe-t-il, selon vous, un espionnage et un renseignement typiquement chinois ?
Oui et c’est une tradition qui remonte à plusieurs centaines d’années. L’Art de la guerre de Sun Zi, avec sa typologie des espions, est loin d’être le seul texte classique sur le sujet. La spécificité des Chinois d’aujourd’hui est évidemment la conjonction de ces anciennes traditions avec la formation avec l’aide des services soviétiques qui continuent d’avoir une influence, l’influence du monde occidental ou du Japon dans le domaine de l’intelligence économique, du renseignement financier et bancaire, des techniques de l’infoguerre et de l’usage du renseignement ouvert (notamment grâce à internet).
A l’approche des Jeux Olympiques, quel est le risque terroriste en Chine ? Dans votre livre, lors d’une conversation avec l’un de vos interlocuteur, membre des services chinois, vous lui dites en souriant de prêter à la Jeemah Islamiya… Et, de leur côté, les Chinois agitent bien volontiers la menace d’un terrorisme intérieur, en l’occurrence ouïgours…
En fait, j’ai choisi au hasard un groupe asiatique mais dont j’ai suivi le rôle, notamment lors d’enquêtes en Australie. Une façon de dire que je ne pensais pas que le langage utilisé par les officiels chinois concernant les Ouïgours ou les Tibétains était approprié concernant les risques terroristes lors des JO. Je peux me tromper mais je ne crois pas que des actions terroristes constituent le danger à Pékin pour les dirigeants chinois même si la sécurité affirme démanteler des réseaux ouigours qui voulaient attaquer les JO… Une des options [pour les autorités chinoises] consiste à démontrer le lien entre certains Ouïgours et Al-Qaida.
En « criminalisant » les Ouïgours, le dispositif diplomatico-sécuritaire pékinois veut obtenir des démocraties que leurs polices puissent fournir des informations sur leurs mouvements. De nombreux mystères demeurent toutefois. Par exemple, les Américains viennent d’arrêter un des lieutenants de Ben Laden, dont on apprend qu’il parlait le chinois. Peut-être sera-t-il intéressant de savoir dans quelles conditions il l’a appris, et quel usage il en faisait. On a tendance à brocarder la CIA pour son aide passée aux moudjahidines afghans face aux Soviétiques. Toutefois, les Chinois étaient très présents à l’époque dans ce domaine.
En ce qui concerne les relations franco-chinoises, mises à mal ces dernières semaines par le passage mouvementé de la flamme olympique à Paris, vous mentionnez dans votre ouvrage plusieurs affaires comme celle des frégates de Taïwan et les rétrocommissions versées à certains hauts dirigeants chinois pour qu’ils ferment les yeux. Pensez-vous que ces contentieux et ces secrets d’Etat conditionnent les relations diplomatiques sino-françaises ?
Des piqûres de moustiques sur la peau d’un éléphant… Mais le problème de la corruption est considérable aussi bien pour le Parti communiste que pour la démocratie à la française.
Pensez- vous que les lobbies pro-chinois en France influent de manière significative sur la politique chinoise de la France ?
Plutôt que des lobbies pro-chinois, on pourrait parler de lobbies ou de grandes entreprises qui souhaitent que les affaires qu’ils comptent réaliser ne soient pas brouillées par des questions de nature politique. On le voit bien aujourd’hui avec la question des droits de l’Homme, sur le Tibet etc… Des hommes d’affaires français que je connais autant que des dirigeants chinois ont du mal à cerner qu’elle actuellement la politique française, si toutefois il en existe une, vis-à-vis de la Chine.
Le président français actuel demeure un mystère pour les Chinois. C’est d’ailleurs un problème du renseignement politique à l’ambassade de Chine à Paris : avoir envoyé des signaux contraires et finalement erronés sur le Président pour sa visite en Chine et depuis. Je pense d’ailleurs que cela explique le rappel de l’ambassadeur [chinois à Paris] dont on a écourté le séjour en mars pour le remplacer par un analyste beaucoup plus fin, Kong Xuan, déjà N°2 de l’ambassade à Paris à l’époque du président Jiang Zemin.
Propos recueillis par Bao Go Tsé
Dès la création du Parti communiste dans les années vingt, un organe de renseignement et de sécurité voit le jour sous l’égide de Zhou Enlai.
Dans les années 60, ce service devient le Diaochabu (service d’enquête). Il est entre autres doté d’une ambition internationale avec des officiers de renseignements dans les ambassades chinoises à l’étranger.
En 1983, une partie du Diaochabu a joué un rôle dans la constitution de la Sûreté d’Etat (Guojian Anquanbu) voulue par Deng Xiaoping pour faire face aux nouveaux défis économiques et stratégiques de la Chine. Celle-ci a été constituée avec un pan de la Sécurité publique (le fameux Gonganbu), fondé en 1950, qui conserve une importante fonction de contre-espionnage, ainsi que de gestion du goulag chinois, le Laogai.
Dans les années 90, mondialisation oblige, le président Jiang Zemin a modernisé ces services et jetté les bases d’une sorte de conseil national de sécurité.
Après les attentats du 11 septembre 2001, les services chinois développent un pôle antiterroriste.
B. G. T
Bonjour,
L’interview réalisée est une bonne introduction au livre de Roger Faligot, lui-même à recommander pour les informations qu’il apporte et souligne.
Ceci dit, si le sujet de la prospective politique alimentée par le renseignement a été abordé en fin d’interview sous un angle franco-chinois via le rappel de l’Ambassadeur chinois à Paris, il aurait été aussi très utile pour les lecteurs de Bakchich de souligner combien le rôle et les objectifs du renseignement chinois diffèrent mentalement, pas dans les méthodes, par bien des côtés, de ceux des services similaires dits "occidentaux", dans le temps et l’espace.
S’il fut un temps, au début de la République Populaire de Chine, où l’accent quasi-exclusif était mis sur la défense de l’Etat et de ses structures issus de la Révolution de 1949, aujourd’hui, le renseignement chinois est le "coffre du savoir" sur l’extérieur afin de guider et faciliter les choix politiques, économiques, financiers et commerciaux de la Chine et de ses entreprises, d’Etat comme privées.
Cette approche renvoie d’ailleurs au processus massif de corruption qui affecte aussi le renseignement chinois, comme le régime qu’il informe.
Ce qui n’empêche pas des résultats notables et qui peuvent influer sur l’avenir.
En témoigne le récent réchauffement des relations entre la Chine et Taiwan sur fond de la théorie chinoise ancienne du "gagnant-gagnant" énoncée par Hu dans son discours public à l’intention de ses homologues taiwanais.
Le fait, passé largement inaperçu en Europe, de la naissance, portée en commun par les Président taiwanais, MA, et chinois, Hu, d’un centre régional financier de portée internationale à Taiwan, est indicatif. On assiste probablement, derrière des discours amicaux et pacifiques, à l’émergence d’un réseau financier international "chinois" à têtes multiples (Shanghaï, Hong-Kong et Taipei).
Quant aux liens de la Chine avec le monde arabe et musulman, il suffit de regarder les fonds financiers qui sont basés à Dubaï et Abu Dhabi pour se convaincre que le processus n’est pas nouveau, mais qu’il a été sous-estimé par certains qui croyaient, à tort, au caractère incontournable de l’Union européenne.
Or, l’euro sert dorénavant de monnaie internationale à des fonds colossaux….chinois, indiens, arabes, japonais, entre autres.
De nos jours, ce n’est plus Marco Polo qui va en Chine et il apparaît que les "économies qui comptent" ne sont plus en Europe, mais en Asie (Japon, Inde, Chine, Taiwan, …).
De ce fait, on pourrait croire que le renseignement chinois serait devenu un "concurrent-partenaire" pour ses homologues européens et américains, notamment. Ce n’est pas le cas, même si les choses semblent changer.
L’intérêt du travail de Roger Faligot est, dans ce contexte économique et politique particulier, très important. Il met en lumière des faits qui méritent de sortir de cette "ombre chinoise".
Pour finir sur une note d’humour, un peu ironique, pour notamment les dirigeants français à qui la Chine a pris des marchés promis aux entreprises françaises (Libye par exemple), je rappelle la phrase d’un dirigeant chinois lors d’un forum récent : " Nous, Chinois, savons que la clé du succès en toutes choses réside dans le "gagnant-gagnant". Ceux qui pensent que les relations doivent être basées sur "un gagnant-un perdant" ne comprennent pas la réalité et ne créent ni la stabilité, ni la prospérité".
Comme on dit parfois entre amis fâchés, "à bon entendeur, salut".