En dépit de l’arrêt de la Cour de justice européenne, le Conseil des ministres de l’Union européenne a choisi, le 28 juin dernier, de maintenir l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI) sur sa liste terroriste. Une décision largement influencée par… les barbus d’Iran.
Une âpre bataille non armée se déroule dans les antichambres sibyllines de l’Union européenne (UE) et se répand bien au-delà. Elle oppose le vénérable Conseil de l’UE à la controversée OMPI. Depuis la bourgade bucolique d’Auvers-sur-Oise, en banlieue parisienne, où il est retranché, le principal groupe iranien d’opposition s’insurge contre les procédures jugées douteuses de son maintien sur la liste terroriste de l’UE. Fichés depuis mai 2002 à la demande de la Grande-Bretagne, ceux qui se présentent comme des rebelles mossadeghistes, peinent à se dépatouiller des mailles du filet antiterroriste européen.
Arguant que les faits reprochés remontent à plus de cinq ans, l’OMPI pointe du doigt la vacuité des griefs, les irrégularités judiciaires et monte au créneau dés juillet 2002 avec une requête déposée au Tribunal de première instance des 27. Celle-ci restera lettre morte plusieurs années durant, pendant lesquelles les avoirs de l’organisation seront évidemment gelés et ses ébauches d’actions politiques étiquetées « Terroriste ».
L’OMPI, le sésame du rapprochement avec Téhéran
Ce qui permet à l’UE de renforcer son lien avec Téhéran, d’amorcer un cycle de négociation sur le délicat dossier nucléaire, mais aussi de se dégoter des juteux contrats. Inutile de rappeler que l’UE est le premier partenaire commercial de l’Iran avec une part de son marché de près de 40% et demeure l’un des principaux acheteurs d’hydrocarbures perses. Les accords commerciaux avec l’Iran avoisinent les 13 milliards de dollars, non négligeable ! Mais, pour accéder à la caverne du trésor perse, l’une des conditions sine qua non posée par les mollahs porte sur la mise au ban systématique des moudjahidine exilés. Demande exaucée sans pinailler par les dirigeants européens… qui ne s’en cachent pas, comme l’illustre une interview publiée par le journal gouvernemental iranien Entekhab du 28 octobre 2002. L’ambassadeur d’Espagne en poste à Téhéran y déclare sans louvoyer qu’il y avait « trois points sur lesquels l’Iran voulait discuter avec l’UE quand l’Espagne était à la présidence […] Une des questions majeures était d’inclure l’OMPI sur la liste des groupes terroristes de l’UE ». À cette date, la Commission européenne lance d’ailleurs les négociations pour « un accord de commerce et de coopération » avec les mollahs.
De même, dans une dépêche AFP tonitruante, datée du 21 octobre 2004, sont révélées des bribes d’un document confidentiel portant sur le programme nucléaire iranien. On y apprend que les trois mastodontes de l’UE (France, Allemagne et Royaume-Uni) exhortent l’Iran à suspendre toutes ses activités nucléaires à visée militaire et stipulent, sans prendre de gants, que « nous continuerons à considérer les moudjahidine du peuple comme une organisation terroriste ». Vaille que vaille, taxer l’OMPI de terrorisme, soutenir la candidature de la République islamique à l’Organisation mondiale du commerce, voilà le précieux sésame pour consolider l’ approche diplomatique avec les Mollahs fanatiques, dopés à l’uranium.
Soubresaut judiciaire
Comble de la contradiction, c’est l’organisation terroriste qui a rendu public dés 1990, puis derechef en 2002, l’existence du programme nucléaire iranien fourbi depuis les sites de Nataz et Arak. Et ce, grâce à leur réseau d’espionnage et d’information ô combien efficace sur place. Ce qui hérisse le poil des barbes blanches des mollahs, intransigeants sur le maintien de l’OMPI sur la liste. L’UE ne tourne pas casaque pour autant et s’efforce de vilipender les opérations militaires sanglantes et les attentats commis jusque 2001 par les moudjahidine depuis leur base arrière d’Achraf située du côté irakien de la frontière. La demande des Mollahs est traitée sans rechigner. Sur l’antenne de la radio BBC, le 1er février 2006, Jack Straw, alors chef de la diplomatie britannique, avoue avoir répondu favorablement aux marchandages des Mollahs. Toutefois, les preuves de ces exactions manquent à l’UE.
L’affaire prend un tournant le 12 décembre 2006 avec l’arrêt de la Cour européenne de justice d’annuler de manière rétroactive la décision du Conseil de l’UE, datée du 17 juin 2002, de conserver l’OMPI dans la liste noire. Le Tribunal souligne que « l’OMPI s’est donnée pour but le remplacement du régime du Chah d’Iran, puis celui des mollahs par un régime démocratique ». Un grand ouf de soulagement pour les moudjahidine. Champagne sabré à la chaîne et danses frénétiques sur les tables des tavernes luxembourgeoises…
Le Tribunal de première instance met en exergue les irrégularités de la procédure, en particulier le droit à la défense et la présomption d’innocence bafouée de l’OMPI. « Pendant toutes ces années, nous n’avons eu accès à aucune pièce du dossier nous concernant », enrage un cacique de l’Organisation, fustigeant le « flou juridique qui entoure cette affaire ». Une opacité clarifiée par l’arrêt du 12 décembre qui modifie le processus d’inscription sur la liste. À compter de ce jour, le Conseil se doit de livrer les justifications des accusations aux groupes inculpés qui peuvent désormais faire valoir leurs observations sous un délai de trente jours. Mais le Conseil ne révise pas la liste…
L’Imbroglio s’empare des tours de verre bruxelloise
Loin d’en démordre, le haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana adresse une lettre datée du 30 janvier aux moudjahidine, précisant les griefs reprochés par le Conseil de l’UE sans pour autant donner accès au dossier. [1] En guise de conclusion, « le Conseil note que la décision précipitée du Secrétaire d’Etat britannique, visant à proscrire l’OMPI en tant qu’organisation impliquée dans le terrorisme reste en vigueur ». C’est reparti pour un tour… Les moudjahidine ont ainsi un mois pour présenter leurs points de vue, comme le rappelle M. Solana dans un document transmis le 12 février. Sentant le sable lui glisser des mains, Tony Blair, lui-même, prend alors la plume pour écrire à l’OMPI et « affirme que la décision a été prise le 30 janvier ». Affaire classée selon Tony. Or, à cette date, le Conseil ne disposait pas encore des observations de l’OMPI. Dans une missive du cinq mai, le conseiller en politique étrangère de la chancelière allemande ajoute encore un élément à l’imbroglio. Christophe Heusgen informe les moudjahidine que « le conseil de l’UE a tranché en février 2007 sur les raisons de maintenir l’OMPI dans la liste ». Ces tergiversations laissent transparaître une belle pagaille au sein des tours de verre étoilées.
Le mystérieux dossier de l’Union européenne
Enfin, le 14 mai, le Conseil donne accès à une partie du dossier censé compiler les preuves des turpitudes reprochées aux moudjahidine. « Le dossier soi disant top-secret était composé d’une feuille, sans en tête, non signée et à moitié remplie. Avec ce document vide était joint une série d’articles de presse internationale. Que des informations publiques », déplore un cadre de l’Organisation. « L’OMPI exilée en 1981 en Irak maintient un contingent de 10 000 hommes supporté et armé par l’Irak », condamne le dossier. Ce que récuse les moudjahidine qui, de sources concordantes, disposeraient de 4000 hommes dans la cité d’Achraf protégés par les troupes de la coalition depuis l’accord conclu en 2003 avec Washington.
Sans surprise, l’OMPI dément une partie des faits qui lui sont imputés. La litanie des exactions commises est longue, incluant notamment les cas de meurtres des attachés militaires US en poste en Iran sous le règne du Chah, les attentas en série, mais aussi les suspicions sur la participation aux massacres des kurdes, commandités par Saddam Hussein. De plus, l’organisation est largement décriée par les ONG des droits de l’homme pour ses dérives jugées sectaires. [2] Ses membres, qui s’évertuent à montrer patte blanche, peinent à se détacher de ses faits d’armes d’antan, sans cesse rattrapés par le sanglant passé. De ce point de vue, l’arrêt du 12 décembre constitue une reconnaissance teintée d’une crédulité de la part de la Cour de justice européenne.
Sauf qu’après l’euphorie luxembourgeoise de décembre, vient la descente bruxelloise… Et celle-ci fut en pente raide lorsque le 28 juin dernier, le Conseil des ministres de l’environnement vote à l’unanimité, en suivant les nouvelles procédures, le maintien de l’OMPI dans le répertoire terroriste européen. « Les mollahs écrivent la liste », maugrée un dirigeant moudjahidine. Autre son de cloche du côté de Bruxelles. « L’arrêt du 12 décembre consiste uniquement un arrêt de justice portant sur les procédures et non sur le contenu. L’OMPI a eu le droit à la défense de ses intérêts. Un groupe d’experts du Conseil de l’UE a examiné ses observations pendant cinq mois et a tranché », détaille Jésus Carmona, le porte-parole du Conseil de l’UE en matière de terrorisme, de justice et de sécurité.
Une rhétorique nuancée par un vieux sage, familier de Bruxelles et de ses arcanes, qui éclaire sur cette affaire de listing en évoquant le terrorisme comme un instrument de la diplomatie européenne.
Selon lui, « La décision obéit à deux critères. Le premier est l’objectivité, le second est d’ordre politique. Ce n’est pas sans raisons que le Hezbollah ne figure pas sur la liste… » À méditer.
Droit de réponse : L’OMPI, en guise droit de réponse, a demandé de mettre cette page en lien. Dont acte.
[1] « En avril 1992, l’OMPI a perpétré des attentats terroristes contre des ambassades et des installations iraniennes dans treize pays différents. Pendant la campagne de l’élection présidentielle en 1993, le groupe a revendiqué la responsabilité d’un certain nombre d’attaques contre des installations pétrolières, notamment la plus grande raffinerie d’Iran. En Avril 1999, les moudjahidine du peuple ont assassiné le chef d’État-major adjoint des forces armées iraniennes, Ali Sayyad Shirazi. En 2000-2001, l’OMPI a revendiqué la participation de ses membres à des nouvelles opérations commandos contre l’armée et des bâtiments gouvernementaux iraniens, près de la frontière Iran-Irak. »
[2] Le 19 mai 2005, le rapport de 28 pages de l’Organisation des Droits de l’homme Human Rights Watch, intitulé “No Exit : Human Rights Abuses Inside the MKO Camps,” (Sortie interdite : violations des droits humains dans les camps de l’OMPI), décrit comment des membres dissidents de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI) ont été torturés, battus et maintenus en isolement cellulaire pendant des années dans des camps militaires situés en Irak, et ce pour avoir critiqué la politique et les pratiques non démocratiques du groupe ou pour avoir fait part de leur intention de quitter l’organisation. Le rapport se base sur les témoignages directs d’une douzaine d’anciens membres de l’OMPI, notamment cinq personnes qui ont été remises aux forces de sécurité irakiennes et incarcérées à la prison d’Abou Ghraib sous le gouvernement de Saddam Hussein.
Oui bien sûr.
Tu peux trouver le texte intégral du rapport des parlementaires européens sur les Modjahidine du peuple réfutant les affirmations de HRW sur le site suivant :
http://www.ncr-iran.org/fr/images/stories/advertising/hrw%20book%20french-1.pdf