Au travers de lois, de procédures ou de commémorations, l’Etat ne cesse pas de vouloir expier ses fautes passées. Il se soucie moins de prévenir ou de corriger celles qu’il commet aujourd’hui.
Jusqu’à quand, jusqu’où va-t-on fouiller l’Histoire, à la manière du prêtre confessant un pécheur jamais repenti ? Et dans quel but, cette démarche, qui prolifère dans trop de pays : naguère la Pologne à l’encontre des dirigeants communistes, aujourd’hui l’Espagne à la poursuite des serviteurs du franquisme (défunts pour la plupart). Ou bien, plutôt que le gouvernement espagnol (de gauche) qui est d’un avis contraire, l’un de ses juges d’instruction. Ce dernier passe ainsi de l’état de magistrat qu’il était en obtenant que soit entamée une procédure d’extradition contre Augusto Pinochet (en octobre 1998 à Londres où il se faisait opérer) [1] à celui de justicier en mal de pureté et qui, ce faisant, écarte un peu vite la loi d’amnistie unanimement votée en 1977 par le Parlement de Madrid, la démocratie (fraîchement) rétablie.
L’obsession qui traverse l’Europe ferait pour un peu songer au pape Etienne VI ordonnant qu’on jugeât l’un de ses prédécesseurs, nommé Formose (816-896) et natif de Corse, celui-là exhumé, le cadavre revêtu des habits pontificaux ainsi que le montre le sinistre tableau qu’imagina le peintre Jean-Paul Laurens en 1870 et qu’on peut voir au Musée des Beaux-Arts de Nantes.
Cette incessante expiation ne connaît pas de limite, pas même celle du ridicule. Ainsi a-t-on vu, en 1992, le roi Juan Carlos faire amende honorable et abroger une décision royale signée à Grenade le 31 mars… 1492 et ordonnant l’expulsion d’Espagne de tous les habitants de confession juive s’ils ne se convertissaient pas au catholicisme. A peu près la moitié d’eux choisit l’exil, soit cent vingt à cent cinquante mille personnes.
Il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. Que la Terre entière défile la corde au cou en se flagellant pour se laver de l’élimination de l’Homme de Neandertal par l’Homme de Cro-Magnon il y a vingt-cinq ou trente mille ans. Sait-on seulement les conséquences qu’a eues un tel forfait ?
Quel psychanalyste fera s’allonger l’État sur son divan afin de découvrir le pourquoi et le comment de ce récurent et vain procès fait au passé ? Les compagnons de névrose de cet État-là diront que c’est pour empêcher que le futur ne réitère les horreurs auparavant commises. Depuis quand les lois humaines ont-elles assez de puissance pour prévenir les folies des hommes ? Quelle loi aurait pu éviter que ne parviennent au pouvoir Adolf Hitler, Benito Mussolini ou Francisco Franco ?
L’entreprise consistant à pister des coupables morts et enterrés, étrange si elle est le fait des politiques, ne relève-t-elle pas avant tout des historiens ? A la condition, s’il se peut, que ces enquêteurs du passé ne soient pas cadenassés par des textes de loi qui dictent a priori le résultat de leurs recherches. Il y a pourtant des lois françaises qui ont cette ambition. Quels résultats ont-elles pour que ne prospèrent pas le mépris et l’injustice, le racisme et l’intolérance, atroces et désolants phénomènes que l’on voit revenir en force dans nos sociétés ? Aucun.
[1] La procédure tant judiciaire que devant la Chambre des Lords se noiera dans les atermoiements et Augusto Pinochet repartira en 2000 pour le Chili où il mourra le 10 décembre 2006 à l’âge de 91 ans.