Finies les bases militaires pépères planquées au fond des campagnes. Le ministre de la Défense, Hervé Morin met au point un plan de regroupement des sites de « stationnement » des troupes sur le territoire. Avec des dizaines de fermetures à la clé et plus de 50 000 personnes concernées. Grand bazar en perspective dans les casernes et branle-bas de combat chez les élus locaux qui ne veulent pas perdre leurs régiments.
Dans le genre patate chaude, c’est du brûlant. Le ministère de la défense, piloté par Hervé Morin, est en train de mettre la dernière main à une vaste réorganisation des bases militaires, qui doit officiellement être rendue public dans la deuxième quinzaine de juin, pour entrer progressivement en application à partir du 1er janvier prochain et s’étaler jusqu’en 2015.
Le mot d’ordre du ministère est la « densification », ce qui signifie simplement que les implantations militaires seront regroupées, certaines fermées et les autres rénovées. Du coup, toutes les bases de France sont en émoi. Et les élus locaux font, depuis des semaines, un lobbying d’enfer pour sauver leurs soldats et leurs emplois induits. Touche pas à mes casernes !
C’est que l’affaire est d’importance. Les bases militaires sont actuellement dispersées sur 471 communes, avec des effectifs moyen de 620 personnes. Ce maillage serré était censé protéger le territoire d’une invasion étrangère. L’évolution des menaces et la professionnalisation des armées depuis 1997 auraient dû faire évoluer le dispositif. Il n’en a rien été. Résultat : la carte des bases ne correspond plus aux impératifs de défense.
Les experts ont tranché : selon un rapport interne au ministère, daté du 7 mars 2008 – révélé par le Point, et dont Bakchich a eu copie – il faut « supprimer toutes les implantations isolées ou inférieures à 1 000 personnes, lorsque la localisation ne s’impose pas ». Environ 200 bases devraient ainsi être touchées (53 évacuées, 105 allégées, 51 densifiées), ce qui concernera au moins 55 000 personnes, militaires et civils du ministère (voir encadré ci-contre).
Selon un rapport du ministère de la Défense, élaboré par les équipes en charge de la « Révision générale des politiques publiques » (RGPP), daté du 7 mars 2008, il faut « mettre fin à la dispersion excessive du stationnement » des armées sur le territoire, aujourd’hui réparties sur 471 communes. Selon ce document un peu martial, « l’idée de manœuvre » est la suivante : 281 sites sont « indéplaçables » pour des impératifs techniques. Les autres se répartissent en deux groupes :
– Un « ensemble consensuel » de 158 sites isolés dont la fermeture ou le réaménagement seraient « supportables » moyennant un coût de 537 millions d’euros (450 millions pour les infrastructures + 87 millions pour les frais de déplacements) et des recettes immobilières de 323 millions. Au total 39 sites seraient évacués, 89 allégés et 30 densifiés. 23 490 personnes seraient touchées, classées en deux camps : « dégagé » (13 210 personnes) et « déplacé » (10 280). C’est de la poésie pure…
– Un autre ensemble de 41 sites plus délicats, posant des problèmes de « sensibilité » ou de coûts de transferts très lourds (819 millions d’euros pour les infrastructures, compensés seulement par 247 millions de recettes de cessions immobilières + 54 millions pour les frais de déplacement). Sur ces bases, 14 pourraient être évacuées, 16 allégées et 21 densifiées. Ces mouvements toucheraient directement 31 780 personnes, dont 11 440 côté « dégagé » et 20 340 côté « déplacé ».
Au total, 55 000 personnes seraient affectées. Cette réorganisation du « stationnement » des armées coûterait 1,4 milliard d’euros et ne rapporterait que 570 millions, soit une facture de 870 millions pour l’Etat.
Le ministre a, le 8 avril, évoqué la réorganisation générale des futurs sites, qui seront rattachés à 90 bases de défense, d’un rayon de 30 kilomètres maximum, comptant en moyenne 2 800 soldats et civils. Cette concentration doit s’accompagner d’une « externalisation » de nombreux services, c’est-à-dire de sous-traitance : habillement, alimentation, informatique, construction de logements, de hangars ou de gymnases, gestion immobilière, maintenance, etc. Pas certain que tout cela soit moins cher à l’arrivée, mais les experts du ministère y croient dur comme fer.
Comme les caisses sont vides, le regroupement – dont la facture est estimée à 1,4 milliard d’euros – doit être financé en partie par des cessions de terrains et d’actifs immobiliers de l’armée. Les gains espérés sont d’environ 570 millions d’euros. Les premières bases fermées le seront là où les prix de l’immobilier sont les plus hauts, histoire de remplir les caisses. Mais cela ne suffira pas et il y aura beaucoup de perdants.
Guy Teissier, le discret président UMP de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, s’est ému plusieurs fois des risques de déséquilibres locaux que va provoquer cette réforme jugée nécessaire, mais « aride et brutale ». Car tous les élus, inquiets de ce grand chambardement à venir, montent au créneau auprès d’Hervé Morin pour préserver « leurs » régiments.
Michel Raison, par exemple, député UMP de la Haute-Saône, craint, à juste titre, la fermeture de la base aérienne 116 de Luxeuil, où stationnent actuellement des escadrons de la Force aérienne stratégique (FAS), autrement dit des chasseurs équipés de missiles nucléaires.
Or, Nicolas Sarkozy a déjà annoncé une diminution, probablement de 60 à 40, du nombre d’avions de la FAS. Les chasseurs pourraient être regroupés à la base d’Istres (Bouches-du-Rhône) et les missiles envoyés entre Mont-de Marsan, Saint-Dizier ou Avord, selon le très informé blog du journaliste Jean-Dominique Merchet. Problème : la base de Luxeuil, promise à fermeture, est le deuxième employeur de la Haute-Saône ! Les édiles locales, Michel Raison en tête, remuent donc ciel et terre pour éviter la cata, ou du moins obtenir le maximum de compensations. Sous pression, Hervé Morin a promis de proposer « une solution alternative » à l’Elysée. Et c’est la même chose pour des dizaines de sites. Gros casse-tête !
Le ministre répète que la Défense « n’a pas vocation à faire de l’aménagement du territoire ». Mais c’est un vœu pieux. Pour calmer le jeu, il promet de la concertation en-veux-tu-en-voilà, un plan d’accompagnement sur chaque site, des cellules de reconversion du personnel (genre plan charbon ou sidérurgie), des aides à la mobilité et à la scolarité des enfants, des pécules diverses. Et même des terrains ! Le ministère est prêt à céder à bon prix de vastes emprises foncières dont il est propriétaire aux collectivités locales, afin de leur faire passer la pilule.
Plus les décisions se rapprochent, plus les marchandages se mijotent en coulisses et plus les enchères montent. Au final, le plan coûtera bien plus cher qu’il ne rapportera. La paix dans les casernes est à ce prix ?
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"Protéger nos ressortissants" Vous parlez d’une armée coloniale. Parce qu’en temps normal quand je vais à l’étranger j’ai rarement besoin d’une armée pour me protéger. "S’interposer entre des belligérants" : Soit. Mais pas besoin de 300000 hommes, payés à huiler des VAB qui ne démarrent même pas pour partir en manoeuvre, ou faire tourner des chars Leclerc inadaptés à toutes les formes de conflits modernes. "Eviter que des sanctuaires terroristes n’existent" : Je ne savais pas que nous avions vocation à gendarmer le monde. Encore moins à résoudre les problèmes politiques des autres. "Peser en tant que puissance au conseil de sécurité" : Ha ha ha !
Enfin si c’est Steevy Boulay qui me trouve stupide, je le prend pour un compliment.