Alors que l’on ravive, en ce 8 mai, les souvenirs de la victoire sur le nazisme, les militaires français n’ont pas le cœur aux commémorations joyeuses. Car ça va valser dans les armées ! Le ministère de la défense est, en effet, à la veille de subir des coupes et réorganisations majeures, dans un climat tendu et assez désordonné. « Bakchich » lève le voile sur le sacré bordel qui se prépare.
Dès l’élection de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, le chef de l’Etat a institué une commission dite du « Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale ». Composée d’experts, d’élus, de hauts fonctionnaires et d’industriels, cette commission, présidée par le très effacé Jean-Claude Mallet, un conseiller d’Etat qui ne rigole pas beaucoup, est censée remettre à plat tous les problèmes de défense, en présentant à l’Elysée plusieurs options possibles avec une enveloppe limitée (2% du PIB pour la défense, pas plus).
Message subliminal : comme les caisses sont vides, il faut redéfinir les objectifs et réduire la taille des armées de 30 à 50 000 hommes (sur 360 000 soldats). Gloups ! Les questions traitées sont parfois délicates : faut-il maintenir les efforts de dissuasion nucléaire à leur niveau ? Comment faire travailler ensemble les corps d’armée (air, mer, terre) encore très « balkanisés », source de gaspillages ? Ne faut-il pas revoir tous les dispositifs des bases militaires françaises à l’étranger ? Autant dire que cela froisse pas mal de vieilles susceptibilités.
Après des dizaines d’auditions (à revoir ici, mais tout n’est pas farce !), la commission Mallet doit rendre sa copie fin mai au Président de la République, à charge pour lui de faire des choix, qui serviront de base à une future loi de programmation militaire pour les années 2009-2014. « La commission a bossé de manière très ouverte, un peu comme la commission Attali » estime un de ses participants. Avec le même genre de soucis : les élus, notamment ceux de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, présidée par le marseillais Guy Teissier, n’apprécient guère d’avoir été un peu court-circuités par cette vaste consultation. Malaise dans les rangs.
De plus, depuis un an, l’Elysée semble déjà avoir tranché, sans attendre, certains sujets que devait aborder le futur « Livre Blanc ». Sarkozy a, par exemple, indiqué sa volonté de réduire la deuxième composante (les avions) de la force de frappe nucléaire, de revoir les accords de coopération de défense avec les pays africains ou de réintégrer, sous certaines conditions, le commandement intégré de l’Otan. Sans oublier les annonces unilatérales d’envoi de renforts de troupes en Afghanistan ou d’implantation d’une base militaire à Abu Dhabi. « Les annonces se succèdent sans coordination » a déploré le socialiste Jean-Claude Viollet, lors d’une réunion à l’Assemblée, le 16 avril.
Plus embêtant : avant même d’être terminé, le chantier du « Livre Blanc » se téléscope, non sans quelques heurts, avec l’autre grand barnum en cours dans tous les ministères, appelé « la révision générale des politiques publiques » (RGPP). La Grande Muette n’échappe pas à cette « karchérisation » des budgets. Une quinzaine de groupes de travail planchent depuis des mois sur le sujet, avec scalpels, cartes de campagne, rapports d’étapes et jargons de consultants (voir l’article sur le sujet). Le régime sera sévère : pain sec, peu de munitions. Et non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux au ministère, soit environ 40 000 suppressions de poste, civils ou militaires.
Avec à la clé, dans les mois qui viennent, une réforme complète du ministère prévue par le sémillant Hervé Morin et des regroupements des bases militaires dispersées aujourd’hui sur tout le terriroire. Ces « réorganisations territoriales », pudiquement appelées « densification », doivent être rendues publiques dans la deuxième quinzaine de juin pour démarrer en 2009. A côté, les soubresauts liés à la réforme de la carte judiciaire de la Garde des sceaux Rachida Dati risquent de s’apparenter à un roman fleur bleue. Les élus locaux sont déjà remontés comme des pendules pour ne pas perdre leurs casernes et leurs bases aériennes…
Et ce n’est pas tout. Car le ministère de la Défense et celui des Finances ont, par ailleurs, déjà entrepris fin 2007 une urgente « revue générale des programmes » d’équipements. Autrement dit : des coupes. Pour une raison simple : la dernière loi de programmation militaire (2004-2008), qui faisait la fierté de Jacques Chirac et de sa ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, était nimbée de rêves. « Si on achevait tous les programmes prévus, nous aurions 40 milliards d’euros d’équipements militaires à financer dans les années prochaines. C’est impossible », raconte un haut fonctionnaire. Avant l’élection présidentielle, tous les initiés savaient qu’il y avait ce « mur » infranchissable de 40 milliards devant nous, mais il ne fallait surtout pas vexer Jacques Chirac encore à l’Elysée !
Depuis, la curée a commencé. Les armées, c’est certain, auront moins de joujoux (Rafale, frégates multimissions FREMM, hélicoptères NH90, sous-marins SNA Barracuda, véhicules blindés, etc) et peut-être pas de deuxième porte-avions avant dix ans… Le « Livre Blanc » et la RGPP doivent encore réduire l’arsenal et enterrer définitivement les illusions chiraquiennes…
Vexés de n’avoir pas été suffisamment associés à tous ces travaux, les parlementaires, pour le moment, boudent. Ils ont eux-mêmes entrepris dans leur coin leurs propres petites études, notamment sur le naval militaire et sur les opérations extérieures. Histoire de montrer qu’ils existent, en attendant que la réforme des institutions leur donne, comme promis, un peu plus de pouvoir de contrôle sur la défense, qui fait pourtant toujours partie du « domaine réservé » du chef de l’Etat.
Du coup, entre l’Elysée, les ministères, les état-majors, les élus et les diverses commissions, ça tire à vue. Chacun veut avoir son mot à dire avant les décisions douloureuses. Voilà qui promet de belles mêlées dans les semaines qui viennent. Et pas mal de blessés sur le champ de bataille.
A suivre…
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Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945, constituent l’une des pages sombres de l’histoire française. La répression menée par l’armée colonialiste avait fait des milliers de morts parmi les manifestants algériens sortis en grand nombre après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Soixante-trois ans après les tragiques événements du 8 mai 45 en Algérie, les historiens, y compris français, s’accordent à souligner leur caractère prémédité et sa finalité criminelle. Il y a aujourd’hui le recul et certainement la sérénité aussi, nécessaires à la juste qualification de la terrible action punitive engagée par la France coloniale contre des Algériens épris de liberté. L’ampleur des moyens mobilisés pour réprimer étaient largement disproportionnés par rapport à une revendication pacifique des manifestants algériens qui ne s’attendaient pas à un aussi puissant déploiement guerrier. Les autorités coloniales, mais au-dessus d’elles le gouvernement français, avaient en fait adopté de longue date la conduite à tenir contre les manifestants algériens. Le général de Gaulle lui-même était un tenant de la répression implacable à laquelle il apporta sa bénédiction en tant que chef emblématique de la France. Son image de héros, sa stature de libérateur ne peuvent être, dans la balance de l’histoire, qu’entachées du sang des milliers de morts tombés à Sétif, Guelma et Kherrata.(…)