Tours, détours et retours sur Israël, le Liban, la crise et son "dénouement".
Avec la certitude des néophytes, le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy affirme que « le Conseil de sécurité a décidé d’arrêter la guerre », en ajoutant le plus sérieusement du monde : « C’est grâce au travail que nous avons fait avec les Américains que la démocratie s’est réinstallée au Liban ». Et il conclut : « Il n’est pas possible de remettre cela en cause ». No comment …
Il y aurait énormément à dire sur le fonctionnement et la composition du Conseil de sécurité des Nations-unies qui, en définitive, ne décide que ce que ses membres les plus puissants s’accordent à décider. Quant à la liaison conceptuelle établie au début des années quatre-vingt par les néo-conservateurs américains entre « paix et démocratie », il y aurait encore plus à dire, ne serait-ce qu’en direction de l’Arabie saoudite, de l’Egypte ou du Pakistan.
Toujours est-il que le Conseil de sécurité « a décidé d’arrêter la guerre », le 11 août dernier, soit près d’un mois après le début des hostilités ouvertes, après plus d’un millier de victimes civiles libanaises, après la destruction des infrastructures civiles du pays - dont les dommages sont évalués à plus de 10 milliards de dollars -, après une marée noire qui va durablement polluer les côtes méditerranéennes, après des destructions qui ont surpassé en un mois de bombardements israéliens celles d’une guerre civile de quinze ans…
Certes, l’adoption de la résolution 1701 qui marque - pour l’instant un arrêt des hostilités et un retrait de l’armée israélienne du territoire libanais - doit beaucoup à la diplomatie française après bien des circonvolutions. Le texte de cette résolution n’en demeure pas moins très inéquitable parce qu’il impute la responsabilité du conflit au Hezbollah alors que même la presse américaine admet, aujourd’hui, que l’offensive israélienne contre le Liban était planifiée depuis plusieurs mois. Il demande, d’une part, la cessation des « attaques » du Hezbollah et d’autre part, l’arrêt par Israël des « offensives » militaires, ce qui sous-entend qu’il n’exclut pas des opérations « défensives », comme si, dans la région, seul Israël avait le droit de légitime défense.
Avant d’arriver à ce compromis minimal, Jacques Chirac, comme ses partenaires des sept pays les plus industrialisés (G8 du 15 juillet à Saint-Pétersbourg) a donné carte blanche à l’offensive israélienne dont l’objectif prémédité et minutieusement préparé était d’en finir avec la résistance du Hezbollah, comme il s’agit, pour Tel-Aviv d’en finir avec la résistance palestinienne. Trois facteurs ont présidé à cet alignement : 1) la sous-estimation des destructions de l’armée israélienne ; 2) la sous-estimation de la résistance du Hezbollah et de la population libanaise ; 3) enfin - last but not least - le piège initial de la résolution 1559 (adoptée par le Conseil de sécurité le 2 septembre 2004) responsable en partie du déclenchement de cette nouvelle guerre. Ce faisant, le président français acceptait ce que son prédécesseur François Mitterrand a toujours farouchement refusé, à savoir que le G8 - « ce club de richards », comme dit Vladimir Poutine - s’impose comme un directoire du monde, se substituant ainsi peu ou prou à l’Organisation des Nations unies.
Le 17 juillet, lors de sa visite à Beyrouth, le premier ministre Dominique de Villepin reste sur la même ligne en demandant « la libération inconditionnelle des prisonniers israéliens », sans même faire allusion à un cessez-le-feu, ni à la destruction du pays.
Le 26 juillet, lors de la conférence internationale de Rome, Paris, qui préside le Conseil de sécurité durant le mois de juillet, commence à changer de cap en demandant, contre l’avis de Washington, « la cessation des hostilités ». Un premier projet français de résolution commence à circuler parmi les membres du Conseil de sécurité et fait l’objet d’une discussion formelle le 31 juillet. Cette initiative vise à contrecarrer une proposition anglo-américaine de l’envoi d’une force internationale « de stabilisation » s’appuyant principalement sur l’OTAN, chargée d’imposer la paix sous chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Mais cette posture ne dure pas. Les diplomates français et américains veulent restaurer une bonne collaboration identique à celle qui a présidé à l’adoption de la résolution 1559. A l’écoute des généraux israéliens, Washington joue la montre et gagne des jours, espérant que l’armée israélienne arrivera à imposer sur le terrain une victoire, sinon définitive, en tout cas symbolique. Cette victoire n’arrivant pas, Condoleezza Rice doit se résoudre à envisager une cessation des hostilités. Elle donne son accord à un texte commun avec les Français, rendu public le 4 août. Hélas, ce projet ne faisant pas référence, entre autres, au retrait de l’armée israélienne , n’était acceptable ni pour les Libanais ni pour les pays arabes .
La diplomatie français revient alors à une position plus équilibrée en intégrant les principaux points du plan du gouvernement libanais présenté à Rome, expliquant à son homologue américaine que la sécurité d’Israël dépend aussi de la solidité de l’Etat libanais. Revenant à l’esprit de la 1559 et au désarmement de tous les groupes armés au Liban, ces arguments finissent par l’emporter. Au grand dam d’Israël, ce sont une FINUL renforcée et l’armée libanaise qui se déploieront dans le sud.
Le 11 août 2006, la résolution 1701 est adoptée à l’unanimité des quinze membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle est aussi le résultat d’un bras de fer interne à l’administration Bush où les faucons, partisans d’une extension du conflit à la Syrie et à l’Iran, doivent remettre à plus tard leurs plans bellicistes. Elle est enfin la conséquence de l’échec militaire de l’armée israélienne et surtout de la résistance du Hezbollah et du peuple libanais ayant dépassé toutes les prévisions des stratèges de Washington et Tel-Aviv.
Néanmoins, le péché originel de la résolution 1559 demeure : celui d’avoir dissocié le Liban de son contexte régional, de l’épicentre du conflit israélo-palestinien qui demeure la matrice mortifère de l’arc de crise proche et moyen-oriental. Le Docteur Chirac et Mister Douste-Blazy ne peuvent ignorer qu’une « réinstallation de la démocratie au Liban » reste difficilement durable tant qu’une paix juste et équitable, régionale et globale n’aura pas été instaurée entre Israël et la Palestine.