Dans une lettre à Élie Barnavi, ancien ambassadeur israélien en France, Régis Debray fait part de ses positions sur les Palestiniens, l’antisémitisme en France et les impasses de la politique israélienne après Gaza.
En consultant les mains courantes des commissariats, je n’ai trouvé aucune trace rapportant une agression contre Régis Debray. Pourtant, à l’écouter, après la sortie de sa lettre à un ami israélien, il craignait les coups de trique de la Ligue de défense juive, ceux du Bétar et même une fatwa lancée par un rabbin énervé de Méa Shéarim, un quartier de Jérusalem. Aux dernières nouvelles, Debray continue de dîner chez les Badinter, de muets supporteurs du régime de Nétanyahou, où le caviar est payé par les bonus de Publicis. Trust de pub d’Élisabeth qui, cher Régis, ne crache pas sur les appels d’offres même quand ils sont lancés par vos ennemis du Pentagone. Résumons : Régis est en bonne santé.
En février 2002, Debray a publié un bouquin inspiré d’une visite en Orient, un Candide en Terre Sainte. Bible et Évangiles dans ses poches revolver, Debray marchait sur la trace de Moïse et Jésus, ce qui nécessite de bons Pataugas. Sortant parfois des traces divines, il cessait de lever les yeux au ciel pour observer la vie en auteur d’hommes. Voir que les soldates israéliennes ont de « belles fesses », alors que, dans les cambuses des policiers arabes, « ça sent la pisse ». Relever ce genre de détails prouve que passer par Normale sup n’est pas perdre son temps.
Depuis deux ans, du plomb durci ayant coulé sous les ponts de Gaza, Debray s’intéresse à ceux qui, en Palestine, vivent là où ça pue, du mauvais côté du fusil. Tant mieux que, si tard, notre néo-saint Paul trouve son chemin de Ramallah. Même Finkielkraut et BHL viennent de signer la pétition de JCall, qui réclame l’arrêt de la colonisation en Palestine. C’est dire que l’on peut écrire que Liebermann, le ministre des Affaires étrangères israélien, est un voyou fasciste, sans risquer le couperet de la bonne pensée. Dans l’horreur accumulée là-bas, le bouquin de mon ami Régis arrive si tard qu’il est reçu comme un accessoire de mode, un médium faisant circuler du consensus. Chirac, l’autre ami de Régis, dirait de son bouquin qu’il fait « pschitt ».
Pour commencer, erreur du facteur ? Il adresse sa lettre à la mauvaise personne, Élie Barnavi. Avec nos aimés confrères de Marianne, Debray est le seul à croire que Barnavi est un homme de gauche et de paix. En Israël, des profs ont fait une pétition afin de demander au gouvernement de cesser de confier à cet ancien ambassadeur trop réac la rédaction des manuels scolaires. On lui pardonne : pour avoir servi Mitterrand, Régis a pour habitude de confondre sa droite et sa gauche. Comme sur les chaussures d’enfants, il faudrait lui tracer des signes sur le dessus de ses Pataugas, un « D » coté accélérateur, un « G » côté frein.
Sur le contenu de cet ouvrage, qu’il faut lire même avec rage, on note que Debray a un modèle, Théodore Herzl, un théoricien du sionisme. Une simple lecture des textes de ce Théodore aurait pu ouvrir les yeux de Régis, lui indiquer que ce pionnier n’était qu’un colonisateur.
Et ce n’est pas sur le terrain, en rampant entre les check-points des territoires occupés, que Debray prend des risques. Mais en restant chez lui à l’ombre de l’Odéon. Là, carrément courageux, il pose la question : « Si les synagogues déploient le drapeau [israélien] et battent tambour, comment veux-tu que le Maghrébin de Barbès prenne au sérieux les appels à ne pas confondre les juifs de France et l’État d’Israël ? » Dans ce chapitre, Régis retombe dans ses vieilles pompes de révolutionnaire, cogne sur ces politiciens laïcs qui se rendent au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France comme Clovis à Reims, pour y recevoir le chrême. Étonnant.
Quant à l’indéfectible ami Barnavi, le récipient d’air, il profite de sa réponse à Debray pour diffamer le philosophe Edgar Morin. Un ami juif de Régis, ancien résistant, qui se retrouve habillé de l’infamant oripeau « d’antisémite ». Ce qui nous prouve qu’Élie, lui, est comme Julio, il n’a pas changé.