Après les Farc, les paramilitaires sont dans le collimateur de la population civile colombienne qui a organisé une marche de protestation le 6 mars. Une mobilisation à haut risque pour le clan Uribe dont les rapports avec les « paracos » alimentent la polémique.
En Colombie, les marches de citoyens en colère se succèdent mais ne se ressemblent pas. Le 4 février dernier, plus de deux millions de Colombiens sont descendus dans les rues pour crier « Non aux Farc ! ». Le 6 mars c’était au tour de dizaines de milliers de personnes de rendre hommage aux victimes des groupes paramilitaires d’extrême-droite et de protester contre la politique anti-terroriste musclée du président Alvaro Uribe.
Toutefois, contrairement au 4 février, la marche du 6 mars ne bénéficiait pas de l’appui des autorités. Et pour cause… Elle ravive le débat sur les accointances entre l’Etat et les sanguinaires paras. Dans l’embarras, l’équipe d’Uribe a très vite annoncé qu’il « autorisait » la manifestation mais ne s’y associait pas.
En coulisses, au château présidentiel, on a fait des pieds et des mains pour faire capoter l’initiative et décourager les manifestants de défiler en les jetant à l’opprobre publique. En Colombie, la population honnit littéralement les Farc et soutient massivement le président Uribe (à 83 % selon les derniers sondages). Ainsi, Jose Obdulio Gaviria, cousin de feu le narco-trafiquant Pablo Escobar et principal conseiller d’Uribe, a accusé la marche du 6 mars d’être « convoquée par les Farc ».
Le directeur de la police nationale a, lui, profité des documents retrouvés sur les ordinateurs de Raul Reyes, le n°2 des Farc tué le 1er mars, pour apporter la preuve que les guérilleros soutenaient la manifestation. Selon lui, les Farc auraient même donné carte blanche à leur bloc Sud – l’un des plus actifs – pour se joindre au cortège. Même les paramilitaires, sensés être démobilisés, ont mis leur grain de sel en publiant un communiqué sur leur site internet où ils accusent la marche de servir la guérilla et fustigent les organisateurs.
Malgré ces manoeuvres politiciennes et un soutien timoré des médias, le conglomérat d’associations de défense des droits de l’homme à l’origine de la marche a mené son projet à terme. En dépit des menaces subies. Comme le confie le représentant du Movice (Mouvement des victimes des crimes d’Etat), Ivan Cepeda, fiston du leader communiste Manuel Cepeda assassiné par des paras en 1994, « elles étaient permanentes et accompagnées de persécutions dans les zones rurales ». Au menu des réjouissances : courriers, mails, coups de fil, graffitis dans les villes… Les « promesses de mort » ont aussi fusé tous azimuts à l’encontre des organisateurs.
Dans les campagnes colombiennes, les reliquats des escadrons de la mort démobilisés au début du millénaire continuent de mettre la pression et de semer la terreur. Si près de 30 000 paramilitaires de la criminelle fédération d’Autodéfense paysanne (AUC, créée en 1997) sont revenus à la vie civile dans le cadre du processus de démobilisation impulsé par l’Etat, plus de 5 000 irréductibles ont conservé leurs (gros) calibres. Recyclés sous des noms de volatiles à donner la chair de poule – comme les « Aigles noirs » – ces milices perpétuent les turpitudes de leurs aînés, responsables de la mort de dizaines de milliers de Colombiens, de millions de déplacés et de l’expropriation de plus d’un million d’hectares de terre.
Tortures, massacres à la tronçonneuse, assassinats à la pelle, et autres techniques barbares importées par des mercenaires étrangers (voir Le "bandit-terroriste" des campagnes colombiennes, in Bakchich) sont autant de pratiques exercées, parfois avec l’aval voire la logistique des uniformes officiels. La cible : les leaders et sympathisants de gauche (communistes, syndicalistes…) ainsi que de modestes paysans sans défense. Le tout pour le compte d’oligarques, de riches propriétaires terriens, de barons de la drogue, tous soucieux d’éradiquer les Farc.
« Les victimes de ces milices sont des oubliés, des invisibles que l’Etat refuse de considérer » souligne Ivan Cepeda. Des victimes dont les bourreaux disposent de surcroît d’une quasi-impunité prévue par une loi votée en 2005 et connue sous le nom de loi « justice et paix ». C’est que les tentacules du cartel militarisé atteignent les plus hautes sphères de l’Etat, du congrès au… palais présidentiel. En Colombie, on appelle cela la parapolitique.
Plusieurs fois montré du doigt, le président Alvaro Uribe slalome entre les accusations. En juillet 2004, l’hebdo gringo Newsweek dévoile un document déclassifié du Pentagone, daté de septembre 1991. Alvaro Uribe, alors sénateur du département d’Antioquia, est qualifié de « proche ami de Pablo Escobar » et soupçonné de complicité avec le cartel de Medellin qui soutenait financièrement les paramilitaires. Uribe a démenti mais les déclarations de divers chefs paras démobilisés plaident en sa défaveur, tout comme le contenu de leurs ordinateurs.
Fin 2006, la paperasserie glanée sur le disque dur du chef « Jorge 40 » lève par exemple le voile sur un plan évoquant la planification de massacres ainsi que des fraudes électorales en faveur de l’intronisation d’Uribe en 2002 et 2006. Ce qui mouille au passage un paquet de personnalités politiques avec qui Uribe partage sa sellette. Aujourd’hui, 46 membres du Congrès sont dans la ligne de mire de la justice colombienne pour leurs liens présumés avec les milices d’extrême droite.
Les pancartes et slogans des marcheurs du 6 mars ont sérieusement asticoté ces réseaux délétères à coups de pancartes peintes d’un « Non à Uribe ». Toutefois, les manifestants ont rendu hommage tant aux victimes des paramilitaires qu’à celles des Farc. C’est un début.
A lire ou relire dans Bakchich :
Il y a poudre et poudre. Pour faire siffler les balles, et semer la terreur, la guérilla comme les milices paras ont de la bouteille. A la genèse même du paramilitarisme colombien, le but ultime est l’éradication des guérillas de gauche et plus largement du socialisme, du communisme, du syndicalisme. Les Farc et l’ELN, principales avatars militarisés de ces courants politiques décimés - certaines associations de droits de l’Homme et associations militantes, utilisent la terminologie de "génocide politique" àl’égard du Parti communiste colombien et de l’Union Patriotique - constituent l’ennemi à abattre…avec parfois la bienveillance de l’Etat, par le passé.
En tout cas, question poudre à débauche, les ennemis peuvent s’arranger à l’amiable pour se partager le business autour d’une bonne aguardiente. Les paras des "aigles noirs" et les Farc se sont assis à la même table, vers octobre dernier, pour fixer les prix et se répartir les voies de transport. Donc pour faire parler la poudre, les deux s’avèrent volubiles. Mais depuis les négociations ô combien critiquées du gouvernement Uribe avec les paras, découlant sur une démobilisation massive mais pas totale, les autorités prétendent combattre les groupes paras. Mais, les moyens déployés ne seraient pas les mêmes que contre les Farc. Et les connexions douteuses de certains politicards avec les paras semblent en être la raison.
Désolé pour cette réponse un peu tardive