Safran, petit nouveau de l’industrie française de l’armement, se débat toujours dans les luttes intestines. Avec un certain sens de la créativité. Dernier épisode en date, l’auto-barbouzerie.
Le 15 janvier prochain, un grand homme va officiellement réapparaître dans le monde de l’industrie française, Francis Mer. Et l’ancien ministre des Finances, ex-patron d’Arcelor, revient par la grande porte, bombardé président du conseil de surveillance de Safran, le dernier né de l’armement français.
L’État français, premier actionnaire de la boîte, l’a tout simplement chargé d’y ramener la paix.
Depuis sa création en 2005, Safran, groupe spécialisé dans l’aéronautique et les télécommunications, pimente un peu les pages éco des grands journaux parisiens. Issu de la fusion de la Snecma (propulsion et équipements aéronautiques et spatiaux) et Sagem (communications, défense, et sécurité), le nouveau groupe digère mal l’absorption des deux entités, aux objectifs plutôt divergents. L’un vend des avions neufs, l’autre « boostent » les vieux. Et les anciens de chaque camp s’asticotent gaiement. Démissions, rétrogradations, brimades… Une saine ambiance de travail sur laquelle Bakchich s’était timidement épanché.
Mer doit ainsi y jouer le rôle de « pacificateur ». Un vrai rôle de composition pour ce polytechnicien aussi bien réputé pour son ton cassant que pour ses colères homériques.
Quelques éminents pontes du groupe en tremblent déjà, au premier rang desquels Jean-Paul Béchat, le président du directoire de Safran. Le bon Francis est tout simplement chargé de lui trouver un remplaçant. Dead-line, le 2 septembre, anniversaire de l’ami Jean-Paul. Un joli cadeau qui pourrait toutefois être offert à l’avance.
Car c’est sous la gouverne de Béchat, venu de la Snecma, que la guerre des clans s’est déclarée. En fin d’année, le brave Béchat, autre « encorné » polytechnicien, placé un des ses hommes, Herteman à la tête de Sagem défense et sécurité (SDS), en lieu et place de l’historique Jacques Paccard. Tout en virant l’un des pères du nucléaire français et autre dirigeant historique de Sagem, Daniel Dupuy. Cerise sur la gâteau, Béchat accuse désormais Paccard de malversations.
Mais de pittoresques barbouzeries assombrissent bien plus l’avenir du président du directoire de Safran. Elément connu et relayé dans la presse, un administrateur salarié du groupe, Christian Halary a porté plainte en novembre dernier pour diffamation, surveillance de son domicile et de ses communications. Représentant des actionnaires salariés du groupe (19,2% des parts tout de même) et en poste à Sagem sécurité, Halary a eu la surprise un beau matin, de découvrir une camionnette en bas de chez lui. Peu discret le véhicule était équipé de caméra.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, l’administrateur a également constaté que son accès internet, ses boites de courrier électronique et son téléphone ont été piratés…et son routeur Internet crashé. Sitôt la brigade d’enquêtes sur les atteintes au personne et, au passage, la DST, branché sur le coup, la camionnette a opportunément disparu. L’enquête, lancée en novembre n’avance guère, bien que le numéro d’immatriculation du véhicule ait été relevé… Une lenteur étonnante aux vues de la responsabilité de Christian Halary, dans un secteur aussi sensible que l’armement. Plus étonnant encore, la direction de Safran n’a pas moufté sur l’affaire, pas plus que le responsable de la sécurité du groupe, Jacques Suspène. « Au minimum, quand un salarié est surveillé, le responsable de la sécurité d’un groupe d’armement entre en contact avec lui », précise un cadre du groupe. Rien de tel n’a été fait. Ex de la Snecma et proche de Béchat, Suspène a eu à l’époque bien mieux à faire.
Dans la nuit du 8 au 9 novembre, soit le jour où l’affaire Halary sort dans la presse, le directeur de la sécurité de Safran s’est amusé à poser des micros…dans les propres locaux de Safran. Sans doute histoire d’écouter les cancans de la boîte. Ou, osent les plus téméraires, surveiller ce que préparaient les administrateurs en vu du prochain conseil. Etrangement, les bureaux des administrateurs avaient récemment été déménagé.
Un brin malchanceux, Suspene s’est fait pincé, en compagnie d’un ancien officier de l’Armée de l’Air. Et a sorti un mot d’excuse béton : « j’ai agi sur ordre de la DPSD » ( la direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense), l’un des services de renseignement de la Défense. Un peu bégueule, le service en question a immédiatement fait savoir aux pontes du groupe qu’il n’y était pour rien et a diligenté une enquête sur l’affaire et sur le loustic qu’elle connaît bien.
Ancien de la DPSD et de la DRM, Suspene se traîne depuis une réputation de « Lagaffe des services », glissent les plus polis. Il y a laissé l’image d’un « brave gars », serviable au possible et incapable de prendre une initiative, qui plus est quand elle est aussi risquée que la pose de micros dans sa propre entreprise…
Son aventure a fait le tour des machines à café de Safran et de ses filiales, y compris en province. Et les pontes du conseil de surveillance, les yeux rieurs, n’ont pas besoin d’être beaucoup poussé pour évoquer l’affaire. Seuls Jacques Suspène, en vacances et dont le portable reste étonnamment sourd aux appels de Bakchich, et son patron Béchat, semblent peu amusés par la tournure des évènements.
Francis Mer trouvera sûrement les mots pour les dérider.