En taule, la WiFi n’est pas garantie ! Alors, gardez toujours des sous pour payer vos amendes, sinon, vous risquez d’être privé de Bakchich …
On en entend beaucoup parler de cette dame qui, s’étant fait sucrer son permis de conduire, a fini par prendre le maquis pour ne pas se retrouver en taule pour trois mois. À la télé, tous les journaux y vont de leur « sujet », avec des mots délicats : ils disent avec délectation que la dame est « en cavale », comme l’ennemi public numéro un ou les plastiqueurs corses que personne n’a vu. À la base, on attendrait un ou plusieurs cadavres, de chiens ou de cyclistes. Mais non. Rien de bien grave, apparemment : l’accumulation des infractions, comme on dit. Et la dame assure que, si elle n’a pas rendu son permis, c’est parce qu’elle l’avait paumé. Même si elle a tout fait pour pouvoir continuer à conduire, il y a paraît-il des milliers de gens qui n’ont même pas passé le permis et se servent de leur auto pour aller bosser, alors… Allez donc savoir ?
C’est là que ça commence à devenir intéressant. En effet, dans une interview téléphonique, l’avocate de la dame nous assure que la gendarmerie a opéré une descente chez la coupable pour vérifier, en fouillant partout, qu’elle avait bel et bien perdu son permis (qui, du reste, n’a pas été retrouvé). Si le fait est exact – et pourquoi pas ? – on reste stupéfait de tant de zèle de la part de la gendarmerie, qui n’a sans doute rien de mieux à faire que de venir chercher un permis de conduire entre deux piles de draps ou dans un tiroir de petites culottes en dentelle. Il faudrait supposer qu’un juge l’ait mandaté pour cela, et la question ne fait que se déporter d’un cran : mince, les juges (débordés, ils le crient sur tous les toits) n’ont rien d’autre à foutre que de lancer des procédures de perquisition contre une dame qui prétend avoir perdu son permis de conduire ? Toute affaire cessante, on lance la force publique pour coincer la gueuse, au frais du contribuable (toute cette procédure a dû coûter bonbon, nettement plus que l’amende !) : en voilà, une haute mission pour la justice, que l’on sait en manque d’effectifs, de moyens et peut-être de shérifs…
Et puisqu’on parle de moyens, il faut quand même dire le fond de l’affaire : l’amende infligée à la dame (sans doute par le même juge ?) était de 1 090 euros. Il y a des gens qui ne peuvent pas payer 1 090 euros, monsieur le juge, je vous assure, ça existe, lisez les journaux : 9 millions de pauvres, ça crée des probabilités. Et elle est peut-être dans ce cas, la dame. Alors, si j’ai bien compris (mais c’est pas sûr) le juge a « commué » l’amende… en 100 jours de zonzon !
Non, mais, vous vous doutiez que pour 1090 euros d’impayés on pouvait morfler 100 jours de taule ? 11 euros par jour, j’arrondis, ça vaut que ça, un jour de taule ? Mais alors, combien de siècles vont devoir raquer les salopards qui ont trinqué de monstrueuses amendes pour avoir fraudé le fisc, par exemple des chanteurs aux oreilles percées ou à la barbichette patagonne ? Ou encore des patrons de restaurants qui ont oublié à l’insu de leur plein gré de déclarer leur plongeur, leur pâtisser, leurs trois serveuses et même leur cuisinier (il y a des inspecteur du travail et des contrôleurs du fisc qu’un restaurant de quatre-vingt couverts fonctionnant avec trois employés déclarés n’étonne pas plus que ça…) ? et tous ceux qui font de l’ « optimisation fiscale » à hauteur, selon l’abbé Woerth lui-même, d’une trentaine de milliards, de quoi ne pas fermer quelques hostos et rétrécir la dette qui nous tue ? Et Carrefour, qui vient de se faire épingler pour avoir fourgué de la barbaque pas nette, il la paiera à cent pour cent, l’amende ? Et les vaillants petits maçons qui ont roulé la SNCF ? Sinon, zonzon pour tout le conseil d’administration, puisqu’il est réputé administrer !
On comprend d’autant mieux les revendications des personnels pénitentiaires. Nous allons vers les 60 millions de taulards, en tête du peloton européen, et il y a des juges qui ne demandent qu’à fournir de quoi faire un peu plus péter les geôles en convertissant les amendes en mois de séjour… Bref, la prison pour dettes, cette beauté de l’Ancien Régime, n’est pas vraiment abolie dans les têtes de nos magistrats. Surtout quand on peut, comme ça, envoyer en cabane des gens pas vraiment dangereux comme cette dame qui, peut-être, grille les radars, mais, en tout cas, ne vole pas l’auto dans laquelle elle roule, et ne tue personne avec son sèche-cheveux électrique.
Et en dehors d’un bon coup de répression à la con, ça va apporter quoi, ces jours de prison ? On ne peut pas évoquer la puissance éducative de la taule, il n’y a pas de cours de conduite au menu pour améliorer son respect des feux rouges et de la ceinture de sécurité. Socialement, elle n’a aucun crime sur la conscience : elle ne fabrique même pas un chômeur par la gestion nullarde de ses affaires, elle n’a pas fait couler de PME en refusant un prêt, ni jeté, inversement, de pauvres gens dans l’hyper-endettement.
Tiens, au fait, si on prend trois mois pour ne pas pouvoir payer 1 090 euros, on aura droit à combien lorsqu’on a, au mépris de la réglementation, refilé un crédit de 1 000 euros à quelqu’un qui était déjà surendetté ? Attention, il y a des gens qui se font sauter le caisson pour ça, quand ils se retrouvent à trente mille balles sous zéro… Et tous les faillis frauduleux de l’immobilier, ou les « maîtres d’ouvrages » qui ont salopé la maisonnette, toit troué, fenêtres en trapèze, fuites d’eau, bien peinards pendant quatre ou cinq ans parce que c’est le temps, paraît-il, d’une procédure judiciaire (quand on vous dit que les juges sont débordés !). Et d’ici là, le plaignant, qui peut tout de même pas loger dans la niche du chien, sera débouté parce qu’il aura habité les lieux et sera donc réputé avoir accepté le produit (ne parlons pas de ceux qui n’ont plus de sous pour payer les experts…). Ça, c’était juste pour l’exemple, vous en avez certainement d’autres en tête, chacun ses expériences !
Eh oui, là, la justice est d’une lenteur d’escargot bourré, c’est d’ailleurs notre réputation internationale (il n’y a qu’en France qu’un truc comme l’affaire Viguier met dix ans à arriver au tribunal…) et on ne peut pas dire (voir Outreau and Co) que c’est une garantie de qualité. En revanche, pour passer de l’infraction au code de la route à la pension gratuite en cellule, ça va vite, et ça fait jouir. Justice est faite, dura lex sed lex, on enlève ses lacets et sa ceinture, et on met ses objets de valeurs dans la boite. Et surtout, on dit merci au « petit noir » qui protège la société avec autant d’intelligence que de rigueur !
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