La ressemblance de l’Homme et de la grenouille saute aux yeux globuleux, et pas seulement dans les bassins nautiques.
La revue Science révèle qu’une équipe de biologistes internationaux vient de séquencer le premier génome amphibien. Les plus naïfs de nos congénères s’en offusqueront peut-être : l’analyse du génome de la grenouille révèle d’importantes similitudes avec le nôtre. L’Homme, ce génial cousin du singe, l’inventeur des pyramides, de l’épluche-patates et de la bombe atomique, ne serait qu’un collatéral de la Xenopus Tropicalis. En ces temps de perturbations économiques où le baromètre du moral des Français est à la pluie, cette découverte nous plonge un peu plus dans le marécage de nos illusions.
Pourtant, la ressemblance de l’Homme et de la grenouille saute aux yeux, et pas seulement dans les bassins nautiques. En quelques croquis, le suisse Lavater, qui prétendait connaître les hommes par leur physionomie, métamorphosait le regard vitreux et le large sourire du batracien en profil délicat de l’Apollon. Du crapaud répugnant au bellâtre du Belvédère, il n’y a que l’infime écart d’un trait de crayon, un simple clic sur Photoshop. De quoi rassurer les rois crapoussins en quête de princesses à bécots magiques.
Les fabulistes ont fait de l’amphibien boursouflé le symbole de la vanité et des colonies grenouillardes celui du peuple sot. Louis XV, curieux des rumeurs populacières, n’envoyait-il pas ses mouches écouter, aux quatre coins de Paris, ce que disaient les grenouilles de Sa Majesté ? Mais si les coassements du marais parviennent quelquefois aux oreilles des notables, ces derniers ne sont pas près d’abandonner leur cossu nénuphar. D’avoir trop goulûment bouffé la grenouille, un certain crapaud-buffle des rivages méridionaux se voit traîné dans les prétoires au crépuscule de sa vie et y meugle des lamentations sur son anoure perdu. Un autre, à la gorge renflée, noble grenouilleur de financements électoraux, jabote son innocence dans les gazettes. Pendant ce temps, la rainette héréditaire qui veut se faire plus grosse que son bœuf de père, clapote sous la Pucelle en coassant l’hymne national. Souhaitons que, telle la grenouille à cheveux de Gripari, la blonde et tricolore batracienne se ratatinera en hoquetant : coap, coap, coap.
Bien des têtards aux dents longues aspirent à quitter la flaque. Mais à vouloir troquer ses branchies contre des poumons, sa nageoire godille contre des membres déliés, sa peau visqueuse contre une poilue, on finit par courir après le bus et les points de retraite. Et l’Homme de rêver à cet ancêtre commun à tous les mammifères, oiseaux, amphibiens et dinosaures, qui vivait il y a 360 millions d’années. Le bonheur est dans la mare et le gobage des mouches.