Vendredi 29 août, le MEDEF a achevé son Université d’été. Et une question reste en suspens : le Mouvement représente-t-il les entreprises ou les patrons ? Derrière l’esbroufe de façade, la réponse est évidente. Retour sur une OPA lexicale.
Le 27 octobre 1998, Denis Kessler et Ernest-Antoine Seillière ont eu la cynique idée de faire une OPA… lexicale. Grâce à leurs petits soins, le syndicat des patrons (CNPF) s’est muté sans coup férir en Mouvement des Entreprises de France (MEDEF). C’est plus clean, plus moderne, mais surtout plus opaque. Bonjour l’arnaque.
Contrairement à ce que nos deux génies du verbe tentent de nous faire avaler, « entreprise » n’est pas synonyme de « patron ». L’entreprise associe différentes « parties prenantes » pour produire des biens ou des services, c’est un regroupement hétérogène de moyens. Si c’est d’abord une affaire d’hommes, au pluriel et souvent au féminin. Le collectif est polymorphe : du patron (le susnommé) au balayeur en passant par l’ouvrier. C’est aussi un agrégat d’éléments matériels constitué du capital (l’outil de production) et de sa contrepartie financière. Cette définition fait aujourd’hui quasiment l’unanimité à quelques nuances près. [1].
Dans leur OPA, ni Denis Kessler, ni le baron Seillière n’ont eu envie de prendre en compte le sort des employés, ouvriers, et autres sous-développés. L’entourloupette s’est faite au seul profit de ses fondateurs. C’est qu’il faut préserver le patronat. Heureusement, le Medef est là pour ça. Et à chaque petite augmentation du Smic, il râle : on va ruiner l’entreprise, ces augmentations entraînent des « charges supplémentaires, qui handicapent la compétitivité de nos entreprises ». En revanche la hausse des revenus des dirigeants, en général beaucoup plus conséquente, n’a, du point de vue du Medef et de ses cerveaux, aucune incidence sur la compétitivité de la France.
C’est un coup marketing à la Thalès. C’est-à-dire que la marque a changé, mais pas le contenu. In fine, cette OPA n’avait que deux objectifs : D’abord, de tirer parti, à la fin des années 1990, du regain d’affection des Français pour l’entreprise. Mais aussi et surtout, de créer la confusion, au bénéfice de ses auteurs. Le CNPF avait au moins le mérite d’être transparent : c’était clair, des gars comme Jean Gandois et Yvon Gattaz s’exprimaient au nom d’une classe sociale. Mais, de stock options en parachutes dorés, le discours est devenu de moins en moins audible. Et pour en avoir plus encore, les patrons se sont cachés derrière l’entreprise, sans provoquer, à l’époque, beaucoup de remous.
Le hic, c’est que les conséquences de cette OPA, aujourd’hui, sont dramatiques. Un peu comme dans l’Ancien Régime, quand le roi et le royaume ne faisaient qu’un, le patron et l’entreprise sont, peu à peu, en train de se confondre.
Contre cette tendance, la majorité des théoriciens contemporains de l’entreprise soulignent le rôle déterminant de chaque salarié dans le groupe de travail, chacun devant s’impliquer à fonds dans son job et dans la vie de sa boîte. Cette « aventure collective », typique des entreprises japonaises et allemandes contemporaines, est rendue impossible en France. A cause, justement, de l’OPA de Denis Kessler et de son pote Seillière.
Mais, pour pallier cette lacune, il y a… Madame Parisot ! Qui se prend de temps en temps les pieds dans le tapis. Il faut dire que la dame excelle dans le lapsus. Aussi, dans son point presse du 18 décembre 2007, elle n’a pas hésité à parler au nom du bon vieux « patronat ». L’avantage, c’est que par ses bourdes à répétition, l’héritière nous ramène à la réalité, nous rappelant que le MEDEF ne représente, dans le fonds, qu’une classe sociale, celle des chefs d’entreprise.
[1] Les prix Nobel d’économie, Coase et Wiliamson, pensent que l’entreprise est une organisation autoritaire et hiérarchisée, alors que les néoclassiques et les juristes y voient davantage un noeud de contrats entre personnes consentantes
Les prix Nobel d’économie, Coase et Wiliamson, pensent que l’entreprise est une organisation autoritaire et hiérarchisée, alors que les néoclassiques et les juristes y voient davantage un noeud de contrats entre personnes consentantes
Quelques corrections à apporter : Coase a reçu le Nobel d’Economie, Williamson pas encore (il commence à se faire vieux, pas sûr qu’il reçoive un jour le prix). Ensuite, Williamson parle de "hiérarchie", pas vraiment pour illustrer un caractère "autoritaire" des entreprises, mais plutôt par opposition aux marchés. En gros, un marché c’est un ensemble d’acteurs indépendants qui recomposent leurs relations économiques en fonction des besoins du moment, alors qu’une "hiérarchie", c’est une relation stable dans le temps entre certains acteurs bien définis. Par exemple, un patron d’une PME du bâtiment qui recrute des ouvriers clandestins tous les matins au bord d’une route, c’est une relation de marché. Alors qu’un patron de supermarché qui exploite la même quantité de caissières pour une durée indéterminée, c’est une hiérarchie. C’est le contrat qui crée la hiérarchie, en faisant sortir la relation économique de la norme commune du marché (d’où, en langage juriste, la différence entre "contrat d’entreprise" - je fais qqch pour vous contre un certain prix - et "contrat de travail" - contre un certain forfait par période de temps, je suis à votre service pour effectuer certaines tâches ; ce dernier contrat me donne un statut, il stabilise ma relation économique avec mon employeur sur une certaine période de temps). Il faut aussi préciser que le contrat des économistes "orthodoxes" n’est pas forcément un contrat juridique, c’est tout dispositif contraignant (engagement moral, incitations créées par un tiers, etc.) qui a pour but d’encadrer un comportement.
Tout ça pour dire qu’il n’y a pas d’argument moralisateur derrière les notions de marché ou de hiérarchie, Williamson montre justement que l’un ou l’autre, ou des solutions intermédiaires (franchise, licence d’exploitation d’un droit, etc.), peuvent être des solutions optimales en fonction des cas. Ca n’enlève rien à vos arguments, mais c’était pour préciser le propos.