Dans « Bérégovoy, le dernier secret », à paraître le 16 avril chez Fayard, le journaliste Jacques Follorou dresse un portrait en profondeur de l’ancien premier ministre socialiste qui se suicida le 1er mai 1993, après une lourde défaite de la gauche aux législatives. Un homme tendu, habité par une ambition dans l’ombre de François Mitterrand. Sa fin tragique repose sur une énigme plus complexe qu’il n’y paraît. Extraits exclusifs et interview de l’auteur. Aujourd’hui, premier volet de révélations : comment des affairistes faisaient pression sur Pierre Bérégovoy
Jacques Follorou révèle notamment que l’ancien ministre de l’économie, devenu premier ministre le 2 avril 1992, était miné durant ces derniers mois au pouvoir par de sombres histoires d’argent qui dépassaient largement celle évoquée au moment de son décès, à savoir le prêt d’un million de francs qu’il avait reçu de Roger-Patrice Pelat, ami intime de Mitterrand, pour s’acheter un appartement à Paris. D’autres hommes d’affaires et intermédiaires en tous genres, dont lui et sa famille étaient devenus progressivement les obligés, faisaient pression sur lui, pour obtenir protections et avantages. Dont un certain Samir Traboulsi, homme d’affaires libanais, pris dans l’étau judiciaire d’un délit d’initiés sur Péchiney. Extraits (les intertitres sont de Bakchich)
« En cette fin d’année 1992, alors que la gauche avance inexorablement vers une chute électorale que l’on prédit vertigineuse, Bérégovoy s’efforce de tenir la barre vaille que vaille. Face au désastre annoncé, les créanciers des années fastes en profitent pour se rappeler à son bon souvenir. Parmi eux figure le financier libanais Samir Traboulsi qui se démène pour échapper aux foudres judiciaires dans l’affaire Péchiney. Le juge d’instruction Edith Boizette doit clore son enquête d’ici à la fin de l’année. Pour Samir Traboulsi, il est hors de question d’être renvoyé devant le tribunal pour des faits qu’il dément avoir commis.
Déjà, début 1989, lorsque la justice s’est saisie des soupçons de délits d’initié apparus lors du rachat de la société American National Can par le groupe Péchiney, Bérégovoy avait pris ses distances avec le financier libanais. Une précaution qui s’expliquait aussi par la volonté d’éviter que la justice ne mette en évidence ses liens personnels avec des protagonistes de l’affaire, dont Samir Traboulsi ou Roger-Patrice Pelat. Le juge Boizette, entre 1989 et début 1993, n’a ainsi jamais eu connaissance du prêt que lui a accordé, en 1986, l’ami du président.
Bérégovoy a néanmoins vite constaté qu’il n’était plus en mesure de couper définitivement les ponts avec son ami Traboulsi. N’a-t-il pas toujours été à ses côtés, même pendant son passage dans l’opposition ? Leurs familles n’ont-elles pas tissé des liens et partagé des vacances ? L’une des filles Bérégovoy n’a-t-elle pas été soutenue financièrement par l’intermédiaire libanais ? Il lui faudra faire avec…
Pourtant, sa crainte est apparue lorsqu’il a découvert que Samir Traboulsi, au cœur de l’opération industrielle menée par Péchiney, aurait pu jouer un rôle dans l’achat frauduleux de titres (…)
Placé dans la confidence de possibles turpitudes, Pierre Bérégovoy doit vivre avec cette amitié encombrante et tenter de se protéger. Ministre des Finances, le 10 octobre 1991, il se fait le messager de Samir Traboulsi auprès du ministre de la Justice, Henri Nallet, pour qu’il réponde aux inquiétudes du financier libanais. Samir assure, dans sa lettre au garde des Sceaux, que, « face à la vacuité du dossier, le parquet doit requérir un non-lieu à mon égard ». A l’instar de Bernard Tapie, le gouvernement socialiste met ainsi la justice au service de ses amis. Henri Nallet conseille de réfuter la compétence du juge d’instruction pour des faits survenus à l’étranger. En vain.
Samir Traboulsi va exercer une pression constante sur Bérégovoy, surtout après sa nomination à Matignon, début avril 1992. On relève plus d’une trentaine de notes adressées à son bureau ou à son domicile privé entre juin 1992 et février 1993. Elles sont transmises ensuite à Louis Joinet, conseiller justice de Pierre Bérégovoy. Pour la plupart, elles formulent des demandes d’intervention sur la procédure en cours.
Samir Traboulsi, dans ces lettres, fait jouer d’autres cordes que celle du Code de procédure pénale. Satisfait d’une intervention, il conclue ainsi, le 14 septembre 1992, une note au Premier ministre : « Ce premier succès permet de faire en sorte, avec quelque effort, que compte tenu des délais, une exploitation politicienne de cette affaire ne puisse être effectuée avant mars prochain [mars 1993, date des prochaines élections législatives]. »
Pour découvrir ces notes, dénichées par le journaliste Jacques Follorou, cliquez sur la vidéo ci-dessous
Pourtant, cette débauche d’énergie n’exonérera pas Samir Traboulsi de poursuites judiciaires. En désespoir de cause, il sollicite, par écrit, le 6 janvier 1993 l’intervention du chef de l’Etat pour obtenir un non-lieu. Mais il est renvoyé, fin janvier 1993, devant le tribunal correctionnel dans l’affaire Péchiney. La correspondance avec le chef du gouvernement se poursuit néanmoins et l’on peut observer l’inquiétude croissante de Bérégovoy qui craint d’être emporté dans la tourmente. Traboulsi informe, le 20 janvier 1993, le Premier ministre que lors du procès Péchiney, « le cœur du délit sera présenté comme ayant eu lieu au dîner d’anniversaire Chez Edgar [restaurant où a été organisé l’anniversaire de mariage du couple Bérégovoy le 13 novembre 1988] ». Pierre Bérégovoy écrit, le 21 janvier 1993, à son conseiller justice : « L’affaire prend mauvaise tournure surtout si le point de départ est le fameux dîner. Ne peut-on pas, en toute hypothèse, retarder les choses ? »
Le quasi-harcèlement dont il est l’objet trouble manifestement le chef du gouvernement qui semble perdre son sang-froid. Le 31 janvier 1993, à l’adresse de son conseiller Louis Joinet, il lance ainsi, en forme d’appel à l’aide : « Je suis abreuvé de notes. Peut-on vraiment faire quelque chose ? » S’il demande à son collaborateur d’envisager une éventuelle intervention dans la procédure, sans assurance de succès, ne se pose-t-il pas cette question également à lui-même ? (…)
(…) Ses proches ignorent alors que Pierre Bérégovoy a d’autres turpitudes à cacher, plus embarrassantes encore qu’un prêt de un million de francs sans intérêts. Si le juge d’instruction Thierry Jean-Pierre a eu connaissance du prêt bien avant d’en avoir la preuve, pense-t-il, le magistrat saura donc qu’il y a autre chose à trouver. Voilà ce qui tétanise Bérégovoy en ce début d’année 1993. Il ne sait ni quand ni comment cela sera révélé, par la voie judiciaire ou médiatique, par ses propres amis ou ses adversaires politiques, mais sa fonction de Premier ministre et de leader de la gauche pour la campagne des législatives fait de lui une cible de premier choix. (…)
Les craintes de Bérégovoy ne sont pas infondées. Le juge Jean-Pierre a découvert non seulement le prêt Pelat, mais aussi les nombreuses libéralités accordées à sa famille. Difficile de dire « non » à l’ami intime du président, qui plus est lorsque l’on se reconnaît en lui. L’enquête du magistrat a mis en lumière la prise en charge financière par Roger-Patrice Pelat de vacances du couple Bérégovoy, entre 1982 et 1989 ; elle a montré les versements d’argent effectués à Lise Bérégovoy, l’une des filles du Premier ministre dont Pelat se portait également caution auprès des banques pour des emprunts répétés. On y trouve aussi la trace des billets d’avion que Pelat, nommé par Mitterrand au conseil d’administration d’Air France, offrira gracieusement à la jeune femme.
Le magistrat a levé le voile sur les liens financiers tissés au fil des années entre des affairistes entourant Pierre Bérégovoy et certains des membres de sa propre famille. (…) L’incidence de la vie privée de la famille de Pierre Bérégovoy sur l’exercice de ses fonctions publiques est apparue aux yeux de ses propres conseillers ministériels dès son deuxième séjour au ministère des Finances, puis de façon accrue à Matignon. Ils seront plusieurs à tenter de le sensibiliser sur les risques encourus, souvent en vain. Comme ce jour où Olivier Rousselle, son proche conseiller, désire alerter Pierre Bérégovoy sur la trop grande dépendance fianncière qui existe entre Bernard Tapie et certains membres de sa famille. En guise de réponse, Rousselle se verra adresser une fin de non-recevoir et sera prié de quitter son bureau.
De même aurait-il pu s’inquiéter de la persistance de découverts bancaires faramineux accordés par la SDBO, la filiale du Crédit Lyonnais, aux membres de la famille Bérégovoy.
Selon les documents bancaires recueillis par le juge Thierry Jean-Pierre apparaît ainsi, dans des extraits d’un compte ouvert à l’agence Friedland de la SDBO, un découvert de 199 737,20 francs au mois d’avril 1993.
Il sera également fort délicat pour les conseillers de Bérégovoy d’évoquer les relations nouées par les Bérégovoy et les Traboulsi. Si Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Elysée, avait demandé au ministre des Finances de cesser toute relation avec le financier libanais dès 1988, sans doute méconnaissait-il les relations qui unissaient les deux familles. De nouveau, on trouve la trace de prêts d’argent aux membres de la famille Bérégovoy dont sa fille Lise, mais aussi de cadeaux à son épouse, Gilberte, et d’aides ponctuelles à Pierre Bérégovoy lui-même lors de sa période d’opposition entre 1986 et 1988. (…) »
©Fayard, 2008
Retrouvez [1] des extraits exclusifs de Bérégovoy, le dernier secret de Jacques Follorou, Fayard, avril 2008.
[1] la suite->http://www.bakchich.info/article3350.html->xxx
Les scandales de la droite sous la gauche, ce n’est pas triste non plus.
Chirac et ses potes ont passé leur temps à comploter, multiplier les coups tordus pour faire échec à toutes les les mesures "de gauche" qui les dérangeaient, couler ou renverser le gouvernement, et revenir au pouvoir.
Tout ça est vraiment très intéressant !
Ce n’est pas parce qu’on est d’origine sociale modeste qu’on est plus probe que les autres. Au contraire, peut-être. Pour arriver à des postes de vrai pouvoir politique sans être placé là par son nom ou par sa famille, il faut sans doute être prêt à accepter d’être, un peu, puis beaucoup, beaucoup corrompu par le vrai pouvoir : celui de l’argent.
Tiens ça me fait penser à quelqu’un…