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Pakistan : silence on meurt…

Sonnette d’alarme / mercredi 10 septembre 2008 par Mariam Abou Zahab
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Les autorités pakistanaises le nient. Mais ce sont bel et bien des affrontements interconfessionnels entre sunnites et chiites qui se déroulent dans la zone tribale de Kurram, dans le nord-ouest du Pakistan. La situation humanitaire des populations locales devient critique mais, là encore, c’est l’omerta.

La saga Musharraf à peine terminée, l’interminable lutte pour le pouvoir à Islamabad a un goût de déjà vu : le veuf de Benazir Bhutto, Asif Zardari, alias Monsieur 10 %, en raison des affaires de corruption qui lui collent à la peau, président du Pakistan. Voilà qui ne présage rien de bon pour l’avenir de la démocratie dans le pays. Les Pakistanais ont vu, une fois de plus, leurs espoirs déçus et se demandent si le gouvernement va enfin s’attaquer aux vrais problèmes : l’effondrement de l’économie, qui est un facteur majeur de déstabilisation, et la situation sécuritaire, peu reluisante elle aussi.

Ainsi, l’agence tribale de Kurram, qui se situe dans le nord-ouest du Pakistan et à moins d’une centaine de kilomètres de Kaboul (Afghanistan) est le théâtre d’affrontements entre chiites et sunnites qui durent depuis avril 2007. Les choses ne s’arrangent pas, bien au contraire. Depuis le début du mois d’août 2008, les combats ont fait environ 700 morts et plus de 1 000 blessés. Toutes les tentatives pour y mettre un terme — entre autres de nombreuses jirgas (conseils tribaux), mode traditionnel de règlement des conflits, — ont échoué. Le gouvernement pakistanais, qui ne fait rien pour protéger la population, se contente de dénoncer, comme d’habitude, « la main de l’étranger ». Pendant que des groupes extrémistes — sunnites locaux et penjabis, taliban du Waziristan, Ouzbeks, et même quelques mercenaires afghans venus de Khost — tentent de transformer le Pakistan en un deuxième Irak, les dirigeants sont occupés par leurs luttes de pouvoir.

Pourtant, l’heure est grave, car une crise humanitaire de grande ampleur s’aggrave dans l’indifférence générale. Comment en est-on arrivé là ? Kurram compte 500 000 habitants, dont une majorité vit en-dessous du seuil de pauvreté. Cette zone tribale a une particularité : 40 % de ses habitants sont chiites. Le conflit entre tribus sunnites (Mangal et une partie des Bangash) et chiites (Turi) ne date pas d’hier. Déjà, quand les Anglais ont tracé la frontière (la Ligne Durand) en 1893, les Turis qui étaient persécutés par les tribus sunnites ont demandé la protection des autorités britanniques. D’où ce bec de canard qui s’enfonce dans l’Afghanistan : Parachinar, la ville principale (70 000 habitants) se situe à moins de 100 kilomètres de Kaboul. Dans les années 1920, les affrontements étaient récurrents, guerres tribales pour l’accès à la terre et à l’eau ou pour le contrôle d’une tombe de saint.

Silence on meurt… - JPG - 129.4 ko
Silence on meurt…
© Soularue

Après l’invasion soviétique de l’Afghanistan, l’arrivée de réfugiés afghans sunnites a rompu l’équilibre démographique et confessionnel. Parachinar était une des voies d’accès pour les mujahidin afghans, mais les relations étaient tendues avec les chiites locaux, radicalisés par la révolution iranienne et opposés à la politique d’islamisation du général Zia ul Haq (président du Pakistan de 1978 à 1988) auquel ils reprochaient de ne pas aider les groupes chiites en Afghanistan. En 1986, le général Zia a cautionné le massacre des chiites de Parachinar par les sunnites locaux aidés par des mujahidin afghans. En septembre 1996, des combats ont à nouveau opposé sunnites et chiites à Parachinar pendant neuf jours, faisant plus de 200 morts. Cet événement a marqué le début du « paradigme de Parachinar », caractérisé par l’utilisation d’armes lourdes par les deux camps, le soutien de réfugiés afghans et de talibans aux sunnites, et le déploiement de l’armée pour rétablir l’ordre. Les violences sont, certes, liées aux rivalités locales pour le contrôle des ressources, mais la nature et la dimension du conflit ont radicalement changé depuis 2001.

Parachinar est voisine de Tora Bora et, en 2001, les chiites n’ont pas accueilli les militants d’Al Qaida et les talibans qui fuyaient l’Afghanistan. Au contraire. Ils ont aidé l’armée pakistanaise à les pourchasser. Depuis lors, les extrémistes sunnites les considèrent comme des traîtres alliés des États-Unis et des militaires penjabis. Plus récemment, des membres des groupes sunnites extrémistes penjabis interdits en 2002 ont trouvé refuge dans les zones tribales, et plus particulièrement dans le sud de l’agence de Kurram. L’arrivée, dans la région, de ces militants liés aux réseaux d’Al Qaida, a entraîné une recrudescence des violences et notamment l’apparition des attentats-suicides, qui se sont multipliés depuis l’assaut contre la Mosquée rouge d’Islamabad en juillet 2007 (événement dont la dimension sectaire a été totalement occultée en Occident).

Une population qui vit en état de siège

Les talibans se vengent en tuant les soldats et membres des forces paramilitaires chiites faits prisonniers. Ainsi, les sunnites sont généralement libérés après des négociations avec l’armée ou le versement d’une rançon, tandis que les chiites sont décapités, et les DVD de ces exécutions largement diffusés pour semer la terreur.

La région, qui échappe totalement à l’autorité de l’État, est plongée dans le chaos. Comme dans les autres zones tribales, les chefs tribaux et dignitaires religieux ont perdu le contrôle de la situation, et les extrémistes des deux camps, souvent très jeunes, font la loi. L’économie est ruinée, et depuis plus d’un an, la route qui relie Parachinar à Peshawar est coupée, isolant la région du reste du Pakistan. La population vit en état de siège. Maisons, magasins, champs et vergers détruits par les tirs de roquettes et de mortiers ou incendiés, réseaux de télécommunication coupés, pénurie de nourriture obligeant les habitants à s’approvisionner en Afghanistan à des prix prohibitifs, écoles fermées ou détruites et administration paralysée. Les malades et les blessés qui ne peuvent être transportés dans les hôpitaux de Peshawar s’entassent dans les petits hôpitaux locaux, qui manquent de tout : les médicaments et le matériel commandés à Peshawar sont bloqués depuis trois mois. A la mi-juillet les médecins de Parachinar ont lancé un appel à l’aide qui n’a pratiquement pas été entendu. Idem pour l’appel d’Asma Jahangir, présidente de la HRCP (Commission des droits de l’homme du Pakistan, réputée fiable) qui, le 21 juillet, a dénoncé la crise humanitaire et exhorté le gouvernement à protéger la population de la Kurram qui est resté lettre morte.

Les convois de ravitaillement, qui avaient été protégés pendant une courte période en 2007 ne le sont plus, ils sont systématiquement attaqués. Une dizaine de camionneurs chiites ont été enlevés et décapités, et les camions incendiés. Les chiites, qui tentent malgré tout de se déplacer, sont capturés aux barrages érigés par les talibans, et tués en présence de leurs proches ; les chiites sont identifiés par leur nom et par les cicatrices laissées sur leur dos par les flagellations de Moharram. Contrairement aux normes tribales, des femmes sont enlevées et tuées. Des étudiants sont bloqués à Peshawar depuis plus d’un an, les hommes qui travaillent dans le Golfe doivent passer par Khost et Kaboul pour rejoindre l’aéroport de Peshawar, encore faut-il avoir les moyens de payer les passeurs et échapper aux bombardements de la coalition…

L’armée pakistanaise laisse faire

L’armée et les forces paramilitaires restent des spectateurs silencieux, voire complices, alors que les violences se sont étendues à l’agence tribale d’Orakzai et aux villes de la province, notamment Hangu, Kohat et Dera Ismaïl Khan où les tensions entre sunnites et chiites sont exacerbées. Assassinats ciblés, voitures piégées et attentats-suicides – celui perpétré le 19 août dernier dans l’hôpital de Dera Ismaïl Khan a fait une cinquantaine de victimes, presque toutes chiites – sont quasi-quotidiens. Le gouvernement s’est contenté de donner aux combattants un ultimatum de 72 heures qui expirait le 25 août, sans dire ce qu’il comptait faire ensuite, si ce n’est agiter la vague menace d’une opération militaire, ce qui ne règlera rien – l’utilisation d’hélicoptères de combat en avril 2007 n’a pas durablement ramené la paix.

Pire encore : le conflit de Parachinar est instrumentalisé par le Pakistan et l’Afghanistan. Les autorités pakistanaises accusent l’Afghanistan d’ingérence : les Turi auraient recruté des mercenaires payés 10 000 afghanis pour combattre à leurs côtés. Deux « soldats afghans » ont été arrêtés et exhibés en uniforme à la télévision. Ils ont déclaré que leur gouvernement avait envoyé 6 000 hommes (soit le dixième des effectifs de l’armée afghane !) pour lutter aux côtés des Turi… Le ministère pakistanais de l’Intérieur ne cesse de répéter que le conflit n’a rien de confessionnel, mais qu’il est « attisé par les ennemis du Pakistan qui sont sur la frontière ». Tout ceci n’a, bien entendu, d’autre objectif que de répondre aux accusations du gouvernement afghan sur le soutien du Pakistan aux talibans, en tentant bien maladroitement de démontrer que le gouvernement afghan est engagé dans des activités « terroristes » dans les zones tribales.

Les chiites de Kurram passent le Ramadan dans la peur et dans l’isolement, avec le sentiment que les autorités ne les protègent pas parce qu’ils sont chiites, donc citoyens de seconde zone. Le 26 août, à la demande d’une nouvelle jirga de paix, un dignitaire religieux turi a annoncé que sa tribu observerait une trêve durant le Ramadan, pour permettre l’approvisionnement en denrées alimentaires. Les Bangash et cinq autres tribus sunnites ont fait de même quelques jours plus tard, mais les combats n’ont pas cessé pour autant. Le 3 septembre, 32 cadets de la police, qui utilisaient les transports en commun pour rejoindre leur école à Hangu, ont été enlevés par des hommes armés qui cherchaient des chiites. Leurs familles ont peu de chances de les revoir vivants.

Le conflit a des répercussions bien au-delà des zones tribales et de la NWFP (North-West Frontier Province) : les groupes extrémistes interdits ont réapparu dans les villes du Penjab et surtout à Karachi qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la violence. Combien de temps les Pakistanais resteront-ils dans le déni de la réalité ?

Encore un scandale humanitaire ignoré

Les médias occidentaux évoquent rapidement les opérations militaires dans les zones voisines de l’Afghanistan, mais la crise humanitaire et la nouvelle dimension du conflit sont totalement passées sous silence. Des combats se déroulent depuis le 6 août dernier dans la zone tribale de Bajaur (au nord de Peshawar). Ils ont déjà fait au moins 700 morts et entraîné, selon les Nations Unies, l’exode de 300 000 personnes prises en étau entre les talibans et l’armée. Aux premiers jours du Ramadan, les réfugiés, qui ont tout abandonné dans leur fuite s’entassent dans des écoles et des camps de tentes. Les équipes du CICR et du HCR sont dépassées par l’ampleur de la tâche, et ce ne sont pas les 50 000 dollars généreusement offerts par les États-Unis et les couvertures livrées par l’ambassade de France qui changeront grand-chose !

Lire ou relire sur Bakchich.info :

En six ans, les Etats-Unis ont versé 10 milliards de dollars au Pakistan pour l’aider à lutter contre le terrorisme et Al Qaida. Un bien mauvais calcul…
Alors que les photos publiées par « Paris Match » des talibans ayant massacré les soldats français le 18 août en Afghanistan continuent de faire des remous, « Bakchich » s’intéresse à la façon dont les Talibans communiquent. Portes-parole officiels, (…)

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10 MESSAGES
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Forum

  • Pakistan : silence on meurt…
    le jeudi 11 septembre 2008 à 08:21
    L’islam…cette religion de tolérance et de paix…
    • Pakistan : silence on meurt…
      le jeudi 11 septembre 2008 à 10:20, HB a dit :
      Je crois que tu n’as rien pigé à l’article, le niveau, en terme géostratégique, est trop haut pour toi.
      • Pakistan : silence on meurt…
        le jeudi 11 septembre 2008 à 15:22

        C’est tout à fait exact, mais heureusement vous êtes là pour remonter le niveau général…

        Nous attendons avec curiosité votre oracle…

        • Pakistan : silence on meurt…
          le vendredi 12 septembre 2008 à 10:44, HB a dit :
          C’est fait ;-)
  • Pakistan : silence on meurt…
    le mercredi 10 septembre 2008 à 22:46, jpp64 a dit :

    Merci beaucoup pour cet article.

    Il est très rare d’avoir de la vraie information et non de la propagande.

    Pour nous les occidentaux l’importance et l’influence des tribus dans ces pays nous échappe totalement, et quand les extrèmismes religieux s’en mêlent ça devient encore plus complexe.

    Nous comprenons rien à leur mode de vie, c’est l’une des raisons pour laquelle on y amenera jamais totalement l’ordre. L’ordre s’imposera naturellemenet par la puissance des plus forts sur les plus faibes mais au fait cherchons nous à faire mieux nous les occidentaux.

  • Pakistan : silence on meurt…
    le mercredi 10 septembre 2008 à 14:53
    Ca fait plaisir de lire un article de fond sur internet…
  • Pakistan : silence on meurt…
    le mercredi 10 septembre 2008 à 11:07, TOUKO a dit :

    De toutes façons ces gens ne combattent que pour avoir le pouvoir, et on devrai les laisser tous s’entretuer puisque ils ne veulent pas de l’occupation occidentale (comme ils l’appellent).

    Peu importe les raisons de l’occident à occuper l’afghanistan,elles ne sont pas en déffinitive, pire que celles des talibans, et des tribus.

    • Pakistan : silence on meurt…
      le mercredi 10 septembre 2008 à 17:45, infiltré a dit :

      De toutes façons ces gens ne combattent que pour avoir le pouvoir, et on devrai les laisser tous s’entretuer puisque ils ne veulent pas de l’occupation occidentale (comme ils l’appellent).

      La nature (humaine ?) ayant horreur du vide, il y aura toujours quelqu’un pour contrôler le territoire. Ils ne vont pas s’entretuer jusqu’au dernier…

      Peu importe les raisons de l’occident à occuper l’afghanistan,elles ne sont pas en déffinitive, pire que celles des talibans, et des tribus.

      à la seule différence que les tribus sont chez elles donc elles font ce qu’elles veulent

  • Pakistan : silence on meurt…
    le mercredi 10 septembre 2008 à 10:26
    Un article comme on en attendrait plus de Bakchich
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