La mise en scène de l’interview télévisée du Président d’hier soir fut très travaillée : espaces ouverts vers les jardins, table de cérémonie triangulaire design, longs travellings des caméras autour de Sarko, afin d’adoucir la raideur protocolaire de l’exercice et l’image même du Président. Sarkozy était filmé comme un individu plus rond, moins coupant, moins violent. Un habillage habile !
Soyons clairs. Sur le fond, on savait déjà les deux types de commentaires politiques que l’intervention de Nicolas Sarkozy allait susciter : d’un côté, une tentative de « représidentialisation », bien entendu réussie pour la droite, évidemment ratée pour la gauche. L’homme s’est calmé, a ralenti son élocution (ce qui a d’ailleurs provoqué quelques étranges lapsus), maîtrisé ses fameux « tics » et ses mouvements de clavicule.
De l’autre, le maintien ou non du cap des réformes, ce maquis de mesures dont le chef de l’Etat a voulu démontrer le bien fondé. Là encore, confirmation de la trajectoire et de la destination : le train Sarkozy ira bien à Yuma en 2012. Sarkozy est un rhétoricien de fer, une bête de guerre politique qui a réponse à tout, une sorte de super ordinateur capable de gloutonner des journalistes aussi agressifs qu’une bande de moutons sous Lexomil. L’homme a tout évoqué, du prix du fuel à l’éducation nationale, de la régularisation des travailleurs sans-papiers à la maladie d’Alzheimer, de la suppression des droits de succession au cauchemar possible de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne.
Mais, quoi qu’on en pense, c’est sur la forme que le vrai-faux dialogue d’hier soir fut remarquable. « Je m’y étais préparé ! » n’a-t-il cessé de répéter tout au long de l’émission, comme un boxeur déboulant sur un ring pour 90 minutes d’un combat sans adversaires. Un Sarkoshow de 90 minutes réalisé par Renaud Le Van Kim, dans la salle des fêtes de l’Élysée, avec deux rangées de spectateurs muets plaqués sur un mur rouge et derrière le Président, échappée visuelle vers les jardins.
Il fallait redonner de la densité à l’homme, une posture plus souveraine sans abandonner complètement ce qui a séduit les électeurs voilà un an : l’énergie, une forme d’activisme systématique, des réflexes d’entrepreneurs prenant « une décision » toutes les dix minutes. Fonction de la mise en scène : renforcer et/ou corriger une image, et donc une impression de politique.
Rompant avec le filmage répétitif de ce type d’exercice (alternance monotone de champs et de contre champs sur le Président et les journalistes), Le Van Kim a choisi d’éviter au maximum le cadrage frontal de Sarkozy, ce cadrage du Roi délivrant une parole messianique et hautaine, lui préférant des angles de léger profil, angles de l’humanité et du dialogue où l’interlocuteur n’est pas une entité abstraite mais existe, quelque part dans le cadre (en amorce parfois) ou dans ses parages immédiats.
Quelques plans d’ensemble aussi, des travellings courbe autour de la table de cérémonie afin d’adoucir la raideur protocolaire de l’exercice et partant, l’image même du Président. Correction de l’image : Sarkozy filmé comme un individu plus rond, moins coupant, moins violent.
Pour autant, le show devait aussi réaffirmer la détermination de son acteur principal, la dynamique de son action et c’est dans le travail sur les accessoires et les décors que Le Van Kim et sa bande ont effectué un travail d’orfèvre. La table d’abord, une sorte de triangle parfaitement éclaté, un entonnoir retourné, procurant un sentiment d’ouverture à mesure que notre regard refluait vers le Président et une impression de blocage dans le sens de ses interlocuteurs.
Au centre, donc, Sarkozy, du côté opposé à la flèche bien sûr, afin d’éviter l’effet cible. Derrière lui, une porte donnant sur les jardins de l’Élysées, de la verdure, de la nature, soit une sensation de vie et de respiration dont aucun des autres participants ne bénéficiait (tous plaqués sur des fonds uniformes ou coincés dans des espaces clos). Cet effet de découverte, d’ampleur spatiale promise au-delà du corps du président et sur laquelle la mise en scène n’a cessé d’insister, constituait sans doute le point clé du dispositif, ou plutôt, le point d’équilibre fondamental entre un pragmatisme à toute épreuve (mais peu sexy) et une spiritualité propre à la charge présidentielle (l’homme réfléchit mieux et voit plus loin que nous).
Vieux truc : à idées étriquées, espaces fermés. À idées larges, espaces ouverts. Sarkozy devait apparaître à la fois comme un chef (dynamique du triangle, centrage total de la mise en scène autour de sa personne) mais aussi comme un rassembleur, un homme oecuménique capable d’accueillir ce qui vient d’ailleurs, de sortir même, de ce palais présidentiel et de franchir le seuil du monde réel. Dans un cadre, tout est question de point de fuite. Où est conduit notre regard ? Sur quoi ou sur qui bute-t-il ?
À la fin de l’émission, Sarkozy a su pleinement tirer profit du dispositif scénique : au moment de la « séquence internationale », le chef de l’état a ralenti son rythme à l’extrême, introduit de longues pauses puis, a réuni ses deux mains devant lui, à la manière d’un homme de prière. Après l’instituteur, le curé : non seulement l’homme maîtrise ses matières, mais il peut aussi donner un sens à nos vies.
À la droite du Père Sarko, un duo de journalistes permanents, David Pujadas en aiguilleur inutile d’un train automatisé et PPDA, manières guimauve et teint de homard, comme le vestige d’une époque révolue, celle de la télé de papa que la mise en scène a subtilement traité comme une anomalie esthétique. Lui ne reviendra pas.
À gauche, un trio tournant : Véronique Auger, Yves Calvi et Vincent Hervouët. La première tombe illico dans le piège de celle qui veut et réaffirmer dans la foulée, son indépendance : pour Sarkozy, posture idéale (remember Segolène Royal lors du débat de l’entre-deux tours) qui permet d’imposer une tolérance de façade et de sortir les crocs en douce. C’est le loup du Petit Chaperon rouge, au moment de la chevillette.
Le deuxième, sous ses airs d’asticoteur pro, déroule le tapis et offre à son interlocuteur l’occasion rêvée de zapper d’un sujet à l’autre, de surfer sur l’air du temps, entre déclaration de principes sur lesquels on est tous d’accord et bombes politiques que l’intéressé ne relève même pas. Ainsi, Sarkozy persiste et signe : l’enseignant fournit la matière, le curé (ou le rabbin, le pasteur, etc… « qui vous voulez » précise alors le Président), la réorganise et lui donne un sens. C’est bien connu : le savoir et la culture ne servent qu’à alimenter le spirituel. Les salles de classes, antichambres naturelles des lieux de culte ?
Enfin, le troisième, dont c’est le baptême du feu, se croit face à un chef d’état étranger, élégant et compétent, mais entre pardon d’être là et merci beaucoup de daigner me répondre. Du velours.