Chroniqueur au quotidien Al Massae et au Journal Hebdomadaire, Khalid Jamaï est l’un des « journalistes-vétérans » de la presse marocaine. Il ne porte pas le nouveau règne dans son cœur et cogne dur
Bakchich : Que vous inspirent les législatives de septembre ?
Khakid Jamaï : Les 37 % de participation annoncés ne correspondent pas à la réalité. Le régime n’a pas communiqué les statistiques du vote pour le monde rural et le monde urbain. Cette donnée a été occultée car, dans les villes, on a déserté les urnes et que, dans les campagnes, on a voté à cause de la mainmise du Makhzen sur l’électorat. On ne connaît pas, non plus, les statistiques par tranche d’âge et par sexe. Or, selon les rares sondages disponibles, on sait que se sont essentiellement les femmes et les personnes âgées qui ont voté. Les 18-40 ans se sont abstenus. Quant aux Marocains vivant à l’étranger, ils n’ont tout simplement pas pu s’acquitter de leur devoir qui est aussi un droit constitutionnel. Le Premier ministre a prétexté des problèmes logistiques mais la vraie raison est que, selon les services de renseignement, cet électorat allait majoritairement voter islamiste. On peut tout aussi bien citer les trois millions de jeunes qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales ou encore le million de bulletins nuls ou blancs enregistrés, avec, parfois, des insultes écrites dessus. Ces élections sont donc légales mais pas légitimes. Autre enseignement du scrutin : Mohammed VI a incité ses sujets à voter massivement, traitant ceux s’abstenant de « nihilistes ». Il a pris le risque de transformer le scrutin en référendum. Quand plus de 70 % des gens ne vont pas aux urnes, c’est qu’ils désavouent le roi, même s’ils ont d’abord voulu sanctionner les partis politiques. En tant que roi, il aurait dû être au-dessus de la mêlée et en tant qu’arbitre, tirer les conséquences de ce qui ne va pas.
Bakchich : Bonne nouvelle, les Marocains ne sont donc pas dépolitisés ?
KJ : Au contraire ! Jusqu’à peu était analphabète, celui qui ne savait ni lire ni écrire. Aujourd’hui, grâce à la télévision par satellite (Al Jazeera, Al Arabiya…), on n’a plus besoin de savoir lire pour s’informer. L’imbécillité chronique des chaînes marocaines font que les Marocains savent ce qui se passe chez eux grâce aux télés étrangères. Dans les campagnes, j’ai vu des vieilles femmes capables de discuter dans le détail de la situation en Irak… Et puis, dans le Nord du Maroc, les gens regardent beaucoup la télévision espagnole et voient le gouvernement se faire malmener aux Cortès. Puis, quand ils sortent de chez eux, ils tombent sur le moqqadem du coin… Internet facilite aussi la prise de conscience politique avec des sites comme YouTube où, par exemple, des gens filment des gendarmes en train de racketter des automobilistes et mettent les vidéos en ligne. Même s’il n’a pas accès au Net, chaque Marocain qui vit au bled a toujours un cousin installé en Europe qui lui donne les informations qui circulent sur le Maroc. Les diplômés-chômeurs — toutes les familles marocaines en comptent dans leur rang — contribuent enfin à cette politisation. Aujourd’hui, ce n’est plus le père mais le fils diplômé et chômeur qui décide de l’orientation politique d’une famille. Ce mouvement a donné pour consigne de ne pas voter. Tout cela contribue à démystifier le pouvoir et à politiser les mentalités. Aujourd’hui, les Marocains ont une conscience politique. Ce sont le Makhzen et les partis qui sont en retard.
Bakchich : Que pensez-vous du nouveau Premier ministre désigné par Mohammed VI, Abbas el Fassi ? Pas génial, n’est-ce pas…
KJ : Sa nomination est une réaction typiquement alaouite, les Alaouis étant réputés être têtus. Selon moi, elle peut s’interpréter de deux façons. D’abord, Mohammed VI s’est dit « vous n’avez pas été voté comme je vous l’ai dit alors je nomme comme Premier ministre celui que vous haïssez le plus ». Les Marocains détestent en effet Abbas El Fassi, entre autre à cause de l’affaire Annajat et ont vécu sa nomination comme une catastrophe. Ils se disent « Mohammed VI n’avait pas le droit de nous faire ça, c’est une insulte ». En théorie, on ne peut pourtant rien reprocher au roi car il a nommé le leader du parti majoritaire aux élections (l’Istiqlal)… Autre interprétation possible : Mohammed VI n’apprécie pas Abbas el Fassi et l’a jeté dans la fosse aux lions. Vu son discrédit, Abbas permettra au roi d’encore plus gouverner sans partage puisque Mohammed VI apparaîtra comme un recours. La monarchie sera alors plus exécutive que jamais. Abbas el Fassi est un haut fonctionnaire, rien de plus. Et fort est à parier qu’il sera le dernier informé de quoi que ce soit. C’est quand même le seul leader politique à qui l’on a imposé des gens à son parti si ce dernier voulait obtenir des postes de ministres dans le précédent gouvernement [1]. Mais c’est un mauvais calcul car, si à court terme, Abbas el Fassi renforce la monarchie, à moyen terme le roi n’aura plus de fusible et sera comptable de chaque bêtise commise.
Bakchich:Le roi est-il la cible du mécontentement populaire ?
KJ : La monarchie reste un tabou mais un tabou qui tombe grâce à la presse dite indépendante. Par exemple, du temps de Hassan II, si un journaliste avait le malheur de rédiger un article où il mentionnait le roi et n’écrivait pas Sa Majesté le Roi Hassan II — majuscules à l’appui — il était coffré. Ce n’est plus le cas avec Mohammed VI. Dans la rue, on parle de lui, on le critique. Par contre, l’époque où l’on croyait que l’entourage du roi était responsable de la situation est révolue car les Marocains savent que c’est Mohammed VI qui a ramené son entourage composé de ses copains du Collège Royal. Ils le comparent également à son père Hassan II et pas toujours en sa faveur. Cela se traduit pas des remarques comme « ah, le défunt roi, il savait quoi faire… ». Et ce, d’autant plus que sous Mohammed VI, il y d’avantage de dérapages sécuritaires dans le quotidien des Marocains que sous Hassan II : vols, viols, agressions physiques… Je ne fais pas pour autant l’apologie de Hassan II car Mohammed VI a apporté une bouffée d’oxygène.
Bakchich : Y a-t-il une opposition politique face à cette monarchie qui n’en demeure pas moins absolue même si elle a permis aux Marocains de respirer ?
KJ : Le seul contre-pouvoir est une dizaine de journalistes que le régime traite comme si nous étions une opposition. Il nous harcèle, nous traitant de nihilistes et de Cassandres. On leur répond : « donnez-nous des lunettes pour voir la vie en rose ». Si le pouvoir nous perçoit comme un front uni, nous restons des individus partageant des valeurs communes comme la démocratie et la liberté d’expression. À ce “front”, on peut aussi ajouter des associations de la société civile comme l’AMDH (Association marocaine des droits humains) et le Forum vérité et justice (FVJ).
Bakchich : Quid des islamistes ?
KJ : Le PJD a été sanctionné lors des dernières élections. En 2002, ses candidats se sont présentés dans la moitié des circonscriptions et en 2007 dans la quasi-totalité des circonscriptions. Mais ils n’ont gagné que cinq sièges. Ils reculent donc. Le PJD a été sanctionné par son propre électorat qui n’était pas essentiellement motivé par des questions d’ordre religieux. On vote PJD car les islamistes n’ont pas encore connu le pouvoir. Or, entre 2002 et 2007, le PJD a été phagocyté par le Makhzen. Les Marocains ne sont pas dupes et ils se disent qu’il ne s’agit pas d’un parti d’opposition au roi mais du parti de l’opposition du roi.
Bakchich:Quelle analyse faites-vous des rébellions sociales qui secouent plusieurs petites villes et villages du Maroc ?
KJ : Ce sont en effet les petites villes et non les grandes agglomérations comme Casablanca qui sont touchées car il y règne une grande solidarité entre les habitants et que des associations comme l’AMDH y sont très actives. Quand l’AMDH organise une manifestation à Rabat, elle rassemble 200 personnes. À Sefrou, ils sont 2000. Pour autant, ces contestations sociales ne se transforment pas en jacqueries. À Sefrou, où il y a récemment eu des émeutes, on n’a pas brûlé aveuglément. Les interventions de la population étaient au contraire ciblées : contre un commissaire de police qui harcelait les habitants depuis des années, contre un caïd à qui on a brûlé le local situé au premier étage d’un immeuble sans toucher à l’épicerie du rez-de-chaussée. Ces troubles ont démarré suite à un sit-in de l’AMDH contre la cherté de la vie. Les manifestants ont refusé de se disperser réclamant qu’une délégation soit reçue à la préfecture par le gouverneur. La réponse a été négative et un commissaire de police a commencé à distribuer des gifles. Tout est parti de là… Autre caractéristique de ces rébellions : elles sont menées par des femmes. Ce sont elles qui sont en tête des manifestations et c’était le cas à Sefrou.
Bakchich : Y a-t-il un risque d’embrasement au niveau du pays ?
KJ : Il y aura un embrasement car la cherté de la vie comme la hausse des prix s’expliquent par des facteurs exogènes et non endogènes. En 2006, les prix des céréales et de l’huile ont flambé au Maroc à cause de la demande de ces denrées en Chine et en Inde. En un an, le quintal de blé est passé de 160 à 450 dirhams et la tonne d’huile de 500 dollars à 750 ! La flambée des prix ne s’arrêtera pas là car la hausse des prix du pétrole impacte tout. Mais avec leur faible pouvoir d’achat, les Marocains ne peuvent pas le supporter et l’Etat ne pourra pas indéfiniment jouer les caisses de compensation. Que faire dans ce contexte ? On ne peut demander aux Marocains de se serrer la ceinture que si on donne l’exemple. Or, c’est la gabegie au niveau de l’Etat, l’impunité des délits économiques, la corruption court et les responsables multiplient les signes ostentatoires.
Bakchich:Qui est aujourd’hui capable de jouer un mauvais tour à la monarchie ?
KJ : La grande inconnue reste l’armée. Que s’y passe-t-il ? Elle est traversée par les mêmes courants que la société marocaine. N’étant plus en guerre depuis plus de 20 ans, les jeunes officiers tuent le temps en regardant la télé par satellite et lisent. Avec la modernisation des équipements militaires, ils bénéficient d’un niveau de formation élevé acquis en France ou aux Etats-Unis. Les jeunes militaires vivent aussi en décalage avec leurs supérieurs qui ont fait fortune sous Hassan II. On parle d’officiers abattus par leurs hommes dans le Sud. On ne peut pas exclure qu’un jour l’armée s’exprimera.
Bakchich : Le Palais est-il conscient du délitement de la situation ?
KJ : Il ne voit rien car ils ont été élevés dans des boîtes de nuit. Ils sont passés de l’Amnesia [2]à l’exercice du pouvoir et n’ont pas de connaissance réelle du Maroc profond ni de ses problèmes. Ils sont incultes et n’ont pas lu plus de dix livres dans leur vie. Et encore, je suis charitable.
[1] Dans le dernier gouvernement de Driss Jettou, de jeunes quadras aux dents longues et à la tête bien faite ont été parachutés par le Palais à l’Istiqlal pour ensuite être nommés à des postes ministériels. C’est notamment le cas de Karim Ghellab (ex-ministre des Transports) ou d’Adil Douiri (ex-ministre du tourisme)
[2] Ex-lieu de la branchitude r’batie assidûment fréquenté par Mohammed VI alors prince héritier et sa bande de copains fêtards
On n’a pas besoin de raconter des mots doux a une bière pour se soulager !!!!!!!!!
Ca fait beaucoup marrer les gens de voir qu’on peut se moquer de la politique, alors que, dans l’ensemble, c’est surtout la politique qui se moque de nous !!!!!!!!!!!!
smahli a ba khalid hzaq alik rkab !
Tu as l’air bien renseigné , tu as surement du gouter a leur " générosité " et a leur " bonté " ?
Je ne savais pas que ce Guedira , Yacoubi ou autre fils de sheikhates dirigeaient casablanca . C’est nouveau .
D’autres perles s’il vous plait !!!