Le projet de loi sur la modernisation de l’économie, rendu public le 28 avril par la ministre de l’économie Christine Lagarde, fait grinçouiller quelques dents, jusque dans les rangs de l’UMP. En cause notamment, les mesures concernant la grande distribution. Petite explication.
Comme Bakchich l’avait annoncé fin mars, le gouvernement s’apprête à libérer totalement les relations commerciales entre producteurs et distributeurs (projet de loi de modernisation de l’économie présenté le 28 avril). Comme prévu, ces mesures avantagent la grande distribution. Et comme prévu aussi, le gouvernement affirme qu’elles sont prises pour accroître la concurrence et faire baisser les prix. Mais là, il risque fort d’être déçu.
En permettant aux distributeurs de négocier librement les tarifs que leur proposeront les fournisseurs, le projet de loi supprime l’obligation faite aux industriels de présenter des « conditions générales de vente » uniques à tous leurs acheteurs, petits ou grands. En supprimant cette règle, les pouvoirs publics montrent qu’ils comptent sur la grande distribution pour pousser les producteurs à la baisse. En l’état, le projet de loi pose au moins deux problèmes.
Le premier est celui de la transparence des transactions. La seule interdiction qui subsiste est celle de la revente à perte. Mais, pour qu’il n’y ait pas revente à perte, il faut savoir sur quelles bases les prix sont établis. Supprimer les « marges arrières » (ces fameuses compensations financières reçues des producteurs pour services rendus) signifie que le prix de revente au consommateur ne peut pas être inférieur au prix d’achat au producteur moins les différentes remises obtenues.
Dans ce cas, les négociations commerciales entre distributeurs et producteurs devront porter non seulement sur le prix du produit lui-même mais aussi sur le montant des « frais de commercialisation » et sur les remises de toutes sortes. Dans ces conditions, il est normal que les producteurs exigent des distributeurs des factures en bonne et due forme pour justifier les services que ces derniers sont censés leur rendre : bonne mise en place de leurs produits dans les rayons, obtention de têtes de gondole, figuration de leurs produits dans les prospectus publicitaires qu’ils diffusent, etc. Or, le projet de loi est muet sur ce sujet, pourtant essentiel.
Le second problème est celui de la « vente à la gueule du client ». En effet, dire que les négociations commerciales sont libres signifie aussi que les producteurs pourront proposer des prix de vente différents par enseigne, voire par magasin. Selon le niveau de la négociation commerciale (local, régional, national) et le degré de concurrence des enseignes, les grandes marques pourront jouer sur leur grille de tarifs. Ce qui devrait entraîner à terme un regroupement des forces dans la grande distribution pour éviter de se retrouver marginalisé face à elles. Et, par la même occasion, un écart grandissant entre les prix des grandes surfaces et ceux du petit commerce.
Quant aux mesures envisagées par le gouvernement pour accroître la concurrence, elles peuvent tout aussi bien conforter les positions dominantes acquises. En relevant de 300 à 1000 m le seuil de déclenchement de la procédure d’autorisation des grandes surfaces, les pouvoirs publics espèrent encourager l’arrivée de nouveaux venus dans les zones commerciales actuelles, notamment les fameux « hard discounters », aux prix cassés.
Mais, ce relèvement pourra aussi favoriser les demandes d’accroissement de surface des magasins actuellement installés. Or, la concentration des enseignes est déjà importante : l’UFC-Que Choisir estime que, dans près d’un tiers des 634 bassins de consommation recensés, une seule enseigne dispose d’un quasi-monopole.
En définitive, le projet de loi fait reposer sur la grande distribution tout l’espoir de voir les prix baisser un jour. En supposant que celle-ci accepte de jouer le jeu, les prix de détail augmenteront peut-être moins vite mais ne baisseront pas à court terme, compte tenu de la hausse actuelle des coûts de production. Et puis, une fois que la grande distribution aura fait preuve de retenue, rien ne dit qu’elle ne profitera pas ensuite de sa position dominante pour augmenter un peu ses marges. C’est tout l’inconvénient de confier au chat la garde du pot de crème !
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Il y a, en France, un mouvement qui se développe : "Pour défendre notre pouvoir d’achat, évitons les supermarchés".
De nombreux villages en France se retrouvent sans commerce. Un à un, les commerces de proximité ferment et quand ils sont remplacés, c’est par une boutique franchisée (ou une agence bancaire).
Dans leur course aux profits immédiats, les supermarchés (et leurs supérettes) font exploser la cohésion sociale et minent l’emploi des territoires, ici comme à l’autre bout du monde.
En amont des filières, cette mécanique économique infernale est également sans pitié pour les paysans. La domination de la finance sur l’économie mondiale désertifie les centre-villes et paupérise les campagnes.
Pour les habitants à mobilité réduite et pour tous ceux qui n’auront bientôt plus les moyens de se déplacer en voiture, cela va devenir compliqué de faire les courses.
Et, une fois arrivé au supermarché, il faudra choisir entre se serrer la ceinture ou ne pas être trop regardant sur l’origine et la qualité de la nourriture proposée.
C’est en achetant chez des commerçants responsables des articles qu’ils proposent, connaissant leur origine et la manière dont ils ont été conçus, que l’on défend tous les jours notre pouvoir d’achat, nos emplois et l’accès de tous à une nourriture de qualité.
Vous écrivez "…le gouvernement affirme qu’elles sont prises pour accroitre la concurrence et faire baisser les prix. Mais là, il risque fort d’être déçu."
C’est pas le gouvernement qui va être déçu ! il a suffisamment de pognon pour ne pas connaitre le prix de la farine et du pain.
Bonne suite