Le pasteur Doucé, assassinat ou « bavure » ?

Encore un scandale d’Etat étouffé sous la chape d’un dossier judiciaire refermé. La justice, par la main du juge d’instruction Marc Trevidic, a signé le 24 octobre 2007 un non-lieu dans l’affaire du pasteur Doucé, ce prêtre militant homosexuel disparu en juillet 1990 dans la forêt de Rambouillet. Seul son corps avait été découvert, trois mois plus tard, mais les assassins, restés anonymes, courent toujours.

Fondateur du Centre du Christ libérateur, un lieu consacré aux minorités sexuelles, Joseph Doucé était surveillé par les Renseignements généraux parisiens, dont une cellule – le GER, Groupe des enquêtes réservées, chargée de coups tordus et fumeux - l’avait mis sur écoute, filoché, et peut-être tué : peu après la disparition, Jean-Marc Dufourg, patron de cette cellule, et trois policiers avaient été placés et entendus, mais leur culpabilité n’a jamais été établie. Dufourg a quand même été révoqué de la police en novembre 1990 par le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe. Par ailleurs, il a été condamné en 1992 à 20 mois de prison avec sursis pour « violences et voies de fait avec arme », pour avoir tiré dans la porte de l’appartement d’un proche du pasteur. Dix-sept ans après les faits, l’enquête reste donc au point mort.

Dans son livre d’entretiens paru en octobre 2007 (« Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout », chez Plon), l’ancien patron des RG Yves Bertrand revient sur cette affaire. Tout en circonvolutions, comme souvent les RG quand ils ne savent pas comment s’y prendre avec un dossier brûlant : en l’occurrence, un « scandale qui nous a frappés de plein fouet et entachera longtemps encore la réputation des RG », écrit celui que Sarkozy appelait « Grincheux », à cause de sa petite taille et de ses sourcils épais, en souvenir de « Blanche Neige et les sept nains »… Comme souvent aux RG, Yves Bertrand, pour protéger la mémoire de son cher service - en train de perdre son âme en fusionnant avec la DST -, commence par décrédibiliser la victime. « C’était un personnage pour le moins controversé, qui organisait des cérémonies religieuses dans un théâtre pornographique (…). Dans les faits, cette librairie était l’antenne et le maillon d’un réseau pédophile puissant, dont on a retrouvé la trace plus tard à la faveur des investigations liées à l’affaire Dutroux ».

Rien que ça. Yves Bertrand continue dans la même veine : « Doucé connaissait et protégeait un grand nombre de pédophiles, en France et à l’étranger, mais aussi des sadomasochistes et des pervers violents. Un carnet d’adresses bien rempli. Dix mille noms, dit-on, issus des milieux de la politique, du show-biz, de la magistrature. Cette manie du fichage est sans doute ce qui a causé sa perte… » Pour expliquer sa mort, voilà la thèse du patron des RG, qui était à l’époque adjoint du chef : « Il a tenté de faire chanter une ou plusieurs hautes personnalités liées au gouvernement de l’époque, et on a voulu le neutraliser ». Alors que ses amis pensent qu’il a été assassiné, lui estime le contraire. Plutôt, dit-il, une « bavure » de ce brave inspecteur Dufourg.

Ensuite, reporter la responsabilité éventuelle des faits à un niveau plus que vague : après avoir blanchi le responsable de l’enquête des RG, suspect numéro un, Jean-Marc Dufourg, on fait semblant de s’intéresser à des « commanditaires ». Autant chercher une aiguille dans un champ de blé… « J’ai une conviction : je ne crois pas que Dufourg soit un assassin. Que ses méthodes aient été inacceptables est une chose ; qu’il ait été l’auteur et le complice d’un crime en est une autre ». Et les commanditaires, alors ? « Le moins qu’on puisse dire est que de nombreux écrans ont été disposés entre eux et leur commanditaire, puisqu’on a jamais mis la main sur les vrais coupables ». Merci. Ca c’est du renseignement. Rideau. L’avocat du concubin du pasteur Doucé, Olivier Metzner, a néanmoins fait appel du non-lieu. Rendez-vous dans 17 ans ?