Les ministres camerounais ne sont pas mauvais bougres. Ils redistribuent les richesses de l’Etat. Au compte-goutte
Un peu nerveux, le chauffeur, quand il nous voit débarquer au domicile d’Augustin-Frédéric Kodock, ministre de la Planification. Un peu plus encore quand on se met à interroger les braves dames qui font le pied de grue devant la porte. « Vous cherchez quoi ? ». On s’intéresse à « la générosité des ministres camerounais ». Soulagé, le chauffeur se fait plus souriant. Et nous taxe une cigarette.
« C’est sûr qu’il est généreux notre ministre, confirme le jeune homme, pas peu fier de faire mousser son auguste patron. Il n’y en a pas beaucoup comme lui ! ». Et c’est vrai qu’il n’est pas chiche, le boss : un biffeton par-ci, un biffeton par-là. Les Ivoiriens appellent ça le farotage. Les Camerounais aussi, du coup. Le chauffeur poursuit sa démonstration : « Prenez les vigiles du Ministère, par exemple : tous les soirs, il leur donne 10.000 [F CFA] à chacun, en plus de leur salaire ! »
Tant de générosité, évidemment, ne passe pas inaperçue. Chaque week-end, une ribambelle de nécessiteux vient déverser ses malheurs sur les paillassons ministériels. Il y a ceux qui ne peuvent pas payer les frais d’hôpitaux ou de cliniques. Ceux qui ne trouvent pas de travail. Et ceux qui crèvent la dalle, tout simplement… « Notre ministre, il a connu la pauvreté quand il était jeune », insiste notre chauffeur. C’était il y a bien longtemps, à l’époque des « Blancs ». Ce sont des missionnaires catholiques qui l’ont sorti de la misère. Ça explique la charité chrétienne. Le chauffeur se fait maintenant grandiloquent : « en tout, il donne au moins dix millions par semaine ! », « il a sauvé tellement de gens qu’il y a des enfants qui portent son nom ! », etc. Ce samedi matin, le ministre est en balade loin de la capitale. C’est sa femme qui a pris le relais, et qui distribue les billets.
Autre quartier, autre ministre, mêmes mœurs. Polycarpe Abah Abah, surpuissant ministre de l’Économie et des Finances, là aussi, est absent (il se repose dans l’une de ses autres villas). Et les pauvres, là aussi, « font le rang » devant la porte blindée. Mais le système est mieux organisé que chez Kodock : pour avoir une chance de pouvoir mendier à l’intérieur de la villa… il faut commencer par payer le vigile (« deux mille francs suffiront ») !
C’est dans leurs fonds personnels que les ministres puisent, pour leurs bonnes œuvres. Juré craché. Mais le farotage ministériel a tout de même pris du plomb dans l’aile depuis que Paul Biya a lancé « l’opération Épervier » en avril dernier. Une mesure « anti-corruption » ostentatoire, pour plaire aux institutions financières internationales, qui a déjà fait quelques victimes chez les dignitaires du régime. Emmanuel Ondo Ndong, ex-directeur du FEICOM et faroteur notoire, récemment inculpé pour avoir « distrait » la bagatelle de 29 milliards de Francs CFA (45 millions d’euros, grosso modo). Depuis, certaines portes se sont fermées dans les quartiers huppés. Et d’étranges affiches y ont été scotchées : « Le ministre ne reçoit plus de demandes d’aide. Prière de ne pas insister ». N’insistons pas.