Travailler la nuit, tard, sans s’inquiéter du trot de l’horloge, c’est avoir l’illusion de la liberté et régner sur un monde éphémère. Loin du bruit et des tracasseries diurnes, on creuse son sillon en luttant contre le sommeil qui réclame son dû. Surtout, on essaie d’éviter de penser à l’incontournable déception qui, le plus souvent, accompagne la relecture matinale des feuillets griffonnés. On se laisse alors porter par l’enthousiasme et, la théine aidant, on octroie généreusement le qualificatif de fulgurantes à des lignes en réalité médiocres et promises à d’incessants réaménagements, voire à un pur et simple abandon.
Quand la fatigue vient ; quand elle se fait tenace et démoralisatrice, alors, il faut savoir ruser et trouver la parade. Penser à quelque chose de drôle est une solution efficace mais risquée car l’épuisement a quelques vertus euphorisantes qui peuvent très vite mener au fou rire sonore dont il est peu vraisemblable qu’il soit apprécié par les proches chambrées. A défaut, on peut se faire du bien en assemblant quelques mots pour dire l’impression du moment. On écrit, vite, très vite ; trop vite. Cinq, six lignes. Une, deux, trois relectures. Les paupières lourdes mais content de soi, on tape le texte et on l’envoie, sans vraiment réfléchir, à travers l’infini de la toile électronique. Et comme il n’y a aucune raison de vous priver de ce délire, voici le billet en question :
« 23h22, dans l’écritude, l’oeil fatigue, alors, pause qui fait le stylo posé, rapide quête dans la cyberitude, mais revenir vite aux mots à l’encre tracés : douce servitude. »
Ayant échappé pour un temps à la « dormitude », on reprend son labeur avec tout de même un petit doute mais on se dit qu’à cette heure, l’indulgence est de mise chez les internautes. Comme prévu, les réactions d’autres noctambules ne tardent pas. « Le pire, habibi, c’est que c’est vrai aussi à minuit passé… et, je le crains, à 1 h et plus ! », me dit un grand forcené de l’étude, que j’imagine assis à sa table, entouré de ses notes et de ses livres, plongé dans une recherche sans fin pour vérifier la moindre citation, le moindre chiffre. « Mabroukitude », me glisse un passionné de littérature sans que je comprenne le sens exact de sa courte réponse.
« Cette ‘incartitude’ dans la ‘ségolénitude’ te plonge dans la ‘drôlitude’ », m’affirme enfin un confrère vachard que je soupçonne être mal remis de la décision de Jean-Pierre Chevènement de se retirer de la course à la présidentielle. « Ségolénitude »… Depuis sa sortie en Chine sur la « bravitude », Ségolène Royal fait l’objet de moqueries truffées de néologismes qui sont parties pour durer. Bien sûr, il n’y a jamais de mauvaise publicité, mais, là, franchement, on se demande ce qui peut bien se passer dans la tête de la candidate socialiste. N’allez pas croire que je déteste les nouveaux mots, bien au contraire. Une langue, ça doit bouger et être violentée, à charge aux académiciens d’essayer de limiter les dégâts.
Tout cela n’aurait été qu’aimables plaisanteries si - chez le peuple de gauche - il n’y avait pas comme un petit doute qui commence à pointer. Un tracas grandissant face à la légèreté d’une candidate qui semble ne pas se rendre compte de la gravité de l’enjeu. « Je vais en Chine pour comprendre », a par exemple expliqué Ségolène Royal au moment de son départ pour l’Empire du milieu. « Si tôt ? Mais pourquoi donc se presser ? », a-t-on envie de lui demander… Et que penser de ses remarques sur la célérité de la justice chinoise et des platitudes lues sur son site « désirs d’avenir » à propos de son séjour pékinois (il paraît que le canard laqué est un régal…) ? Hé, ho ! C’est un scrutin présidentiel dont il s’agit, pas d’un jeu télévisé où il faut inventer le meilleur slogan de com’.
Quelle est la différence entre bravoure et « bravitude » ? Cette invention « ségolienne » n’étant pas dans le dictionnaire, on peut décider qu’il n’y a même pas à débattre là-dessus. Mais on peut aussi tenter de décortiquer ce que la sonorité de ce néologisme peut déclencher comme représentation mentale. La bravoure, c’est, devant l’ennemi, même supérieur en nombre, le courage, la force et la volonté de faire face. Mais quand j’entends le terme « bravitude », je pense aux belles campagnes de France et j’entends un paysan me dire en roulant les ‘r’ : « Cré vin diou, l’est ben brave la Ségo ». Oui, on peut facilement imaginer un texte pastoral célébrant la ‘bravitude’ des bêtes de peine poitevines qui, naguère, longeaient nos chemins d’argile dans une lente procession de ‘bovinitude’ docile.
Cela m’amène, bien évidemment, à revenir sur la désignation de Nicolas Sarkozy en tant que candidat à la présidentielle par ses pairs de l’UMP. Passons vite sur les gros relents staliniens de ce vote pour reconnaître que l’homme a obtenu l’effet qu’il recherchait. Dès le lendemain du congrès de la Porte de Versailles, un vent puissant a traversé l’Hexagone, provoqué par le retournement affolé de nombreuses vestes. Ah, les inévitables atermoiements des masses indécises et versatiles, toujours promptes à vouloir être du côté du vainqueur…
Le fait est que Sarko a tapé fort. Et le coup a paru d’autant plus rude qu’en face, c’est le silence ou presque. On devait avoir droit à un livre-programme de la candidate, on l’attend encore. Pire, on nous parle désormais de brochure… Quant au pamphlet anti-Sarkozy pondu par un commando socialiste - qui au passage instrumentalise l’islam de France comme à l’époque de la polémique sur le voile - il n’est même pas utile d’en parler. Je l’ai lu attentivement et je peux vous garantir que ce n’est pas cela qui va convaincre les indécis de voter à gauche !
Si elle veut devenir présidente, Ségolène Royal a intérêt à offrir très vite du fond et du lourd. De vraies prises de positions, pas des « raffarinades » qui amusent un temps sans affoler les sondages. Qu’elle arrête de nous infliger son sourire de « bravitude » béate. Face à une droite qui muscle son propos, il est urgent qu’elle étoffe le sien. Bref, il est temps pour elle d’entrer dans la « sérieusitude » qui sied à tout candidat à la fonction suprême.