Guerre de spécialistes, ou guerre de religion ? Les missiles s’échangent via Le Monde entre les tenants de la doxa catholique et les réalisateurs Mordillat et Prieur à propos de leurs séries sur Arte.
Le Monde, généralement habitué aux échanges feutrés, n’hésite pas : « Descente aux enfers pour « l’Apocalypse » de Mordillat et Prieur ». Dans cet article vindicatif, du 26 mars, le journaliste du journal dit « de référence », Maurice Sartre, commente le livre d’un enseignant de la Sorbonne, Jean Marie Salamito. Notre journaliste présente ce dernier comme un « spécialiste du christianisme antique ». Le titre de l’article est ravageur, le reste est à l’envie. L’ouvrage de Salamito, consacré entièrement au travail de Messieurs Mordillat et Prieur, « conteste avec vigueur la pertinence » de leurs œuvres.
Les deux cinéastes incriminés ont réalisé trois séries pour Arte sur le Christianisme. Ces documentaires figurent parmi des plus beaux succès d’audience d’Arte et ont permis à un large public de comprendre les débuts du Christianisme.
Le premier film,« Corpus Christi », fait le point historique sur l’existence de Jésus. Le suivant, « Jésus après Jésus », s’interroge sur la création du mythe à travers les évangiles. Plus récemment, « l’Apocalypse » retrace le début de l’histoire de l’Eglise.
Jean-Marie Salamito reproche à nos deux « réalisateurs » de proposer des citations non sourcées. « Ce qui n’est pas une preuve d’honnêteté intellectuelle », proclame notre érudit.
Oh la belle attaque ! L’avancée intellectuelle ! Le premier plan du premier film la série de Mordillat et Prieur commence en effet par une citation anonyme et polémique : « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Eglise qui est venue ». Nos deux réalisateurs ont répondu à ce reproche. Et oui, nous ne faisons pas de documentaires pour une poignée d’érudits. Et oui, nous cherchons à toucher un large public. Et so what ? Est-ce péché mortel ?
Plus généralement, Salamito le docte reproche à nos hommes de l’art de ne pas être des chercheurs ou des historiens. Dans un débat récent, Jérôme Prieur lui lance : « En quoi êtes-vous plus scientifiques que nous ? » Sûr de son statut et défendu par les dévôts du Monde, le bon professeur répond : « mais par ce que moi je suis un historien de métier alors que vous vous êtes des hommes de télévision ».
Le péché absolu des deux réalisateurs serait donc de ne pas être estampillés par l’Université. Peu importe qu’ils aient consacré quinze années de leur vie à tenter d’expliquer au grand public la naissance du christianisme. Et tant pis si les échanges érudits entre Jean-Marie Salamito et nos deux confrères montrent bien le niveau de culture scientifique des deux parties !.
Pour finir, notre universitaire, défendu par Le Monde, condamne Mordillat et Prieur pour leur parti pris idéologique. Plus précisément, il leur est reproché de défendre une « vision hostile à l’Eglise », comme le dit sans artifice Maurice Sartre, le journaliste du Monde.
D’un seul coup, l’article du Monde et le livre de Salamito prennent tout leur sens. Assiste-t-on à un échange musclé entre savants, ou à un combat entre ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas ? Voire à une guet-apens de calotins ? Car, Monsieur Salamito le dit très justement, « personne n’est hors de l’idéologie ». Quelle est la sienne et quelle est celle de Monsieur Sartre ? On ne le saura pas.
La réponse n’a pas tardé, envoyée par mail, le 27 mars, à Robert Solé le patron du Monde des Livres. Les deux auteurs des séries incriminées en attendent toujours la publication. Le débat intellectuel passe aussi par la courtoisie.
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
Précision après recherches ce jour : Si Mordillat et Prieur apparaissent ici comme des "ennemis" de la version traditionnelle de l’Eglise, la grande faiblesse de leur argumentation tient à ce que qu’ils opposent Jésus à l’Eglise. Or, rappelons que l’existence historique de Jésus même est cousue de fil blanc.
Voir à cet égard "Une invention nommée Jésus", de Nicolas Bourgeois, publié chez Aden ou sur son blog.
Maurice Sartre est un défenseur traditionnel de cette existence, au nom des "nombreuses sources" qui en témoigneraient, nombreuses sources qui à l’examen se révèlent toutes plus douteuses les unes que les autres. Encore un cas d’historien qui devant l’origine du christianisme et de l’existence du Christ perd toute la rigueur dont il peut faire preuve ailleurs.
Sans être un chercheur en langue française "estampillé" par l’Université , il me semble que la phrase "le reste est à l’envie" qu’utilise ici l’auteur est très fautive. L’auteur fait semble-t-il une confusion assez drôle entre l’expression correcte qui serait "le reste est à l’avenant" et l’expression "à l’envi" qui signifie donc tout autre chose que ce que veut lui faire dire l’auteur, pour autant qu’on puisse juger sur la base d’une phrase aussi dépourvue de sens.
Bon à part ça, sur le fond, il est parfaitement faux de prétendre que l’universitaire ne fait que reprocher aux Bouvard et Pécuchet du christianisme leur qualité d’historiens amateurs. Qu’il s’agirait en somme de clouer le bec aux deux compères sur la base d’un simple argument d’autorité. L’article du Monde souligne au contraire la diversité des critiques de Salamito : des contresens, un montage malhonnête, etc. On pourrait ajouter une incapacité totale à mettre en relief les enjeux actuels des questions qui les occupent ( à propos de la Gnose ou le marcionisme par exemple).
Bref cet article (celui de "Bakchich.info") donne l’impression bizarre de répondre à la place de nos néo-Bouvard et Pécuchet à des attaques imaginaires ou annexes et de se désintéresser de la critique de fond de Salamito qui, comme le dit l’article du Monde, "fait mouche".
Merci d’avoir attiré mon attention sur cette émission. n’ayant pas la télévision, je l’ignorais, et le sérieux et la thèse de Mordillat et Prieur (quel nom pour un tel sujet !) vont me pousser à lire leur ouvrage.
Ayant vu les cinq émissions de débat en vitesse, je n’ai vu aucun argument sérieux de la part de M. Salamito, alors qu’il est lui, un homme de la parole "un professeur", là où les autres sont des hommes de cinéma, d’images, et qu’il était donc mieux armé pour un débat.
Le sujet m’intéresse depuis longtemps :la thèse de la rupture m’est apparue comme évidente par la lecture de l’excellent livre de Joseph Mélèze-Modrzejewski "les Juifs d’Egypte", où il situe, avec beaucoup de nuances, la rupture entre judéo-christianisme et christianisme avec l’écrasement de la révolte juive d’Alexandrie en 115-117.
Les "historiens" sont des gens qualifiés, quoique jamais "objectifs" et M. Maurice Sartre a écrit un excellent livre sur "L’Orient romain". mais dès que l’on aborde cette question, ils manquent généralement de la rigueur critique vis-à-vis des textes, et en particulier les 3 premiers livres du Nouveau testament, qu’ils prennent pour des "témoignages" crédibles, alors qu’ils ont été mis par écrit plus de deux siècles après les événements dont ils sont censé témoigner.
"Le Monde" a toujours été un grand défenseur, même lorsque c’était encore un journal de qualité - il y a longtemps- des thèses officielles de l’Eglise sur cette question.
Dans le cas précis des origines du christianisme le nécessaire esprit critique du non-spécialiste vis-à-vis du discours académique doit être particulièrement éveillé, et il semble que c’est à cet éveil qu’on voulu participer MM Prieur et Mordillat. Je les en remercie.
(ps : si vous voulez lire l’histoire écrite par un non-historien, voyez sur mon site le début de l’histoire des sociétés :-)
Si les gens de la Sorbonne connaissent bien l’histoire des religions, c’est aussi parce qu’ils y ont eu leur part. La France n’a pas eu besoin d’un Inquisition de type espagnol : elle avait deja la Sorbonne.
(…) "Au fond, dans ce procès de Jeanne d’Arc, Pierre Cauchon ne fut qu’un instrument : le véritable adversaire, après les Anglais, ce fut l’Université de Paris. Tout se résume en un duel entre la Pucelle et cette formidable commère. C’est son autorité qui a été affrontée. C’est sa prétention, dans la vacance générale, en l’absence de pape et de concile, de représenter à elle toute seule la chrétienté, que cette bergerette est venue insolemment mettre en question. Aussi ne voyons-nous pas que la Sorbonne se soit jamais rétractée. (…) Paul Claudel
Mieux vaut un docte parfois que deux demi-habiles
Le "spécialiste de l’histoire du monde grec et du monde romain oriental, en particulier du Proche Orient hellénisé, d’Alexandre à la conquête islamique" Maurice Sartre "avance masqué" pour ceux qui ne prennent pas la peine de vérifier leurs sources.
Quant à la noble tâche de vulgarisation, on n’est pas obligé d’être docte pour penser qu’elle mérite mieux que des citations et entretiens tronqués à la Michael Moore …