Chez les stratèges du PS, on prépare une « vague rose ». De quoi arracher, entend-on, cinq, dix ou quinze villes de plus de 100 000 habitants à la droite. Une embellie qui ferait croire, le temps d’une soirée électorale, aux retrouvailles entre la gauche et le peuple, façon barbecue sur la place de la Bastille. Au risque de manier le paradoxe, on pourra presque dresser le diagnostic inverse.
Que sont les villes devenues ? Des splendides « capitales régionales » jusqu’aux imposantes « préfectures de département », partout en France, quasiment, les prix de l’immobilier ont doublé au cours du dernier mandat municipal. Et chaque « métropole » lutte, grâce à une « cellule d’accueil spécialisé », grâce à une culture sur mesure, grâce à la piétonnisation des centres, chacune lutte pour « attirer des cadres » comme s’ils apportaient avec eux l’Eldorado. Tandis que, dans le même temps, les ménages d’ouvriers-employés sont repoussés en périphérie, dans les zones semi-rurales [1]
2005 et 2007 ont offert des traductions politiques de cette évolution sociologique. En Moselle, par exemple, le 29 mai 2005, le « non » au référendum européen l’emportait avec 54,8 % des voix dans tout le département… sauf à Metz, où le « oui » culminait avec 53,35 % des voix. Le même clivage distinguait Amiens et la Somme. Et le Paris des décideurs, où le « oui » triomphait à 66%, constituait comme une caricature. Cette fracture géographique recoupait, on le sait, une fracture de classe : alors les chômeurs optaient à 71% pour le « non », les ouvriers à 79 %, les employés à 67% - les cadres et professions libérales préféraient le oui à 65% [2].
La présidentielle a reproduit les mêmes schémas. Ségolène Royal arrivait en tête dans bien des villes, devant Nicolas Sarkozy au second tour. Ceci, tandis qu’une minorité d’ouvriers votait pour la candidate socialiste (49 %). Idem parmi les employés (49 %). Et encore moins, 42 %, parmi les électeurs qui ont « arrêté leurs études avant 20 ans ». En revanche, elle culminait à 54 % chez les Français qui « s’en sortent très facilement », à 56 % chez les titulaires d’un bac et plus. Et à 76 % quand le votant possédait un parent originaire d’Afrique. Bref, la gauche perdait, une nouvelle fois, dans les classes populaires. A l’exception des enfants d’immigrés.
C’est dire si ces élections municipales peuvent donner une illusion d’optique. Parce que toutes les analyses se concentrent sur les grandes villes, parce que tous les regards scrutent Marseille, Lyon, Paris, Bordeaux, Strasbourg, Nantes, etc., la gauche pourra se croire « gagnante ». « Gagnante », oui, mais parmi son nouvel électorat, les plutôt aisés, les ouverts au monde, les Français du « oui », qui occupent désormais les centres urbains. Tandis que le divorce avec les smicards des campagnes n’aura pas pris fin par miracle.
[1] Voir le remarquable Nouvel atlas des fractures sociales, des géographes Christophe Noyé et Christophe Guilluy, paru aux éditions Autrement.
[2] Sondage IPSOS réalisé le 29 mai 2005 à la sortie des urnes
Mensonges…
Aucun sondage, aucune étude n’a jamais donné Royal perdante chez les ouvriers le 6 mai dernier. Les sondages/études les plus défavorables à Royal lui attribuaient 53% chez les ouvriers (soit 7 points de plus que son score national). Royal est arrivé en tête dans une très large majorité des communes ouvrières des banlieues parisienne (les (ex) banlieues rouges), lyonnaise, stéphanoise…
Dans les grandes villes, c’est - sauf exception - dans les grands ensembles HLM(habités quasi-exclusivement par des ouvriers, des employés et des chômeurs) que Royal a réalisé ses meilleurs scores… et ça a été bien souvent au dessus de 60%, parfois de 70%.
Pour ne prendre qu’un exemple, une enquête LH2 parue le 07 mai 2007 attribuait à Royal 56% des voix des ouvriers contre seulement 40% (16 points de moins) de celles des personnes appartenant aux CSP supérieures.