« On aurait bien voulu louer, ou emprunter, le Carré de la République… »
C’était à l’automne 2007. La Région venait de racheter les salons Drouot, en plein cœur d’Amiens, pour un million d’euros, et ça nous paraissait une excellente nouvelle : associations, écoles, théâtreux, chanteurs, pourraient organiser des concerts, des débats dans cette salle. Spacieuse. Confortable. Centrale.
Mais c’était pas si simple. Il fallait envoyer des faxes, des courriels, contacter le cabinet, appeler, rappeler, re-rappeler, et finalement, après un mois et demi de tractations : « Je crois que ça ne va pas être possible. » On s’était rabattus, donc, pour notre fête, comme d’habitude, sur l’ancienne Salle Dewailly (désormais Gracchus Babeuf). Mais si on ne pouvait pas obtenir « le Carré de la République », ni nous, ni des chanteurs, ni personne, alors ça servait à quoi ? « C’est réservé pour les élus, nous informait le Conseil Régional. Y a open bar. Parfois y a des conventions aussi, des buffets, le comité du tourisme, les chambres de commerce… Mais en général, c’est notre cantine trois étoiles. »
Le lieu mérite bien ses trois étoiles, en effet.
Un fakirien y a déjeuné, de quoi ouvrir une rubrique gastronomique : « Coquilles Saint-Jacques au beurre de Guérande en entrée, filet de boeuf (admirablement poêlé) et ses petits légumes (fèves croquantes et courgettes fondues), salade de chèvre chaud sur croûtons frottés, mousse au chocolat farcie de dés de fruits frais, le tout arrosé de Margaux et d’un Saint Vérain de bonne année. » Avec, bien sûr, des serveurs en costume de pingouin à chaque bout de table.
C’était « pour faire des économies », on nous assura alors : mieux vaut déjeuner à cette « cantine » que dans les restaus d’Amiens. Sauf qu’une dépense gourmande n’empêche pas l’autre : les comptes du Conseil régional regorgent de « déjeuners de travail » à 515 € aux Marissons, à 1 888,70 € à la Brasserie Jules, de « réceptions » à 3 240 € aux Sans-Soucis, à 3 945,61 € au Petit Poucet, toutes les bonnes adresses des gourmets. A l’heure de la crise, c’est pas toute la Picardie qui se serre la ceinture…
On nous traitera de « poujadistes », de « démagogues », qui faisons « le jeu de la droite ».
Pas d’accord.
D’abord, parce que c’est avec de l’argent public – notre argent donc – qu’on a privatisé ce lieu. Les salons Drouot étaient, auparavant, l’un des repaires de la bourgeoisie amiénoise. Mais le paradoxe, c’est que cet espace s’avérait plus ouvert, moins privé, qu’aujourd’hui ! Plus disponible qu’avec une Région en ferme les portes soirs et week-ends. Qui en réserve l’accès à ses affidés. Et c’est encore nous qui payons les vigiles…
Ensuite, justement parce que c’est la gauche (moins Gremetz) qui s’auto-octroie ce traitement princier. Les conseillers de l’opposition n’ont, il est vrai, guère protesté contre ces douceurs. Mais c’est la gauche qui les a décidés. Elle qui, supposément, devrait se tenir aux côtés des salariés, devrait se contenter de ticket-restaurant, la gauche s’offre au contraire des lieux à part. Où les élus sont soignés en barons.
Enfin, parce que le Conseil Régional en a fait un emblème, quasiment. Aussitôt après le rachat, la salle fut rebaptisée « Carré de la République ». Sans honte. Mais est-ce là, franchement, la « République » que nous souhaitons ? Est-ce au-dessus de cette gargote VIP que nous pouvons inscrire « Liberté-Egalité-Fraternité » avec fierté ?
Capital le révélait, dans son numéro de juillet 2008 : « Les cigares du pharaon picard coûtent très cher à ses administrés », et le mensuel relevait « une délibération de 21 644 euros, destinée à garnir la cave à havanes du cabinet présidentiel ». Claude Gewerc publiait aussitôt un communiqué, rétablissant « les bons chiffres » : « 5976 € en 2005, 5234 € en 2006, 3567 € en 2007 », et précisant que la cave est « mise à disposition des 57 membres du Conseil Régional ». C’est une étrange défense. D’abord, parce qu’on n’a jamais vu Elodie Gossuin, ou Brigitte Fourré, ou même Maxime Gremetz avec un cigare au bec. Quand le Président s’en révèle, lui, un fin amateur. Surtout, voilà qui ne répond pas à la question de principe : est-ce aux Picards de payer – en plus du « Margaux », des « coquilles Saint-Jacques au beurre de Guérande », de la « mousse au chocolat farcie de dés de fruits frais »,etc. – les cigares d’élus aux rétributions déjà amples ?