Du petit Lulu à Gainsbarre, un conte poétique sur l’Homme à la tête de chou. Un film anecdotique, inégal, mais bourré de trouvailles visuelles et de fulgurances.
- Tu aimes les biopics ?
Ces téléfilms pathétiques, ruisselants de pathos, avec des acteurs affublés de prothèses qui tentent d’arracher l’émotion au forceps ? C’est souvent hagiographique et pleurnichard – Ray, Che, La Môme, Coluche… – voire franchement déplaisant quand les scénaristes, entre deux coups de violon, révèlent dans l’enfance du héros la clé de sa névrose (la mort d’un frère pour Ray Charles, la maman obsédée par les microbes dans Aviator…).
Il y a également quelques bons films comme Ali, Harvey Milk ou Man on the Moon.
Affirmatif ! Parfois ça aide d’avoir un bon réalisateur derrière la caméra…
Et ce Gainsbourg ?
No comment ! J’avais très peur, déjà rien que le titre prétentiard Gainsbourg (vie héroïque) et cette indication sur l’affiche « Un conte de Joann Sfar » ! Ça sent le nanar…
Et alors ?
C’est plutôt étonnant, au moins sur la forme. Même si on a droit à la construction classique – enfance, traumatisme originel, galères, gloire et déchéance – Sfar, auteur de BD compulsif avec plus de 100 albums au compteur, propose quelques petites surprises. Délaissant la forme téléfilm habituelle, Sfar s’engage dans des sentiers peu fréquentés : comédie musicale, délire onirique avec Gainsbourg qui s’envole dans le ciel de Paris et même virée psychanalytique avec les apparitions de « la Gueule », muse grotesque puis double diabolique de Gainsbourg/Gainsbarre.
C’est plutôt ambitieux pour ce sous-genre de film.
Affirmatif. Comme les grands artistes, Joann Sfar ne cherche pas, il trouve. Et c’est sacrément excitant que de croiser dans des scènes musicales virtuoses Boris Vian, les frères Jacques ou une Brigitte Bardot déculottée. Plus surprenant, on a l’impression d’assister à l’autobiographie de Sfar – qui apparaît grimé en Georges Brassens -, surtout dans la première partie quand Gainsbourg veut devenir peintre.
C’est du bon, tout ça. Mais qu’est-ce qui te chagrine ?
Si Sfar se révèle être un cinéaste bourré de talent et d’idées épatantes, sur le fond, notre prodige de 38 ans tombe dans le travers du biopic. Avec ses gros sabots, il nous balance que Lucien Ginsburg ne s’est jamais remis d’avoir porté l’étoile jaune. C’était donc ça… Très répétitif, le scénario procède par fragments et avance au rythme des rencontres de L’Homme à la tête de chou avec les femmes de sa vie : une scène avec Juliette Gréco, une autre anecdotique avec France Gall, Bardot ou Birkin… On est dans la répétition, le sketch, une rencontre chasse l’autre, et les actrices – impeccables comme Mouglalis, Casta ou la sublime Lucy Gordon – font un petit tour et puis s’en vont. On regarde ça comme les vignettes d’un livre d’images : Gainsbourg fume, saute de belles gonzesses, fait joujou avec ses bibelots, chante la Marseillaise devant les paras défoncés, enregistre à la Jamaïque… On est dans l’illustration, dans le cliché, jamais dans l’émotion. Et Gainsbourg, qui traverse tout cela tel un fantôme, reste une énigme…
Bon, je vais le voir ou pas ?
Affirmatif ! Malgré les scories et les maladresses, le film détonne au sein de la production française. Il y a du souffle, des séquences vraiment gonflées, une musique somptueuse, magnifiquement intégrée au film, et une pléiade d’acteurs inspirés, dont Eric Elmosnino, qui va devenir une énorme vedette.
Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar avec Eric Elmosnino, Laetitia Casta, Lucy Gordon. En salles le 20 janvier 2010.
À lire ou relire sur bakchich :
hello Mr Godin
je crois que le principal problème du film de Sfar, comme de ses bd d’ailleurs, c’est l’absence d’enjeu dramatique dans son scénar’. Pas d’enjeu, d’où pas de tension, pas d’émotion, juste une succession de vignettes brillantes (dans tous les sens du terme). Son Gainsbourg pourrait faire deux heures de plus ou une heure de moins (je pencherais pour 20 mn de moins) que ça ne changerait pas grand chose au fond. Du coup, même si c’est réellement l’intention du réalisateur, on passe complètement à côté du trauma de l’étoile jaune (que vous évoquez mais qui n’explique rien), comme du thème de la laideur, comme de l’impuissance créatrice. Mais vrai, cette déconstruction un rien j’m’en-foutiste, ce biopic "en liberté", les trouvailles visuelles hallucinées, dans un cinéma français souvent ronronnant (à ces hauteurs de budget en tous cas), ça fait un bien fou !
amicalement
S.
@ Canaille et Lezed : Nabe n’a pas écrit que des conneries (il en a aussi dit pas mal) - et effectivement il ne se rêve pas en Gainsbourg mais en Philippe Muray, en Choron ou en Céline, ou un mélange des 3… mais ne parvient guère qu’à être Nabe. Pas grand chose d’enthousiasmant, donc.