Le cinéaste Eric Rohmer est mort lundi 11 janvier. Il avait 89 ans. C’était un géant.
Je l’avais rencontré en 2006, à l’occasion de la sortie des "Amours de Céladon et Astrée". Un homme subtil, curieux et malicieux. Le regard d’un bleu intense, l’amour du cinéma intact, l’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma me livrait les clés de son amour pour le septième art.
Vos premiers souvenirs cinématographiques ?
Eric Rohmer : Je suis très peu allé au cinéma durant mon enfance. En sixième, comme je faisais du latin, mes parents m’ont emmené voir Ben-Hur de Fred Niblo (1925), avec Ramon Novarro. J’ai vu également une version de L’Aiglon. Et c’est tout ! Puis au lycée, j’ai dû voir quelques courts-métrages de Chaplin et d’Harold Lloyd.
On ne peut pas dire que le cinéma était votre passion…
E. R. : Non. J’ai vraiment découvert le cinéma en classes de khâgne à Paris car les élèves d’Henri IV allaient au cinéma les Ursulines. J’y ai découvert des René Clair et "L’Opéra de quat’ sous" qui m’avait fait beaucoup d’effet. Dans des salles plus populaires, j’ai vu "Quai des brumes", des comédies américaines comme "New York-Miami", "La Grande illusion" et "La Bête humaine", deux films que je n’ai pas beaucoup aimés au premier abord. Puis Renoir est devenu un de mes cinéastes préférés. Après la guerre, je me suis impliqué dans un ciné-club, celui du Quartier latin, qui passait des films américains qui n’avaient pas été distribués pendant la guerre. A cette époque, j’ai donc vu énormément de films, puis il y a eu la Cinémathèque, une toute petite salle avenue de Messine, qui projetait les chefs-d’œuvre du cinéma : les Griffith, les films expressionnistes allemands, les Lang, les Abel Gance… J’ai mené alors une vie de cinéphile.
Dans les années 40, vous étiez enseignant, vous avez écrit votre premier roman en 1944 (1). Comment vous êtes vous consacré à l’étude des films.
E. R. : J’ai enseigné une dizaine d’années. Quand j’ai été nommé dans une petite ville proche de Paris, il m’était difficile de voir des films. J’ai donc décidé de prendre un congé et je me suis lancé dans la critique, aux Cahiers, mais on ne gagnait rien, à Arts, grâce à François Truffaut. Puis je suis devenu le rédacteur en chef des Cahiers à la mort d’André Bazin. Et j’ai réalisé mon premier film, Le Signe du lion.
Quels étaient vos cinéastes préférés aux "Cahiers" ?
E. R. : Nos dieux étaient Hitchcock, sur qui j’ai écrit un livre avec Chabrol, et Howard Hawks. A ce moment, nous avions un principe, énoncé par Truffaut, qui était la politique des auteurs : on n’admirait pas un film, mais l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. Nous n’aimions pas un film d’Hitchcock, mais tout Hitchcock, même si nous avions une préférence sur les films qui ne plaisaient pas (rires). J’ai également beaucoup aimé Renoir, Griffith, qui a inventé le découpage, mais surtout Murnau et ses chefs-d’œuvre Faust, "Le Dernier des hommes", "Tabou" ou "L’Aurore". Pour moi, c’est le plus grand et je le disais déjà dans mon premier article en 1948 ! Je viens juste de découvrir un film très rare de lui, "Fantôme".
Vous voyez encore des films en salles ?
E. R. : Pour des raisons physiques, je ne vois les films qu’en salles de projection. Si je ne peux pas choisir ma place, cela ne va pas du tout. Mais je vois des films à la télé, en cassette ou en DVD.
Qui sont les cinéastes que vous aimez ?
E. R. : Je ne veux pas parler de mes contemporains, on n’a pas de recul suffisant pour en parler. Et je n’ai plus cette sûreté de goût que j’avais quand j’étais critique aux Cahiers. Néanmoins, j’ai tendance à préférer les œuvres sans prétention aux œuvres prétentieuses. Je déteste la prétention ! C’est pour cela que j’aurais tendance à préférer parfois les téléfilms aux films. Aucun film de télé n’est aussi mauvais que les films de cinéma…
Ben non, les péronnelles raisonneuses de Rohmer ne jouent pas « faux », elles causent le « rohmer », ce qui correspond pour lui au mode d’expression d’une sorte d’idéal féminin n’existant que dans ses films !
Cela campe un univers, ce qui n’est pas mal pour un cinéaste, il a un « monde », tout comme Jeunet dans certains films, ou Gilliam dans « Brazil ». A part que Rohmer n’avait pas besoin de mille milliards de pixels sur un écran large, et d’odorama !
On peut aimer Rohmer « et » Pialat, les filles rangées de l’un, où les héroïnes délurées de l’autre…
Le cinéma ne saurait être celui d’une chapelle, d’un livre unique, contrairement à ce que soutiennent les dévots de la Nouvelle Vague.
Bon, il va s’en dire que je ne suis pas du tout d’accord avec vous.
Une phrase de Rohmer : "Il ne faut pas s’adresser au plus bête de l’assistance. Moi, je fais mes films pour le spectateur le plus intelligent."
Et lire le bel hommage de Skorecki ("C’était évidemment le plus grand cinéaste français après Bresson") sur : http://skorecki.blogspot.com/
Voilà.
C’est quand même rigolo, un cinéaste dont un seul film ne plaît pas se verra à la moindre accroche qualifié de "réactionnaire", pour une éventuelle peccadille, et là, la presse bien-pensante célèbre le "granthomme" en évacuant totalement cette dimension du décédé, dont la boussole idéologique était bloquée au temps des rois !
Godard a fait "coucou" au chef de l’OAS Espagne (Parvulesco) dans un de ces films les plus fameux, Rohmer le filme (Il cause avec Bannier) dans son long métrage politiquement le plus contemporain, ou il soliloque sur un monde qui lui échappe, ce qui est normal quand on est accroché au passé.
Comme avec Lévi-Strauss, comique de voir une camarilla de soixante-huitards installés aux commandes de grands médias idolâtrer des œuvres qui s’inscrivent de manière antagoniste avec leur idéologie, certes sinueuse.
Quand Eastwood cassera sa pipe, on va rigoler : Un Smith & Wesson crêpé en une de Libé ?
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Parvulesco
Bah.
« Ses articles sur la Nouvelle Vague lui ont valu d’apparaître dans certains films de Jean-Luc Godard (tel À bout de souffle, où son personnage est joué par Jean-Pierre Melville), Éric Rohmer (L’Arbre, le maire et la médiathèque), Barbet Schroeder (Maîtresse), etc. »
Quand Rohmer fait causer Parvulesco dans "L’Arbre, le maire et la médiathèque", m’est avis qu’il répond en le narguant à, et le provoque, le journaliste René Monzat, son fiston, qui à l’époque traque la "bête immonde" dans le "Monde" et ailleurs !