Trop méconnu ministre, Dominique Perben est également un fan d’architecture audacieuse. Une lubie qui l’a même poussé à révolutionner le monde de l’assurance, via un tout petit amendement législatif. Cerise sur la gâteau, ce petit arrangement esthétique va permettre la construction d’un musée audacieux dans la ville de son coeur et de ses ambitions, Lyon.
Dominique de Villepin, on le sait, a demandé à ses ministres de ne pas trop se laisser distraire par la campagne présidentielle et de « continuer à travailler » jusqu’au bout.
Un vœu pieu ? En tout cas il en est un, Dominique Perben, ministre des Transports et de l’Équipement auquel il ne pourra être fait reproche d’avoir délaissé l’intérêt général et de se laisser trop distraire par la compétition électorale.
Même lorsque le pays ripaille ou s’apprête à réveillonner, au Transport et à l’Équipement, on continue à bûcher ferme. Ainsi de l’article de loi L. 243 – 9 ajouté au code des assurances, qui a bouleversé, certes discrètement en cette veille de réveillon, mais en profondeur, le régime français de l’assurance construction.
Une affaire rondement menée ! Qu’on en juge : le 18 décembre dernier sans concertation préalable avec les professionnels du secteur, le sénateur Michel Mercier (UDF) dépose un amendement légalisant des plafonds en matière d’assurance décennale. Trois jours plus tard l’amandement est voté par les deux chambres. Et le texte est promulgué le jour de la Saint-Sylvestre.
Pourquoi tant de hâte ?
Depuis 1989 et selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, le régime juridique en matière d’assurance dommage construction interdit le plafonnement c’est-à-dire la limitation du montant de la garantie par les assureurs en cas de sinistre. Dans son principe –férocement combattu depuis toujours par le lobby des assureurs– le législateur entendait ainsi engager la responsabilité des constructeurs et protéger le client final des sinistres et défauts graves susceptibles d’apparaître pendant les dix années qui suivent la réception d’un ouvrage. C’est la garantie décennale.
S’assurer pour un constructeur ou un maître d’ouvrage est une obligation légale sous peine de poursuites pénales. Lorsque le maître d’ouvrage est une personne morale de droit public, l’assurance dommage n’est pas obligatoire mais il assume alors seul le risque d’un éventuel sinistre. En cas de refus de la part d’un assureur de délivrer une assurance dommage ouvrage il existe par ailleurs un Bureau Central de Tarification (BCT) dont la mission sera d’arbitrer le montant d’une prime qu’une compagnie d’assurance sera contrainte de garantir. Après évaluation du risque.
On comprend sans peine que comme dans d’autres domaines –automobile par exemple-, les assureurs sont hostiles à cette contrainte et préfèrent sélectionner leurs clients.
L’effondrement du terminal 2 E de l’aéroport Roissy en 2004, dont la reconstruction devrait coûter 150 millions d’euros aux assureurs, a renforcé cette prévention naturelle et a surtout conduit les assureurs à manifester désormais la plus extrême défiance vis-à-vis de « l’audace architecturale ».
Une disposition d’esprit que ne partage pas l’audacieux sénateur Mercier à l’origine de la modification législative. Notre sénateur se trouve aussi être président du Conseil Général du Rhône et à ce titre le promoteur d’un chantier « pharaonique » : le Musée des Confluences. Initié par Mercier en 1999, le chantier de ce futur Musée, à la confluence donc du Rhône et de la Saône couvre 20 000 m2. Son coût estimé, hors foncier, est déjà passé de 65 à 153 millions d’euros avant même que le premier coup de pioche n’ait été donné en octobre dernier. Le chantier est supposé durer 44 mois pour une inauguration prévue en 2011.
Bref pas une petite affaire et une « ambition partagée » selon le Conseil général : « Ce musée doit être un des moteurs du projet Confluent. Son audace n’était pas attendue » » explique au magazine Lyon capitale le sénateur Mercier.
L’audace de la construction envisagée chagrine toutefois les assureurs. Tous ont refusé de couvrir le futur bâtiment compte tenu de ses « particularités architecturales ». Saisi, le Bureau Central de Tarification se trouverait selon nos informations dans l’impossibilité de contraindre une Cie à couvrir le risque car le BCT ne disposerait « d’aucun élément crédible au dossier » lui permettant de tarifer l’opération.
Confiée au cabinet autrichien Himmelblau la future construction est ainsi décrite sur le site dédié au musée. « L’un des éléments phares du bâtiment consiste à en faire un nuage, un corps en lévitation (…) Les formes mouvementées du Musée des Confluences illustrent la complexité des thèmes et enjeux présentés, au-delà du cloisonnement des connaissances, et leurs effets sur l’architecture, les connexions, la mutation des formes, la pénétration, la déformation, la simultanéité, la dissolution, la variabilité… »
Las, si ces évocations lyriques paraissent avoir enflammé les esprits les plus avant-gardistes, elle ont terrorisé les cerveaux reptiliens du petit monde de l’assurance–construction. Celui-ci est réfractaire à la perspective d’une « structure aérienne de verre et de métal qui semble défoncée par un coup de poing » ( sic !)
Et en octobre dernier alors que démarraient les travaux, le Sénateur Mercier s’inquiète du risque majeur qui pese sur la SERL, la société d’économie mixte mandatée par le Département du Rhône pour la réalisation du Musée. Et qui se trouve sans assureur.
Il fallait donc agir et fissa fissa. D’ou l’adoption en catastrophe en décembre - afin de régler le problème particulier posé au Conseil Général du Rhône – d’une nouvelle loi, de portée nationale. Aussi entreprenant soit–il, jamais notre sénateur-président du Conseil général , ne serait parvenu à ce résultat, en trois jours, tout seul.
Fort heureusement, Dominique Perben le ministre des Transports et de l’Équipement, autorité de tutelle de l’assurance construction, s’est souvenu qu’il était aussi candidat à la mairie de Lyon.
Si la capitale des Gaules vaut bien un musée et une réforme au pas de charge, reste encore à Dominique Perben à préciser un point. Celui d’expliquer aux contribuables lyonnais, qu’en cas de problème, c’est à eux qu’il reviendra de régler la partie « hors plafond » d’un sinistre.