Personne ne parle des affres de l’Angola. Alos plutôt que d’aller parader dans les réunions du troisième âge organisées en France, les autorités du pays essaient une nouvelle piste : emprisonner une militante anti-corruption…
L’Angola est un pays discret. Sa guerre civile de 26 ans (1975-2002) et 500 000 morts n’a guère fait la une des journaux. Son président, Eduardo Dos Santos, au pouvoir depuis 1979, n’a jamais donné d’interview. Son pétrole [1], qui coule à flots , se négocie en catimini entre pouvoirs et grandes sociétés pétrolières. Et gare à ceux qui voudraient ébruiter les petits secrets.
Le bon président Dos Santos boude par exemple depuis des années la France, coupable à ses yeux de laisser la justice tricolore titiller ses amis Arkadi Gaydamak et Pierre Falcone dans l’affaire de l’Angolagate [2] . Même la nomination de Falcone en tant qu’ambassadeur de l’Angola à l’Unesco, et l’immunité assortie, n’eut pas raison de la volonté du juge Courroye. Du coup, Edu ne vient plus passer ses vacances sur la si douce Côte d’Azur, où il possède quelques bicoques. Le leader angolais a même zappé la dernière sauterie françafricaine de Cannes (14 au 16 février dernier), où il aurait été comme chez lui, et y a dépêché son ambassadeur à Paris. Un brin cavalier et aux dernières nouvelles, un fort peu galant homme.
Ses services ont en effet pris la mouche cette semaine et fait goûter de la cabane à une militante anti-corruption. Et pas n’importe laquelle, Sarah Wykes, activiste britannique de l’ONG Global Witness (GW). Attachée depuis moult années à la transparence de la gestion des matières premières en Afrique [3], Wykes a pris ses précautions avant de venir, sachant le pouvoir fort suscpetible et goûtant peu le travail de son organisation. L’accueil réservé à la grande enquête de GW sur l’Angola, Tous les hommes du président [4], avait été plutôt froid.
Aussi la tournée a-t-elle été annoncée en bonne et dûe forme. Demande officielle de visa, demande tout aussi officielle de rencontres avec des personnalités du gouvernement et prises de rendez-vous avec diverses personnalités de la société civile. Bref une ballade de routine pour prendre la température et s’enquérir dans les avancées de la lutte anti-corruption dans le secteur pétrolier, dont dépendent 95% des exportations angolaises.
Pas de quoi fouetter le gros chat de Luanda ? Ben si. Wykes a eu droit à une visite absolument pas courtoise des flics, le 19 février dernier, alors qu’elle se trouvait à Cabinda (la capitale d’une zone riche en pétrole au Nord du pays). Et les poulets angolais lui ont prestement dégotté un nouveau logis, la prison locale, en oubliant pas de lui confisquer notes, passeport, carnets de contacts et clé USB. Cinq heures sans nourriture ni eau plus tard, la militante eu la joie d’apprendre qu’elle était accusée d’espionnage. Sans plus de précision. Dans les milieux pétroliers, l’incarcération intrigue aussi. « D’habitude, Dos Santos expulse, surtout les étrangers. Mais apparemment, après avoir reporté les élections présidentielles et législatives de 2006 à 2007, il veut verrouiller le pays ».
Contactée, l’ambassade d’Angola à Paris se montre fort rétive à commenter l’affaire, se bornant à indiquer au journaliste la démarche à suivre. « Ecrivez un courrier, on vous dira si on vous accorde un entretien ». Ben voyons
Trois nuits en taule plus tard, Wykes est libéré. Toujours sans savoir de quoi exactement elle est accusée. Et sans que Global Witness soit plus rassuré que cela. « Son passeport lui a été rendu. Elle devrait rejoindre aujourd’hui Luanda. Mais a priori elle n’a pas récupéré ses notes. Et elle ne peut pas quitter le pays sans autorisation des autorités », qui n’ont pas abandonné les charges d’espionnage qui pèsent contre elle. « Inquiétant, les services angolais ne sont pas tendres et sont bien capables de monter un joli dossier », indique un bon connaisseur de la zone.
Et en la matière, Dos Santos a été à bon école. Pieusement marxiste dans son adolescence, le maître de Luanda a fait dans les années 60 un détour dans la patrie du verbiage et des grands procès, la belle URSS. Mieux, jeune ministre des Affaires Etrangères de l’Angola indépendant, il commence à fricoter avec le castrisme. Le lider Maximo appuie les forces de son parti, le Mouvement du Peuple pour la libération de l’Angola (MPLA-marxiste) dans la guerre civile qui l’oppose à l’Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola (Unita).
De ces hauts parrainages, Dos Santos a apparemment conservé le goût pour les accusations iniques. Et l’art de choisir ses soutiens.
Allié des Américains depuis la chute de l’URSS, l’Angola fournit à l’oncle Sam 15% de ses achats de pétrole à l’étranger. « Le président Dos Santos est un ami, un ami stratégique », répète dès qu’il le peut George Bush pour lequel l’Angola représente une carte majeure. Et toutes les grandes compagnies pétrolières, françaises ou anglo-saxonnes, ont pignon sur rue à Luanda.
Étonnant qu’aucune chancellerie étrangère n’ait encore élevé la voix contre Luanda, tout nouvel entrant à l’Opep (organisation des pays exportateurs de pétrole). Sans doute pour ne pas rompre avec l’honorable volonté de discrétion du président Dos Santos.
[1] L’Angola est le deuxième producteur de pétrole en Afrique, après le Nigeria
[2] Ventes d’armes illicite entre la France et l’Angola et dans laquelle sont mis en examen, outre Gaydamak et Falcone, Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua ou l’ancien préfet Jean-Charles Marchiani
[3] Global Witness est à l’origine des campagnes contre les « Diamants du Sang », qui servaient à financer de nombreux conflits africains et a agi en qualité de conseiller technique lors du tournage du film Blood Diamond sorti il y a peu
[4] GW y décrit par le menu le pillage des revenus pétroliers par le pouvoir angolais pour à la fois financer sa lutte contre la rebellion et remplir ses comptes bancaires à l’étranger et les manœuvres des sociétés pétrolières pour l’encourager dans cette voie