Gilles de Robien voulait « redonner de l’air au logement locatif ». Sa subvention à la construction de standing a plutôt jeté de l’huile sur le feu. La suite de l’enquête de « Bakchich ».
Relire la première partie de cette enquête en cliquant ici
Contrairement à ses prédécesseurs, Gilles de Robien n’a assorti son dispositif fiscal d’aucune obligation pour les investisseurs. Le plafond de ressource des locataires a été supprimé, le plafond de loyer explosé. Contredisant d’emblée l’objectif affiché de « rendre le marché locatif plus accessible à tous les Français, quel que soit le lieu ».
Le toilettage de 2006 n’a pas bouleversé la donne. « Même dans le régime Borloo« Même dans le régime Borloo [1] neuf, les loyers plafonds sont assez rarement inférieurs aux loyers de marché », relève Jean Bosvieux, directeur des études de l’Agence pour l’information sur le logement (ANIL), un organisme chargé d’éclairer les locataires et les propriétaires.
Résultat, un couple avec deux enfants peut acquitter un loyer très sélectif de 1 300 € par mois, charges comprises, pour un « Robien » de 80 m², selon les simulations de la Fondation Abbé Pierre. Un coût supérieur au reste du marché libre (1 000 €), au logement Borloo (950 €) et, a fortiori, au logement social, intermédiaire (plus de 700 €) ou standard (600 € maximum).
Tous les acteurs du logement ont constaté de tels écarts de prix et le groupe socialiste à l’Assemblée nationale [2] en a relevé quelques-uns : en 2007, un 65 m² est loué 419 € par mois, en moyenne, dans le parc privé ancien à Carcassonne [3]. Neuf et sous le régime de Robien, il faut compter jusqu’à 755 €.
À Angers, l’écart s’étend de 361 € dans l’ancien à 924 € pour le « Robien ». A Nanterre, les prix vont de 1.100 € dans l’ancien à 1 330 € pour le « Robien ».
Logiquement, les autres propriétaires ont cherché à s’aligner. « Sur Albi, les loyers ont connu des progressions à deux chiffres pendant trois ans, à l’arrivée des produits de Robien », souligne Hélène Rocques, responsable de l’ADIL du Tarn. Les loyers à la hausse dans le neuf ont permis aux promoteurs d’augmenter leurs prix (le coût du m² dans l’investissement locatif est supérieur de 14% à celui de l’accession à la propriété [4]). Ils se sont donc livrés à une surenchère pour les terrains disponibles, rendant la production de logements sociaux et l’accession à la propriété encore plus difficiles.
Dans un souci de maximiser la rentabilité, la production a surtout porté sur des studios et des deux pièces, parfois à l’écart des transports publics, au détriment des logements familiaux. En outre, l’offre de logements neufs s’est étendue dans des départements (Corrèze, Landes, Aveyron, etc) ou des villes moyennes (Montauban, Poitiers, Bourges, etc) en dehors de la zone d’attraction des grandes métropoles. Du coup, la demande y est faible.
Parfois, les promoteurs ont saturé l’offre avec du « Robien ». Une étude de la Direction départementale de l’Équipement de Basse-Normandie montre que la quasi-totalité des logements neufs à Lisieux, par exemple, sont des « Robien ». Résultat, même le président de la Fédération des Promoteurs-Constructeurs s’est plaint de programmes aux trois-quarts vides au Puy-en-Velay ou à Carcassonne. Le phénomène résulte de la vente du « Robien » par des réseaux nationaux à des investisseurs n’habitant pas sur place, ne connaissant donc pas forcément le marché où leur bien allait sortir de terre. Certains ne l’ont même pas visité.
Les investisseurs vont-ils tous tirer leur épingle du jeu ? Rien n’est moins sûr. Le taux élevé de rotation des locataires est noté par de nombreux observateurs. « Je suis resté trois ans dans un “Robien”. Le gestionnaire de la résidence était étonné que je sois resté aussi longtemps », glisse un adhérent de la Confédération nationale du logement (CNL) d’Allonne, près du Mans. Si bien que les remises se multiplient pour attirer davantage de locataires.
Avec des loyers qui ne rentrent pas aussi bien que prévu, certains propriétaires pourraient rapidement se trouver en difficulté. En effet, pour tirer le meilleur parti de la défiscalisation, ils se sont endettés au maximum (près de la moitié n’ont pas engagé d’apport personnel, ou alors très faible [5]). « Il y a consensus parmi les acteurs du logement : le “Robien” sera le prochain désastre du secteur. C’est une bombe à retardement », averti Sébastien Kuperberg de CoproCoop, un organisme coopératif qui intervient dans les copropriétés dégradées.
En outre, ces investissements réalisés dans la pierre en pleine bulle immobilière risquent de ne pas produire les plus-values attendues. Et ce, indépendamment de l’évolution du marché. Certains propriétaires devront consentir des rabais importants pour des biens trop petits, mal placés, aux charges élevées, à la qualité bien souvent « très moyenne », selon plusieurs témoignages, et dont les travaux nécessaires n’auront pas forcément été réalisés « en l’absence de réception des travaux parfois ». En outre, si l’on se réfère aux précédents dispositifs fiscaux, ces logements risquent d’être massivement mis en vente, en même temps, à la fin de la période de défiscalisation.
Les finances publiques devaient-elles soutenir ainsi l’investissement locatif ? Il y a lieu de s’interroger. Même les services du ministère du Logement soulignent, dans un rapport remis en février dernier, qu’« en période de surchauffe, il est probable qu’une part significative des logements bénéficiant de dispositifs fiscaux aurait été financée même en [leur] absence » [6].
Le coût de ces dispositifs, qui concernent en moyenne 60 000 logements par an depuis 2003, est élevé pour les finances publiques. Chaque année, le manque à gagner pour le Trésor public atteint 700 millions d’euros, dont 400 à 450 millions d’euros jusqu’en 2012 pour le « Robien » seul [7]. Par comparaison, en 2007, le reliquat d’aides publiques à la pierre s’est élevé à 1,4 milliards d’euros et a fait sortir de terre 62 000 logements sociaux, ouverts à 70% de la population.
La Fondation Abbé Pierre estime que le gouvernement joue les « pompiers pyromanes » avec les « Robien » et les « Borloo ». Le principe même de ces aides n’est toujours pas remis en cause par le gouvernement qui pourrait les faire réapparaître sous un nouvel avatar, comme le craignent la CNL et le mouvement HLM. Avec la même réussite ? « B-A, ça fait BA ! », comme disait celui qui est passé, en 2005, du Logement à l’Éducation nationale.
Relire la première partie de cette enquête en cliquant ici
[1] Le ‘‘Robien recentré’’ a vu son avantage fiscal réduit par rapport au produit originel. Le ‘‘Borloo populaire’’ bénéficie d’une fiscalité plus favorable, car cumulable avec d’autres exonérations fiscales prévues pour la construction de logements intermédiaires, celles-ci sont assorties de plafonds de loyers plus bas et de l’instauration d’un plafond de ressources.
[2] Rapport n° 737, Jean-Yves Le Bouillonnec, Assemblée Nationale, 26.03.08
[3] L’état du mal-logement en France, Fondation Abbé Pierre, Paris, 2006, p.240
[4] Evaluation des dispositifs d’aide à l’investissement locatif, Ministère du Logement et de la Ville, février 2008, p.40
[5] Évaluation des dispositifs d’aide à l’investissement locatif, Ministère du Logement et de la Ville, février 2008, p.40.
[6] Évaluation des dispositifs d’aide à l’investissement locatif, Ministère du Logement et de la Ville, février 2008.
[7] L’état du mal-logement en France, Fondation Abbé Pierre, Paris, 2007, p.189
l’ etat , qui n’ a pas rempli son role en ne construisant pas assez de logements sociaux , a pensé , qu’ en pratiquant de la défiscalisation , il pourrait faire construire les logements manquants par les privés mais maintenant , beaucoup vont avoir des problèmes , car ces logements ont été financés largement à crédit , avec des montages qui , jamais n’ont pris en compte le fait qu’il pourrait y avoir des difficultés à trouver des locataires solvables dans les zones de construction
et je suis toujours étonnée , de voir la credulité d’ un grand nombre
faire un investissement immo , sans meme aller voir dans quel genre d’ endroit il est situé, cela me dépasse à décharge pour eux , c’ est que les promoteurs savent y faire , présentations des avantages , mais jamais des risques ,
ET tout ça avec la complicité de l’ état , qui pendant ce temps , voit le batiment lui apporter une baisse du chomage , et des rentrées de taxes diverses
il va y avoir des tensions dans les budgets ….. et la revente , si elle se fait , se fera avec de grosses pertes
En complément de vos articles, petite histoire à Montauban. Dans cette ville il y a eu tellement de constructions "Robien" que les propriétaires, pour valider leur engagement de location vis à vis du fisc, ont fait cadeau des trois premiers mois de loyer … Les petits malins ont trouvé l’affaire juteuse et le lendemain de leur entrée dans les lieux envoyaient leur résiliation de bail. Les proprios n’étaient pas au bout de leur surprise quand ils ont réclamé à leur assurance de vacance locative, tant vantée par le promoteur, les loyers qui ne tombaient plus. Franchise de trois mois minimum et indemnisation limitée de trois à six mois une fois par an. Ajouté à tout ça l’augmentation des taux variables sur des prêts souscrits sur vingt cinq ans et le tableau est complet ! Donc un peu schématiquement un contribuable payant 400€ d’impôts par mois s’endettant à hauteur de 800€ par mois et déduction faite des frais encaissant 400€ de loyer voit son disponible inchangé puisque l’avantage fiscal neutralise sont impôt pendant qu’il règle l’écart crédit - loyer. L’affaire est valable puisque cet argent n’est plus versé "en pure perte" au Fisc mais contribue à constituer une épargne dans la pierre au frais de l’état ! Il y a donc des lendemains qui déchantes pour les proprios qui sont "scotchés" à leur bien invendable avant neuf ans sous peine de réintégration des déductions fiscales. Enfin il y a fort à parier que lors de l’afflux massif de ces biens sur le marché de l’occasion, nombre de proprios n’obtiendront même pas de quoi rembourser le capital restant dû (plus les frais …). Jolie pagaille en perspective et déstabilisation du marché du neuf ?
Bernard Toulouse
Bonjour,
Je suis moi même le possesseur d’un logement acheté en Robien. Je n’ai pas du tout cette vision catastrophique qui est dénoncée un peu partout. Est ce mon cas qui est atypique, ou les exemples que vous citez ?
Pour ma part, mon appartement est situé en centre ville d’une commune moyenne (25000 habitants). La résidence est petite(15 appartements), peu de charges (pas d’ascenseur)et le loyer est légèrement inférieur au marché. Il est loué, rentable, et je bénéficie d’économie d’impôts.
Donc à mon humble avis, ce n’est pas tant la loi Robien qui est en cause, mais l’utilisation qui en est faite par les réseaux que vous citez, qui transforment un bien immobilier en placement financier à court-moyen terme. Si vous achetez une m… vous serez propriétaire d’une m…, avec ou sans avantages fiscaux.
C’est aux collectivités locales de faire le ménage, et aux acheteurs de se rappeler qu’un achat immobilier reste un achat immobilier, quelque soit la carotte fiscale qui y est adossée. Car sur le long terme, l’immobilier est largement rentable (sauf si on achète une m…, bien sûr !).
Mais ce n’est que mon humble avis d’investisseur satisfait de la loi Robien.
Hugues B.
http://coproderobien.ning.com/
Ce site permet aux copropriétaires de logements achetés dans le cadre de la loi de Robien et bien souvent dispersés dans toute la France, de se mettre en relation les uns les autres afin de s’unir.
Objectifs : se regrouper pour échanger infos, idées et passer à l’action quand c’est nécessaire !