Bagarre de bar entre six policiers en civil et un jeune étudiant, chasse à l’homme : les Chinois se régalent sur le Net.
Au mois d’octobre, deux vidéos de télé-surveillance ont fait leur irruption dans le monde merveilleux de l’internet chinois. Une première. De quoi inquiéter les autorités, alors que de violents affrontements ont opposé, entre vendredi 7 et samedi 8 novembre, la police à des milliers de manifestants à Shenzhen, dans le Sud de la Chine.
« La nuit dernière à Harbin, six policiers battent à mort un étudiant de l’Institut d’Education physique dans la rue ». Ce billet apparaît le 12 octobre accompagné de macabres photos de l’étudiant et circule comme une traînée de poudre sur la toile de l’Empire du Milieu. Cette information déchaîne d’explosives réactions des internautes qui condamnent immédiatement les policiers tout en défendant le jeune étudiant.
Afin de couper cours au déferlement de mécontentement populaire sur le Net, la télé provinciale, Helongjiang TV, invariablement à la solde des autorités, reprend le lendemain l’information et diffuse les images du système de vidéo-surveillance du Sugar ou Candy Bar, récupérées bien entendu… par la police. En contre-plongée, cette vidéo montre en substance le jeune Lin Songlin attaquant à l’aide d’une brique un policier en civil, Qi Xin, à la sortie de la boîte de nuit de Harbin, capitale de la province du Helongjiang. Ce film devenu vidéo-reportage sera repris sur plusieurs espaces virtuels chinois, comme Sina.com et Youku.com.
Les internautes se transforment en inspecteurs en herbe. Sentant la brèche dans un espace d’expression libre mais sévèrement contrôlé, ces cyber-activistes se font jurés par procuration donnant leur point de vue sur le sujet. Ces Net-enquêteurs, en mal de vérité dans ce monde policé par le dire vrai du parti communiste, réfléchissent ensemble sur ce fait divers.
Un fossé se creuse petit à petit entre les partisans de la culpabilité des policiers en civil, et ceux reconnaissant la responsabilité de ce jeune étudiant appartenant à la jeunesse dorée de la ville, probablement ivre, voir sous l’emprise de substances illicites. De plus, étant le fils d’un haut officiel de la province du Helongjiang et le neveu d’un cacique du gouvernement chinois d’après toujours les recherches des internautes, ils considèrent qu’il a consciemment envenimé les choses et délibérément agressé le policier.
Diffusée le 29 octobre, la seconde vidéo provient du système de vidéo surveillance du restaurant Plum Garden Seafood situé à Shenzhen, la mégapole économique chinoise jouxtant Hong Kong. Ce film montre la salle où les convives se restaurent et où débutent d’hostiles pourparlers entre les parents d’une petit fille de 11 ans et un haut officiel chinois, qui s’avère être Lin Jiaxiang, membre de l’administration maritime de Shenzhen. Ce col blanc qui se croît intouchable est pris à parti par les parents au motif qu’il aurait forcé la petite fille à le suivre dans les toilettes pour hommes. Même si la caméra fixe ne permet pas de visualiser la supposée agression. Peu importe, les internautes ont frénétiquement lancé une chasse à l’homme virtuelle ciblant le rondouillard énergumène. A partir de photos, il a été rapidement identifié, son numéro de téléphone professionnel, de téléphone portable ainsi que sa plaque d’immatriculation de voiture s’échangent sur le Net à la vitesse de la lumière.
Ces deux phénomènes de société mettent en lumière l’avènement d’une forme singulière de cyber-citoyenneté à la chinoise. Entre un engagement pour tenter d’assainir les structures administratives, bureaucratiques et policières de ce système gangrené par la corruption, au sens large du terme, et une implication dans la chose publique chinoise, les internautes luttent à leur manière sous l’oeil vigilant de l’autorité tutélaire. Contre la corruption, les passe-droits, le zèle et les abus de pouvoir flagrants de certains cadres locaux du parti communiste et des fonctionnaires, l’Internet chinois se mobilise en accord parfait avec le discours officiel qui fait de la lutte contre ces agissements un devoir citoyen. Un laisser faire face au lynchage numérique de quelques brebis galeuses du système socialiste chinois, lorsque cela arrange Pékin, peut être considéré par certains comme une liberté accordée aux chinois cyber-citoyens en devenir. Tant que cela ne remet pas en cause l’économie du pouvoir chinois et va dans le sens du vent dicté par le gouvernement central, les internautes continueront leur lutte anti-corruption.