Alors que l’année scolaire se termine, les jeunes font des progrès détonants en chimie. Fini le temps des pétards rouges à mèches. A l’heure d’Internet, ce sont de véritables petites bombes qui sont (mal) bricolées et explosent régulièrement au nez de leur auteur. Cette nouvelle mode inquiète le ministère de l’Intérieur qui suit de près les apprentis artificiers.
Lundi 16 juin au matin c’est l’heure d’aller à l’école. Il est 7h30 et à Vélizy, commune de l’Ouest parisien, le jeune B. âgé de seulement de 14 ans est supposé préparer son cartable. Soudain c’est l’explosion. Grièvement blessé, l’adolescent, touché aux jambes et à l’abdomen, sera finalement dispensé de cours et B. est conduit en urgence à l’hôpital Necker. La bombinette artisanale qu’il manipulait vient de lui péter au nez.
La veille, dimanche 15 juin, à Epone dans le nord de ce même département des Yvelines, une patrouille de police interpelle quatre jeunes âgés de 16 à 18 ans : tranquillement installés devant le domicile de l’un d’entre eux, ils sont affairés à fabriquer un engin explosif. Huit jours plus tôt et toujours dans le 78, mais cette fois dans l’environnement ultra chic du Vésinet, ce sont des ados affolés qui composent le 18. Motif ? La bombinette qu’ils sont en train de bricoler est en train de leur échapper et devant les réactions chimiques de l’engin, les fils à papa ont préféré appeler les pompiers à la rescousse. Doigts arrachés, brûlures, surdités, depuis plusieurs mois, les accidents se multiplient aux quatre coins du pays, alors qu’une véritable mode pour la fabrication d’engins explosifs paraît s’être installée chez les adolescents.
Le 7 février dernier, un étudiant en informatique de 21 ans est mort dans l’Oise suite aux manipulations qu’il effectuait avec frère et cousin dans la cave du pavillon familial sur un tube de ferraille rempli de sucre et de déserbant et qu’ils avaient entrepris de perforer à la disqueuse électrique. Comme prévisible (sauf pour eux) l’échauffement ou les étincelles projetées par la disqueuse entraînent l’explosion du mélange.
Relatant ce fait divers, la presse insiste sur le fait que les apprentis chimistes habitent à Lamorlaye au « domaine du Lys », un « quartier de haut standing ». Bref, comme au Vésinet des jeunes gens biens sous tous rapports, pas des voyous, ni des révolutionnaires. Aux dires de ses camarades du centre de tri postal de Nanterre, rien ne pouvait laisser supposer dans le comportement de Frédéric Rabiller que ce dernier puisse être le cerveau du mystérieux Front national anti-radar (Fnar). Vaguement révolté, sans antécédents judiciaires, ni engagements politiques connus, âgé de 28 ans, il est crédité de 12 attentats sur des radars entre avril 2007 et mai 2008. À partir de recettes pompées sur Internet, et dont les ingrédients sont accessibles dans le commerce, l’apprenti terroriste a fait la démonstration que seul dans son coin, il était possible de tenir en échec les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste lancés à ses trousses pendant un an. Non sans s’assurer entre temps une publicité considérable.
C’est finalement une erreur de manipulation qui outre ses deux mains et de graves brûlures, devait mettre fin à une aventure, laquelle n’est pas sans rappeler celle du groupe AZF [1] dont les membres n’ont eux, jamais été identifiés.
Autant de vocations d’apprentis artificiers nées la plupart du temps via Internet où en effet quelques clics suffisent pour dénicher de multiples recettes d’engins explosifs. Du cocktail molotov à de véritables bombes aux effets potentiellement ravageurs. Si Claude Allègre se réjouira (peut–être) de cet engouement de la jeunesse pour les sciences et particulièrement la chimie, ce phénomène de « société » commence a être suivi de près place Beauvau où l’on s’inquiète de la diffusion de masse de telles compétences et bien plus encore de l’usage qui pourrait en être fait, en particulier dans la perspective – très redoutée – de nouveaux affrontements avec la police à l’occasion d’une flambée de violence dans les « quartiers sensibles ». « Pour l’heure ce type d’agissement reste très majoritairement “ludique” », explique à Bakchich un responsable de la Sécurité publique qui confirme toutefois que l’expansion du phénomène s’avère préoccupante et est désormais suivi avec attention.
Ludique ? Cinq minutes de recherches sur Internet permettent de s’en convaincre. Même si elles sont de temps à autres nettoyées par les fournisseurs d’accès, les vidéos foisonnent sur le net où l’on peut découvrir des adolescents se livrant à des démonstrations de jets de cocktails molotov ou d’engins plus sophistiqués. Un hobby auquel la plupart se livrent en toute innocence, comme s’ils se livraient à une démonstration de bilboquet, en prenant même pas la précaution de dissimuler leur visage. C’est le plus souvent le jardin familial qui sert de champs de tir… Plus fâcheux, certains accompagnent ces vidéos pratiques de commentaires et d’explications détaillées permettant de les imiter. Autant d’ados qui seraient sans doute très surpris d’apprendre qu’ils s’exposent à une peine théorique de trois ans de prison pour la simple diffusion de ce mode d’emploi. « Observé en région parisienne au cours de l’année 2000, l’usage des explosifs s’est désormais imposé en province par le biais d’Internet », confirme un responsable de la place Beauvau.
Jusqu’aux fins fonds du Doubs, par exemple où comme à Bethoncourt (7 000 habitants) un groupe d’ados âgés de seulement 13-14 ans allait jusqu’à assurer la diffusion de ses méfaits sur plusieurs blogs. En mettait notamment en ligne une vidéo intitulé « la bombe Ki pète » où les sauvageons expliquaient comment fabriquer un engin artisanal. Une revendication qui a permis aux gendarmes d’interpeller les trois apprentis artificiers. À Peyronnas, dans l’Ain, c’est un étudiant de 20 ans qui est arrêté en mars 2007 pour avoir diffusé sur Internet ses recettes de bombes artisanales, après avoir pris soin de les tester préalablement. En février 2008, ce sont trois adolescents de 16 à 18 ans qui sont interpellés à Perpignan lors des vacances scolaires après le dépôt d’une dizaine de plaintes suite aux jets de bombinettes à base d’acide chlorhydrique. Dans la foulée la police interpelle trois gamins de 9 à 13 ans après qu’ils aient tenté de se procurer dans un supermarché de l’ acide et de l’ aluminium.
D’abord cantonnés aux jardins familiaux, aux décharges publiques, ou aux sous-bois, les poseurs de bombes, fussent-ils en herbe, investissent désormais la cité. À Perpignan parmi les cibles visées, le jardin d’un couple de retraités, le cabinet d’un médecin… En mars dernier deux collégiens d’une quinzaine d’années après s’être fait la main dans les bois des environs de Melun déposent leur explosif entre les barreaux de la grille de leur collège. Le jet de bouteilles d’acide est désormais un « jeu » relativement courant dans les établissements scolaires de la région parisienne. Pas moins de 8 bouteilles contenant un mélange acide chlorhydrique et des feuilles d’aluminium, et qui produisent l’effet d’une bombe pour la seule journée du 14 avril dernier au collège Louise-Michel à Clichy-sous-Bois.
Bien plus redouté par les forces de l’ordre, l’usage de plus en plus répandu par « les artificiers des cités » des « pipes bombs ». Un engin artisanal, très facile à fabriquer, mais aux effets potentiellement ravageurs. Concrètement il s’agit d’un tube en ferraille fermé à ses deux extrémités et dans lequel on a introduit auparavant un mélange de chlorate de soudre et de sucre, autant de produits délivrés par la quincaillerie du coin sans ordonnance. Un trou percé dans le tube permet de fixer une mèche. Son emploi n’est pas nouveau et de tels engins étaient déjà utilisés par les « autonomes » à la fin des années 70 au cours de manifestations. Une arme redoutable, capable de détruire une cabine téléphonique comme « de projeter un véhicule à plusieurs mètres » et dont l’emploi qui tend à se populariser peut s’avérer mortel. Dans le contexte des violences urbaines, son usage inquiète les flics de bases comme la haute hiérarchie ou les organisations syndicales.
Car si personne ne l’évoque encore publiquement, à l’unisson, tous de redouter, sous couvert du « off » après les émeutes de 2005, puis celles de Villiers-le-Bel, un éventuel – probable ? – troisième tour entre les forces de l’ordre et les jeunes des quartiers. « À chaque fois on a franchit un pallier dans la violence et s’il est très facile de monter d’un pallier l’expérience montre qu’il est très difficile de les redescendre », observe un flic de haut rang. Les violents incidents de Vitry-Le-François (Marne) le week–end dernier, consécutifs à ce qui semble être un règlement de comptes entre dealers dans le lequel les forces de l’ordre ne sont pas impliquées témoigne d’une tension extrême. « Un exemple de l’hystérisation des rapports entre une fraction de la jeunesse et les forces de sécurité », déplorait Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat de policiers SGP-FO. En attendant un hypothétique plan banlieue le Préfet de Seine Saint Denis (93) vient de prendre la décision d’interdire jusqu’au 31 août la vente des « vampires », « bisons », « mortiers » et autres gros pétards dont l’usage dérivé préoccupe les autorités du 9.3.
[1] En 2004 un groupe dénommé AZF menaçait d’attentats le réseau SNCF et exigeait une rançon de 4 millions d’euros pour ne pas passer à l’acte. Plusieurs bombes artisanales étaient effectivement retrouvées enterrées sous les voies. Plusieurs dizaines de milliers de cheminots furent mobilisés pour inspecter les voies. Les membres d’ AZF n’ont jamais été identifiés.
Les différents intervenants ont bien résumé le phénomène : il n’est pas nouveau.
Seulement entre un ancien résistant ( ayant été formé , et ayant manipulé des explosifs ) et un étudiant en chimie à peine sorti de l’adolescence… Pas besoin d’être expert pour deviner que le second " sentira le sapin " plus vite que le premier.
Entendons-nous bien, faire pêter des bombes dans la nature, c’est illégal. Mais il est clair que les munitions, c’est comme les armes à feu, ce ne sont pas des jouets.
Seulement nous vivons, de nos jours, dans un monde virtuel, une "société du spectacle" ( Guy Debord ) où tout ou partie de nos concitoyens sont déresponsabilisés, pour ne pas dire infantilisés, par le monde d’aujourd’hui, qui ne pense plus qu’au fric, encore le fric, et toujours le fric !!!!
Faut-il vraiment s’étonner si un jour ça pétera ( ausens propre, comme au figuré ) ?
Jacquot.