Jacques Gaillard plonge dans son dico perso et taille un short aux mots à la mode.
Sur les menus de vacances, le canard fait un malheur. Quel que soit l’endroit, et même à cinq kilomètres de la mer, il trône sur le menu « régional », au même titre que la friture du golfe, comme si le Gers avait envahi la France.
Il faut dire que cette viande fait sens : elle sent la ferme (il y a beau temps que le poulet n’évoque plus la basse-cour), la mare à côté du tas de fumier, le "r" roulé des paysans occitans, la philosophie gastronomique du gras, le french paradoxe.
Plus sophistiquée que la dinde, désormais si banale, viande pour petits salaires qui sévit à la cantine et marine dans une sauce blanche en plat du jour chez Nénesse, sous le nom de « fricassée de volaille ».
Plus rustique, elle fait saliver les urbains, au même titre que le « jambon de pays » servi en tranches épaisses et la « terrine maison » posée sur la nappe à carreaux. Car, dans tout urbain, il y a un ancêtre paysan qui sommeille, et la campagne est à la mode, puisque le bonheur est dans le pré.
En fait, le magret de canard n’a que 50 ans. C’est vers 1960 qu’on envisagea de le griller ou de le poêler – auparavant, on mettait en confit dans de la graisse les restes de la bête sacrifiée pour son précieux foie. Et c’était une nourriture de pauvres, qui rêvaient de gros steaks saignants. Viande de récupération, d’accord, mais goûteuse (le gras, c’est le goût !), et se prêtant à une foule de recettes. Pour souligner sa rusticité, le simple gril avec des marques en croisillons et des patates au gras ; pour l’ennoblir, des flots de miel, des figues ou une farce au foie gras ; pour l’« exotiser », des ananas, des baies bizarres ou du riz cantonais et une sauce à la menthe…
De nos jours, avec la cuisse confite et le cou farci, tout est bon dans le canard. De toute façon, au menu populaire du resto des Flots bleus, en plats de viande, on vous sert essentiellement de la vache laitière et du gigot australien (seules les herbes sont peut-être de Provence). Le magret franchouillard, c’est comme le Roquefort : le monde nous l’envie.
C’est l’été de Bakchich Hebdo !