Paul Biya "convoque" le "corps électoral" en juillet, pour les prochaines législatives. Le jeune Hervé, après maintes hésitations, aurait bien fait partie du corps en question. Mais Paupaul l’a pris de vitesse.
« Paul Biya opte pour le respect de la loi ». C’est en ces termes – involontairement ? – burlesques que le quotidien La Nouvelle Expression (23/07) a annoncé à ses lecteurs, lundi dernier, la grande nouvelle : Paupaul convoque « le corps électoral » camerounais le 22 juillet prochain pour les élections législatives et municipales. Conformément à la loi donc, qui impose un délai de 90 jours entre l’annonce présidentielle et la tenue effective du scrutin.
L’« option » légaliste de Son Excellence Paul Biya a en tout cas mis fin aux interminables démarches d’Hervé, 29 ans, qui s’était mis en tête de participer au scrutin annoncé. Car « la convocation du corps électoral » met automatiquement fin à l’inscription sur les listes électorales. Aussi sec qu’un couperet, le décret présidentiel a pris le jeune homme de court.
Hervé, qui travaille actuellement dans une boîte de com’ à Yaoundé, n’a jamais voté. « La première fois que j’ai essayé de m’inscrire sur les listes c’était en 2002, pour les dernières législatives, explique-t-il. Mais ça n’a pas marché parce que le chef de quartier [chargé par l’Administration d’enregistrer les électeurs, ndlr] a exigé de connaître mon origine ethnique et pour qui j’allais voter ». Hervé répondit naïvement qu’il voterait pour le SDF, le principal parti d’opposition. Ce à quoi le chef rétorqua qu’il inscrivait uniquement les fidèles du RDPC, le parti au pouvoir. Normal ! La mésaventure a visiblement endurcit le néophyte : « Petit à petit, je me suis rendu compte que ça ne servait à rien de voter… puisque les résultats sont connus d’avance et que les scrutins sont truqués [1] ! C’est pour cette raison que je n’ai même pas essayé de m’inscrire pour les présidentielles de 2004. Mon raisonnement à l’époque, c’était : voter c’est cautionner. »
Être ou ne pas être sur les listes électorales [2] ? Cautionner ou boycotter ? Éternel dilemme, dans les démocraties en carton-pâte, qui explique les atermoiements du jeune publicitaire . « Je sais très bien que mon vote ne va rien changer, poursuit-il. Mais je pense aujourd’hui qu’il est plus facile, plus légitime, de protester contre la fraude quand on est électeur que quand on ne l’est pas. » Fort de cette nouvelle conviction, Hervé a multiplié les démarches ces derniers temps pour voir son nom figurer, enfin, sur les fameuses listes. « Je suis allé plusieurs fois chez mon nouveau chef de quartier [3]. À chaque fois, il m’a dit qu’il était encore trop tôt pour s’inscrire . Mais quand j’y suis retourné quelques temps après, on m’a dit que c’était… trop tard ! Que j’avais manqué les deux seuls jours où l’on pouvait s’inscrire ! Ma dernière chance c’était d’aller m’inscrire à la sous-préfecture, ce que je m’apprêtais à faire quand… » Quand Paupaul a subitement mis un terme, vendredi dernier, au parcours du combattant de millions d’électeurs potentiels [4].
« C’est bien dommage, regrette Hervé. D’autant que les prochaines législatives sont capitales puisque c’est lors de la prochaine législature que sera discutée une possible modification de la Constitution ». Laquelle Constitution interdit à Paul Biya de se représenter en 2011… En convoquant un corps électoral affreusement amputé, le guide suprême du Cameroun semble avoir pris une bonne « option » pour s’éterniser au pouvoir. Dans le plus grand « respect de la loi », bien sûr.
[1] Ce que même l’organisme nommé par Paupaul pour « observer » le déroulement du dernier scrutin a été obligé de reconnaître (« Présidentielle 2004. L’Onel confirme les irrégularités », Mutations, 15 mai 2006)
[2] Sur ce thème, voir par exemple le témoignage d’Albert Dzongang, ancien membre du RDPC rallié à l’opposition : « Législatives et municipales 2007 : Faut-il aller aux élections au Cameroun ? » (Le Front, 23 avril 2007)
[3] Les chefs coutumiers sont dorénavant chapotés par des commissions de révision des listes électorales, théoriquement pluralistes, mais dépendant en réalité du Ministère de l’Administration Territoriale qui organise les « élections » (Cf. « Comment l’administration tient les élections, Le Messager, 19 mars 2007)
[4] Le « corps électoral » camerounais est particulièrement réduit : 4 millions sur les 16 millions d’habitants estimés (on attend toujours les résultats du recensement de 2005…)