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Aux cadres pas dynamiques

Entreprise / jeudi 8 mai 2008 par Stéphanie Frank
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« Voyons les choses en face : l’action sans communication n’a pas de valeur. Par contre, la communication sans beaucoup d’action est une voie possible. » Un énième ouvrage sur Nicolas Sarkozy ? Non, deux livres sur la vie en entreprise. Où nous sont livrés quelques conseils cyniques pour re-dynamiser les encravatés engourdis.

Les cadres (15% de la population active en France) sont parmi les moins satisfaits de leur situation professionnelle, selon un sondage annuel Ifop. Dans Morts de peur, la vie de bureau, Teodor Limann, cadre dirigeant, le confirme : la cravate les étrangle. « Combien sommes-nous de cadres démotivés à cultiver l’hypothèse d’une seconde vie, à suivre en secret des cours du soir, à vouloir devenir psychanalyste, instituteur ou guide de haute montagne ? Comment les entreprises peuvent-elles encore survivre avec, de la part de leurs salariés, si peu de foi et tant de cynisme ? »

Antoine Darima, ex-cadre, a la réponse : la seule façon de rendre supportables ces longues heures concédées à l’entreprise, c’est de s’y plonger jusqu’au cou : « la position de cadre […] permet à la fois de se libérer de l’oisiveté et de s’épanouir dans le travail, tout en permettant, par les vertus de la lutte pour la carrière, d’atteindre l’état de guerrier. C’est cette lutte pour la carrière qui permet au cadre, à l’intérieur du travail, d’échapper au statut d’esclave, à l’inféodation à la finalité sèche du travail productif. » Car assurer la production et la vente de voitures, de mixeurs ou de téléphones portables n’est pas le but du cadre selon Darima : « évidemment, votre premier souci n’est pas l’entreprise, c’est vous. Vous n’avez aucun intérêt à vous sacrifier pour une structure déshumanisée dont les seuls objectifs sont le profit et la croissance abstraite. » Amen !

Devenir puis rester chef

Jouer à la guerre, voilà la véritable occupation du cadre. Guerre contre les concurrents chez Limann, pour qui les banquiers, les consultants, les cadres supérieurs en profitent pour « parler comme le Premier ministre […] avant de finir par exploser dans un délai plus ou moins long » ; guerre interne chez Darima : « en tant que telles, [compétence et fiabilité] n’ont aucun intérêt. Il n’importe pas d’être fiable, il importe de vous présenter comme tel. Voilà le vrai secret du guerrier dans l’entreprise. » Ce n’est pas le seul que nous livre Antoine Darima, qui a tiré de nombreux enseignements de son passé de cadre dynamique. Son Guide pratique pour réussir sa carrière en entreprise avec tout le mépris et la cruauté que cette tâche requiert explique comment devenir chef à la place du chef et, surtout, comment le rester. Pour cela, l’auteur livre à ses lecteurs éhahis le Modèle Magique du Manager qui se décline en sept principes : Marteler, Annoncer, Narguer, Abstraire, Globaliser, Exagérer et Rassurer. Bref, manager. Avec les mots de l’entreprise, Darima décrit la vie de l’entreprise et les stratégies du cadre aux dents longues pour grimper vite et haut. Idéaliste, prends garde à toi, tant de cynisme peut démoraliser quelque peu…

L’adaptation, y a que ça de bon

Pourquoi les cadres ne se révoltent-ils pas ? Mais parce qu’ils sont paralysés par la peur, affirme Teodor Limann : « peur et paranoïa sont les seuls ciments possibles d’un système dépourvu de plaisir. Peur des autres, vécus comme autant de menaces à sa propre existence ; peur du patron, dont les pouvoirs surnaturels, comme chacun le sait, lui permettent de foudroyer ses collaborateurs en projetant des rayons laser avec les yeux lorsqu’il n’est pas content ; peur de soi et de ses propres limites, peur continuelle de paraître idiot en réunion, peur de l’avenir et bien entendu, peur de perdre son emploi ». Limann explique ainsi comment « le discours de l’adaptation prospère sur la peur de l’exclusion : nous devons adapter notre économie pour ne pas avoir à subir celle des autres et chacun d’entre nous doit, à titre individuel, s’adapter au monde du travail s’il souhaite s’y maintenir. »

Au-delà de l’entreprise, c’est tout le système capitaliste et sa logique de marchandisation du monde et de l’être humain que critique Limann : « c’est très précisément parce que notre système économique se soustrait habilement à tout débat sur ses fins dernières que l’idée politique est en train de sombrer. » Teodor Limann et Antoine Darima ont écrit deux livres très différents pour raconter l’inanité d’une vie professionnelle où on a le choix entre piétiner ou se faire piétiner. A noter cependant, les deux auteurs ont préféré adopter un pseudonyme. Contester, oui, se faire virer, non. Il faut bien gagner sa vie…

« Morts de peur - La Vie de bureau », Teodor Limann, Les Empêcheurs de penser en rond.

« Guide pratique pour réussir sa carrière en entreprise avec tout le mépris et la cruauté que cette tâche requiert », Antoine Darima, Zones.

A lire aussi, pour une étude sociologique du ras-le-bol des cadres : « La Fatigue des élites – le capitalisme et ses cadres », François Dupuy, Seuil, collection La république des idées (paru en février 2006).


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5 MESSAGES

Forum

  • L’entreprise totalitaire
    le vendredi 9 mai 2008 à 01:39, Un cadre épuisé. a dit :

    L’entreprise est le seul endroit dans nos democraties occidentales où règne la censure, l’autocensure, la peur, le stress, la soumission, bref une zone de dictature qui ne dit pas son nom.

    Surtout paraissez epanoui, cachez votre malaise, votre envie d’en finir , votre calvaire, votre immense fatigue, votre lassitude, bref ce qui fait que parfois des larmes apparaissent pendant que vous vous rasez pour vous rendre à une sorte d’abattoir qu’on appelle le bureau.

    Des fois j’ai l’impreesion de faire partie d’une immense termitière. Etre un numero dont la finalité est de consacrer sa vie à cotiser pour qu’un système productiviste dure.

    Chaque annee il faut produire plus que l’an passé. Si on fait moins, vous etes mauvais. Et pourtant l’an passé vous avez ete performant. Quand vous soufflez, on vous abat. Reste les prud’hommes et les anti-depresseurs.

    C’est une vie de fou. Merci à Bakchich d’aider à liberer la parole des cadres. Ce rouage essentiel sur qui ce système cruel et criminel et broyeur de vie est fondé.

    • L’entreprise totalitaire
      le dimanche 11 mai 2008 à 20:28, Antoine Darima a dit :

      Vous avez terriblement raison. Il y a quelque chose de caché, l’entreprise garde secrets ses comportements, sous un verni de rationalité. Je pense qu’il y a beaucoup de cadres, d’employés, qui se sentent exactement comme vous. Plus ils s’exprimeront, plus les gens qui sont à l’extérieur de l’entreprise se rendront compte qu’on n’exagère pas.

      p.s. je ne risque pas d’être viré… je ne suis plus salarié.

      • L’entreprise totalitaire
        le mardi 13 mai 2008 à 12:11, Stéphanie Frank a dit :
        Vous n’êtes plus salarié, mais pourquoi avoir pris un pseudo pour ce livre ? Au fait, avez-vous lu celui de Teodor Limann ?
        • L’entreprise totalitaire
          le mardi 13 mai 2008 à 22:01, Antoine Darima a dit :

          Oui, je sais, il m’arrive aussi de me demander pourquoi j’ai pris un pseudonyme… C’était sans doute pour être tranquille (mais je m’aperçois que je n’ai pas besoin de tranquillité, en fin de compte). Peut-être aussi que j’aime bien ça. Demande-t-on à Jean Reno, ou à Josiane Balasko, pourquoi ils ont pris un pseudonyme ?

          Je ne connaissais pas le livre de Limann, votre article m’a appris son existence. Je vais le lire.

  • Une folle injonction à l’"adaptation"
    le jeudi 8 mai 2008 à 22:44, vol19 a dit :

    La souffrance au travail, des cadres et non cadres est générale partout et renforcée en France. Le vivre ensemble au travail est déterioré, s’emboitent de multiplicités de strates, statuts, corporations, de jeux de pulsions…

    Ce genre d’ouvrages et de sites internet critiques au… management et à l’entreprise, les films également, ont leur utilité pour prendre de la distance de ces imaginaires leurrants, sans sens, et fondés sur la peur.

    Le problème ne se parle pas assez, sauf pour ceux qui sont sur le point de sortir du système. C’est un enfermement tacite et destructeur qui fait tenir le système.

    Hors la redéfinition de cadres pour rendre, éventuellement, le système un peu plus vivable ne se fera pas tout seul…

    S’investir, ne sert à pas grand chose et la compétence non plus, nous retournons à un modèle qui mêle néoféodalisme et piraterie, pas de Loi, pas d’éthique… Quand à cette injonction à l’"adaption", elle est simplement folle….

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