Dans la cité algéroise de Zakaria, la vie s’écoule au rythme des distributions d’eau et des lettres de menaces. Attachants et agaçants, les personnages de Fellag, dans « L’ Allumeur de rêves berbères » publié aux éditions JC Lattès, dessinent l’Algérie du début des années 90, tandis que sévissent l’armée d’un côté et les groupes islamistes de l’autre.
« Mon nom est Zakaria, j’ai cinquante ans et je suis écrivain. Écrivain dans un pays où ne sont éditées que des œuvres asexuées, gommées de toutes les aspérités caractérisant la pensée individuelle ». Mais Zakaria n’écrit plus que pour lui : journaliste et écrivain officiel, il est tombé en disgrâce quand, retournant sa veste, il a dénoncé les massacres commis par l’armée en octobre 1988. Viennent les lettres de menaces, presque flatteuses puisqu’elles confirment l’ex-écrivain dans ses nouveaux choix politiques. Mais les coups de téléphone le plongent dans la terreur. Sa femme s’enfuit avant de mourir littéralement de peur. Leurs enfants quittent le pays sans avoir revu leur père. Zakaria s’enferme chez lui avec des litres de bière. Pour se distraire, il observe depuis son balcon la vie de la cité.
Celle-ci atteint son acmé deux fois par semaine, le mardi et le vendredi de trois heures à six heures du matin, quand l’eau, rationnée, coule enfin à flots : « Cette tranche de la nuit, vécue pendant longtemps comme une contrainte, devint peu à peu une oasis de paix de l’esprit et un contre-poids à la morosité de la vie quotidienne ». Tandis que les baignoires, les douches, les machines à laver et les tuyaux d’arrosage marchent à plein régime, la vie redevient douce : « Subitement, des actions aussi banales que rire, boire un café, fumer une cigarette, aimer, raconter une histoire, redeviennent des gestes fondamentaux, des rites magiques participant à la reconstruction de l’espoir et au ressourcement des désirs ».
Dans la cité, Zakaria rencontre Nasser, technicien du gaz terrifié par des lettres de menaces. Nasser aime Malika, pute clandestine mais respectée de tous les hommes. Il y a aussi Rose, l’obstétricienne à la retraite qui a fait naître la moitié de la cité, seule femme avec Malika a avoir le droit d’assister aux réunions du CQGAP, le Comité de quartier pour la gestion de l’antenne parabolique. Et lorsque celle-ci tombe en panne, c’est Aziz, roi de la mécanique, qui sauve l’immeuble de la malédiction des chaînes nationales.
« Tous les Algériens sont des mécaniciens », proclame Fellag dans sa prochaine tournée. Au fil des pages, on apprend d’ailleurs à réparer un Delco avec un stylo, une pile et un marteau, ou à capter simultanément cinq chaînes espagnoles grâce à un couscoussier pour famille nombreuse. Dommage, cependant que L’ Allumeur de rêves berbères ait lui aussi un petit côté bricolé sur la fin. À la recherche d’un ultime rebondissement, l’humoriste joue au chamboule-tout avec ses personnages et largue un peu son lecteur en cours de route. Pas grave : on a eu le temps de se faire plein d’amis dans cette cité d’Alger.