Manier le patriotisme économique comme un manche à balai d’avion peut se révéler dangereux. Le fantasque Berlusconi risque de débuter son troisième mandat de président du Conseil italien avec le crash d’Alitalia.
C’est un Italien de la Commission européenne qui le dit. « Ce serait évidemment triste pour Alitalia et ses 20 000 salariés, mais je ne serais pas mécontent que Berlusconi commence son troisième mandat avec une faillite ». Pourquoi tant de haine ?
A force d’avoir instrumentalisé le dossier Alitalia pendant la campagne électorale, l’autre homme à talonnettes de l’Europe se le prend aujourd’hui comme un boomerang dans les dents . « Berlusconi est pire que Sarkozy. Il va avec le vent et ne réfléchit pas avant de parler. On ne sait jamais quand ses boutades doivent être prises au sérieux. Le dossier Alitalia était une question économique, mais il a voulu apporter une réponse politique » continue notre observateur décidément déchaîné…
Petit retour en arrière. Fin 2007, Air France-KLM reste le seul candidat en lice pour racheter les 49 % détenus par l’Etat italien dans la compagnie nationale Alitalia, l’Allemand Lufthansa et le Russe Aeroflot ayant jeté l’éponge. Alitalia coûte depuis 15 ans un milliard d’euros par an au contribuable, selon le quotidien La Repubblica, et le gouvernement de Romano Prodi s’est résolu à privatiser ce symbole national.
Mais Jean-Cyril Spinetta, le patron d’Air France-KLM et son équipe auraient peut-être dû se méfier de ce slogan que l’on trouve sur le site internet des voyagistes : « Alitalia, l’émotion à l’infini ». Tout s’est compliqué, lorsque courant janvier, la coalition gouvernementale emmenée par Romano Prodi éclate en Italie. Des élections générales anticipées sont convoquées pour la mi-avril. Très vite, le sort d’Alitalia devient un enjeu politique. Pour la Ligue du Nord, le parti sécessionniste d’Umberto Bossi, les projets du groupe français sont pain béni. Le repreneur pressenti prévoit de fermer le « hub » (plateforme de correspondances) de l’aéroport de Milan Malpensa, l’industrieuse ville du nord, au profit de Rome, siège du pouvoir central.
Du coup, craignant que son encombrant allié ne profite trop de la situation, Berlusconi entre dans la danse quitte à saboter le dossier d’Air France. « Sur Alitalia, je suis critique, très critique. Nous avons besoin d’une compagnie nationale », lance-t-il en mars. Je n’imagine pas Malpensa privé de 72 % de ses vols ».
Confortés, les syndicats sonnent le coup de grâce peu avant le scrutin. Les pilotes sont peut-être d’accord mais, pour les autres, c’est non à Air France-KLM. « Ils sont encore plus cons et retardés que ceux de la SNCF » fulmine-t-on chez Air France qui rompt alors toute négociation.
Au soir de son triomphe électoral en Italie, le démagogue médiatique aux dents blanches, aux implants capillaires et au bronzage éternel se retrouve avec sa grenade dégoupillée dans la main. Et veut toujours faire croire au Père Noël. « Il existe une entreprise italienne qui possède le « know how » spécifique ( savoir-faire, en anglais dans le texte) et le soutien de banques et qui se prononcera d’ici un mois », claironne le milliardaire Berlusconi. Le problème c’est qu’Air One, la compagnie privée pressentie, n’a ni les moyens ni les appuis annoncés.
En attendant sa prise de fonction, l’imprévisible milanais gesticule pour relancer d’hypothétiques enchères. Recevant son grand copain Vladimir Poutine en Sardaigne, il obtient du nouveau Tsar la promesse qu’Aeroflot volera au secours d’Alitalia. Hélas, le patron de la compagnie russe n’est pas fou. Plus le temps passe, plus Alitalia accumule les pertes (un million d’euros par jour) et il s’est empressé de démentir toute envie de rachat.
En fait, Berlusconi pilote à vue et espère convaincre Air France de revenir dans le jeu, mais pour un mariage à égalité. « Il a un problème avec la France où il n’a jamais réussi à s’implanter en affaires depuis l’échec de sa télé La Cinq, décrypte notre haut-fonctionnaire italien de Bruxelles. « Il a toujours cherché à faire la nique à la France en Europe. D’où sa danse du ventre devant Poutine avant de revenir vers Sarkozy et Air France » .
Las, cet ultime retournement de veste a même fini par agacer fortement l’Elysée, indiquait en début de semaine un proche du dossier, alors qu’une rencontre au sommet est prévue entre les deux hommes. Savoureux spectacle : Sarkozy, le clone de Berlusconi irrité par son inspirateur !
Prudent et surtout mitonnant sa vengeance, le patron d’Air France-KLM, dont l’Etat français ne détient plus que 18 %, a préféré prendre les devants. Le 21 avril au soir, le Corse Spinetta adresse un magnifique bras d’honneur à Berlusconi : Air France-KLM se retire définitivement du jeu. « La faute avant tout aux syndicats », charge Berlu qui, le 23 avril, ressort de son chapeau son hypothétique sauveteur italien, tout en promettant un plan de sauvetage douloureux au personnel.
En attendant, le gouvernement sortant de Prodi qui gère encore les affaires courantes a fait une fleur empoisonnée à son successeur. L’État va accorder un prêt de 300 millions d’euros pour éviter le crash d’Alitalia. A Berlusconi de se débrouiller avec Bruxelles, qui désapprouve une telle aide. Reste une question cruciale. En cas de faillite d’Alitalia, qui transporterait le Pape à travers les airs ? « Il devrait probablement voler avec les avions de l’armée de l’air italienne » conjecture un observateur de la Péninsule. Une nouvelle alliance du sabre et du goupillon grâce à Berlusconi ?
Lire ou relire dans Bakchich :
Berlusconi a été égal à lui-même et a, par démagogie, sans doute définitivement planté Alitalia.
Ce qu’on peut aussi retenir de l’article c’est que les gens de la Commission Européenne font aussi de la politique .. ce qui ne va pas non plus arranger les affaires d’Alitalia …