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Affaire Woerth : "la survivance d’une culture du secret"

Interview / mardi 14 septembre 2010 par Simon Piel
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Spécialiste de l’histoire politique française, Jean Garrigues a consacré son dernier ouvrage aux scandales de la République. Pour Bakchich, il donne un éclairage plus que nécessaire sur l’affaire Woerth.

Bakchich : Que vous inspire le fait que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a enquêté sur les sources du journaliste du Monde qui travaillaient sur l’affaire Woerth ?

Jean Garrigues : Cela m’inspire plusieurs choses. La surveillance des journalistes et la critique de leur travail témoignent d’un manque de réflexion des politiques sur les pratiques d’investigation mais aussi de la survivance d’une culture du secret et de l’opacité. Il s’agit en fait des réflexes historiques de la forteresse régalienne qui veut rester imperméable à l’information. C’est un phénomène récurrent dans l’histoire des scandales que des fuites dans l’appareil judiciaire et/ou politique permette de mettre à jours des dysfonctionnement de l’Etat. A première vue, ça peut paraître éthiquement condamnable, car le secret de l’instruction est violé, mais en réalité, la circulation de l’information est le principal chemin vers la révélation de scandales et donc vers une plus grande maturité de la démocratie.

B : C’est un fait nouveau que les services secrets reconnaissent publiquement ce genre de pratique ?

JG : Il faut être très prudent sur les interprétations. Souvenons-nous par exemple que pendant l’affaire Greenpeace, l’amiral Lacoste, qui était alors au cœur du sujet (L’amiral Lacoste fut le militaire à qui le ministre de la Défense Charles Hernu demanda de mettre en place l’opération contre le Rainbow Warrior, NDLR), a pris par la suite ses distances avec l’Etat et la présidence Mitterrand. Il a lui-même reconnu un certain nombre d’abus. Il est vrai que pour le cas qui nous occupe aujourd’hui, la réaction est quasi-immédiate. On peut supposer que cela cache des rapports de forces, voire des conflits internes entre l’Élysée, les services secrets et le ministère de la Défense. Mais la prudence est de mise.

B : S’il y a eu des fuites à l’origine, c’est bien qu’il y avait des conflits internes ?

JG : Oui et ces fuites sont révélatrices d’un dysfonctionnement de l’Etat. Plus largement cette affaire résonne comme la confrontation d’une culture régalienne très française et la volonté d’un corps social d’aller vers plus de transparence. Un peu sur le modèle scandinave.

B : Certains répondront que la tyrannie de la transparence fait le lit du populisme…

JG : Je suis hostile à cette idée. Bien au contraire, ce sont les défenseurs de cette idée qui provoquent la récurrence des scandales. Ce qui fait le populisme ce n’est pas le dévoilement du scandale, mais le scandale lui-même pour le dire plus simplement. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Emmanuelli en son temps a eu tout un vent de soutien. Après l’épisode de la cassette Méry aussi, il y a eu un consensus de la classe politique pour que les investigations soient étouffées. Ce pacte du silence et ce réflexe d’auto-absolution sont néfastes. Et le mal est pire dans le dénigrement, le Watergate en est le meilleur exemple.

B : Depuis le début de l’affaire Woerth, la presse à l’origine des révélations, Médiapart en tête, est critiquée de manière très vive par le gouvernement. Certains rappelant même les méthodes des années 30. Est-ce juste d’un point de vue historique ?

JG : Encore une fois, les campagnes de discrédit des journalistes ne sont pas nouvelles. Mais les références aux années 30 ne sont qu’amalgames, anachronismes et contre-vérités. Un seul exemple : certains ont comparé l’affaire Woerth à l’affaire Salengro. C’est la preuve d’une méconnaissance de l’histoire. Lors de l’affaire Salengro, les documents publiés dans la presse d’extrême-droite ont été inventés, les témoignages manipulés. Or je trouve la presse aujourd’hui d’une grande prudence et d’une grande rigueur par rapport à certaines feuilles de l’époque. En outre, l’équipe socialiste, autour de Salengro, avait répondu à l’époque par des faits et des procédures judiciaires. Aujourd’hui, il n’y a aucun échange contradictoire car le pouvoir n’oppose que des dénégations systématiques. On est très loin du travestissement des faits et de l’utilisation politique qui fut celle de l’époque Salengro. Comme quand on compare Bakchich à Je Suis Partout, il s’agit d’une contre-vérité qui témoigne encore une fois d’une méconnaissance de l’histoire.

B : Jeudi dernier sur France 2, François Fillon a assuré que la rupture historique était de maintenir un ministre mis en cause en poste au gouvernement. Est-ce si nouveau ?

JG : C’est une contre-vérité historique. Lors de l’affaire du Rainbow Warrior par exemple, il a fallu de nombreuses semaines pour que Charles Hernu démissionne. Par ailleurs, si c’est une rupture tactique, sur le temps long, c’est le symptôme de la volonté de résistance du pouvoir politique aux investigations. La confirmation de cette tendance séculaire à vouloir étouffer les affaires.

B : Est-ce que les scandales sont toujours apparus au moment de grandes réformes portées par le pouvoir comme c’est le cas maintenant ?

JG : Non. Les scandales conjoncturels sont aussi nombreux que ceux à « rendez-vous ». Des rendez-vous électoraux pour la plupart, en outre. Et ramener la révélation d’un scandale à une tentative de déstabilisation politique est très réducteur. C’est mettre la réalité du problème dénoncé en second plan. Par ailleurs, je note qu’il y a rarement eu aussi peu d’exploitation politique que dans l’affaire Woerth. Sous la IIIè, sous la IVè mais aussi sous la Vè république, l’exploitation politique n’avait aucun rapport. C’est pour moi un signe de maturité et de progression de la démocratie.

B : Pour autant la législation a évolué grâce aux scandales ?

JG : Oui, il y a un effet thérapeutique du scandale. La première législation sur le trafic d’influence est née de l’affaire des décorations en 1889. Dans les années 30, les premiers décrets sur l’abus de bien social et sur le conflit d’intérêt ont vu le jour. Puis, il y a eu les années 1988, 1990 et 1993 sur le plafonnement et la réglementation des comptes de campagne. Malheureusement, tous les systèmes qui ont été démantelés grâce aux scandales des années 90 ont laissé place à d’autres dérives, comme aujourd’hui les micro-partis. Ces dérives ne sont que la conséquence de la hausse exponentielle des dépenses de campagne et de l’américanisation du système français.

Jean Garrigues est historien. Professeur à l’université d’Orléans, il a publié en 2009, Les Scandales de la République, de Panama à l’affaire Clearstream, Editions Nouveau Monde.


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5 MESSAGES

Forum

  • Barbouzeries sarkoziennes (2010 DCRI Remix edition)
    le mercredi 15 septembre 2010 à 00:08

    Le Matin.ch - Mainmise sur la presse tricolore - 27 janvier 2007, par Ian Hamel

    "Ministre de l’Intérieur, à la tête de deux services secrets, la DST et les Renseignements généraux (RG), Nicolas Sarkozy est un homme tout-puissant. Alors que ses « amis » journalistes sont abreuvés de scoops sur la délinquance ou sur le terrorisme, les autres rédacteurs se retrouvent au pain sec : les policiers ne leur parlent plus. Pire, ils découvrent que les Renseignements généraux ne font pas seulement des enquêtes sur les collaborateurs de Ségolène Royal, la candidate socialiste, comme Bruno Rebelle, ancien directeur de Greenpeace. Mais qu’à l’occasion, ils s’intéressent aussi à la vie privée des rédacteurs un peu trop à gauche. « Un proche de Sarkozy vous appelle au téléphone et lâche le nom de votre maîtresse, menaçant de le faire savoir à votre épouse si vous ne devenez pas davantage conciliant avec le candidat de l’UMP », s’étrangle un journaliste du Figaro. Un proche de Sarkozy que Karl Laské, journaliste à Libération appelle carrément « le lanceur de boules puantes ». (Nda : mais qui est ce lanceur de boules puantes ?)"

  • Affaire Woerth : "la survivance d’une culture du secret"
    le mardi 14 septembre 2010 à 18:11, egogo a dit :
    cher Monsieur F B vous pourriez ,peut-être,me rallier à vos thèses si nous étions en Démocratie,rives que nous avons quittés ( si jamais nous y avons accostés ) depuis belle lurette ( souvenez-vous,il y a peu d’un certain référendum : non à près de 55/100 ) et peu après un vote tout opposé par une Chambre censée nous représenter ) ,je ne vous donne pas d’autres exemples,vous les trouverez vous-mêmes et sans vous fatiguer !! ) Alors ne venez pas nous opposer des règles dont nos braves dirigeants sont les premiers à s’affranchir, un peu de courage,que diable !! A vous donc mes respects attristés .
  • Affaire Woerth : "la survivance d’une culture du secret"
    le mardi 14 septembre 2010 à 10:49, Phil2922 a dit :
    Aux Etats-Unis, ce genre d’espionnage entraîne la destitution du politique utilisant ce genre d’enquêtes à l’encontre des journalistes. En France, le politique semble à l’abri de ce genre de déchéance et il en profite pour surveiller et censurer les médias… !
    • Affaire Woerth : "la survivance d’une culture du secret"
      le mardi 14 septembre 2010 à 15:57
      En Allemagne ou dans les pays nordiques, les ministres démissionneraient seuls. On verra ce que donne la plainte contre X de Le Monde.
  • Affaire Woerth : "la survivance d’une culture du secret"
    le mardi 14 septembre 2010 à 09:41

    Jean Garrigues déplore le "manque de réflexion des politiques sur les pratiques d’investigation", ainsi que "la survivance d’une culture du secret et de l’opacité". Mais, le secret de l’instruction n’est en rien la "survivance" d’une quelconque "culture du secret et de l’opacité", mais bien au contraire une règle de droit nécessaire au bon fonctionnement de la justice dans un État de droit. Sa violation est un délit qui, comme tout délit, peut et doit donner lieu à des poursuites judiciaires. La violation du secret de l’instruction n’est pas simplement "éthiquement condamnable", c’est un délit qui, à ce titre, doit être, dans un État de droit, pénalement condamnable. En outre, le déni systématique du principe de présomption d’innocence, voire parfois le lynchage médiatique, ne semble en rien un progrès "vers une plus grande maturité de la démocratie".

    "On peut supposer" nous dit Jean Garrigues que tout cela "cache" "des conflits internes". Lorsqu’on a véritablement réfléchi "sur les pratiques d’investigation", on sait bien qu’il ne suffit pas de supposer, mais qu’il faut aussi prouver. "La prudence" devrait en effet être "de mise". Les "fuites" dans l’appareil judiciaire sont à n’en pas douter "la manifestation d’un dysfonctionnement de l’État". C’est un dysfonctionnement préoccupant de l’appareil judiciaire, donc un dysfonctionnement majeur de l’État si la justice est bien une fonction régalienne. S’il y a donc dysfonctionnement, ce n’est pas tant le fait de supposés "conflits internes", mais bien celui de la violation répétée par des agents de l’État du secret de l’instruction, et du non respect du principe de présomption d’innocence par les médias.

    La démocratie ne peut pas se satisfaire d’une maturité qui ferait de la violation systématique du droit le seul moyen de venir à bout des scandales politiques. La transparence est sans aucun doute une nécessité, mais elle ne peut et ne devrait intervenir qu’une fois l’instruction close, après la décision de justice, même et je dirais surtout si l’affaire est classée sans suite.

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