Tiens, le cinéma français peut être profond sans être verbeux. Et pertinent sans s’obliger à être pédant. Si, si promis ! Petit exemple illustré avec le dernier fil de Rémi Bezançon, "le premier jour du reste de ta vie", en salles le 23 juillet.
Plein été. Pour une fois, il fait doux à Paris. Terrasse d’un bistrot du côté de Cadet, en face du grand Orient et de feu le Cercle Concorde. Le temps s’accorde à la mauresque. Moins au film bien français. Dans une heure, commence la projection presse du « Premier jour du reste de ta vie ». Une invitation est tombée à la rédaction, gentiment. Quoiqu’on en dise, Bakchich est peuplé de gentils garçons polis. Mais en soirée, un film sur la famille, qui sort en plein été, d’un réalisateur au nom qui fleure bon l’hexagone, Rémi Bezançon…pfff. L’odeur d’un film verbeux sur la famille, languissant, à l’ambiance aussi pesante qu’un car de CRS. Bon, la mauresque est finie. En route mauvaise troupe direction le Marbeuf.
Une vieille connaissance fait l’accueil. L’attaché de presse. Gars sympa, grand beau, blond, du genre qui agace quand on fait ses études avec lui. Sauf que le garçon est suffisamment adorable pour ne pas avoir les mêmes goûts. Une bise et en salles. Va pour deux heures d’ennui …
Exactement 114 minutes plus tard, une onde d’émotion. De joie un peu béate, légère. Une seule mauresque ne peut faire cet effet-là. Message à la vieille connaissance. « Tu diras à l’auteur que son film est une merveille ». Non décidément ce n’est pas le petit jaune. Plutôt cette histoire simple. Et maniée avec intelligence. Une famille. Deux parents, trois enfants. Et leur destin compressé en cinq instants majeurs de leur vie. Cinq petites journées à des années d’écart, servis par cinq acteurs, au jeu dépouillé et juste. Cinq acmés qui modifient profondément leurs liens.
Sans mélo, effets, ou verbiage inutiles. Le départ de la maison de l’aîné est vécu comme un deuil par la mère (Zabou Breitman). Elle convoque un repas de famille et explique « qu’elle a perdu un enfant ». Vécu. Le dépucelage de la benjamine (Déborah François) tendance grunge, question d’époque. Le pauvre type – alignant phrases creuse et délires sur Jim Morrison seulement déclamables par un adolescent à la puberté pathétique- qui a fait couler « son sang et ses larmes » en sera quitte pour une humiliation par le grand frère. Jouissif. Le cadet (Marc André Grondin) insouciant nostalgique toujours amoureux d’une beauté croisée le temps de se briser le cœur. Nostalgie. La mère encore, à la fois envieuse de la jeunesse de sa fille et perdue face à son âge, au départ de ses enfants, au temps qui passe tout simplement. Vieillesse. Et le père (Jacques Gamblin), taxi taiseux, tantôt dépassé, tantôt compatissant mais toujours aimant, qui n’arrêtera jamais de fumer. Cancer.
« Famille je vous hais ». Un cri d’amour de Gide. Bezançon en pousse un autre avec son deuxième film. Toute famille a son histoire. Belle, mélancolique et intense. Comme son opus. Même plus besoin de mauresque.
Le premier jour du reste de ta vie, de Rémi Bezançon, sorti le 23 juillet