Le conseiller éditorial de Bakchich a comblé ses lacunes en lisant Piège nuptial, de Douglas Kennedy.
C’est écrit dans un journal officiel, Le Figaro, Douglas Kennedy est le romancier américain préféré des Français. D’où mon urgence d’attardé d’aller tourner ses pages. Et l’on comprend l’appétit des mangeurs de grenouilles. Ce que publie Kennedy en anglais, personne ne l’écrit en français. Alors que l’aiguille du GPS de l’auteur tricolore, comme un boomerang, est tournée vers son propriétaire, que l’écrivain français est victime de son centre de gravité, Kennedy décrit de petites aventures du monde, confetti par confetti. C’est rigolo, cynique, rustique et raffiné, sérieux sans s’y prendre.
Puisque c’est la crise, et que le rire et le rêve sont tombés bon marché, c’est en collection Pocket que j’ai lu Piège nuptial, la nouvelle traduction du premier roman de notre ami américain, paru en 1994 sous le titre Cul-desac. Six euros cinquante, c’est le prix du plaisir. Thèse, antithèse, foutaise : je vais quand même tenter d’expliquer pourquoi ce garçon n’écrit pas comme Yann Moix pour évoquer l’histoire de Nick.
« Souvent mes collègues, dans ces salles de rédaction assoupies, s’étaient étonnés de mon insistance à hanter des villes ouvrières ravagées par la crise postindustrielle de cette décennie pendant laquelle je n’avais pas essayé une seule fois de tenter ma chance dans un “vrai” journal de Philadelphie, de Boston ou même de la grosse Pomme. Mais c’est que je ne cherchais pas à explorer les plus hautes sphères de l’excellence journalistique ; au contraire, je me satisfaisais très bien de ce vol à moyenne altitude, au milieu d’une médiocrité qui avait le grand avantage de ne me retenir nulle part, de me préserver des affres et des délices de l’ambition ».
Essayez donc de me trouver une plus belle définition du journaliste… Donc, Nick, pas vraiment attaché à un public, ses lecteurs, qu’il s’agit de rendre plus bêtes, quitte Augusta et le Maine pour le grand saut. Il atterrit en Australie, à Darwin qui va devenir son cauchemar. Enfin sa vie va ressembler à quelque chose, devenir un roman. S’il découvre la terre aborigène, c’est par amour de la géographie. Cet art merveilleux des choses telles qu’elles sont, la science de Julien Gracq qui, bientôt, ne sera plus enseignée à nos jeunes têtes des lycées. Dans un magasin de Boston, une carte choit d’un présentoir, Nick la déplie et tombe amoureux des formes de son nouveau monde austral. Il s’y rend et Kennedy écrit : « On peut foutre sa vie en l’air rien qu’en tombant amoureux d’une carte. » Une carte de pique.
Nick a un coeur d’artichaut, après la fraction de mappemonde sur papier et tirée à plat, il est victime d’un autre coup de coeur, pour un bus Volkswagen. « Il était peinturluré de brun et de vert camouflage. Dommage que le Saïgon de 1968 soit loin, car il ne lui aurait manqué qu’une batterie de mitrailleuses sur le toit pour aller au-devant de l’offensive du Têt, rock’n’ roll à fond les manettes. La rencontre entre le génie mécanique allemand et la dépravation américaine : Guten Morgen, Vietnam. » Le pire est avenir. Une vierge blonde, mais quand même bien dessalée, le prend au lasso de son amour fou. Nick est niqué. Angie prend en otage le si libre journaliste, l’enferme dans les tripes de Wollanup, une communauté de dingos où le divorce, qui n’existe pas, explique l’importance des morts sans raison apparente.