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Torture à Deauville

Documentaire / lundi 8 septembre 2008 par Marc Godin
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Lors du 34e festival de Deauville, un choc absolu (du 5 au 14 septembre), le nouveau documentaire d’Errol Morris, sur les photos prises dans la prison irakienne d’Abou Grahib.

Je viens à Deauville depuis la deuxième édition du festival. Nous en sommes au 34e, faites le calcul… A l’époque, le festival avait été lancé par des publicitaires malins afin d’attirer les touristes sur Deauville alors que la saison se terminait, pendant les quinze premiers jours de septembre. Deauville était néanmoins un lieu magique (j’étais plus jeune) car en plus de la programmation de grosses machines, le festival invitait des légendes, les dernières stars d’Hollywood. Au fil des années, j’ai donc croisé King Vidor, Charlton Heston, James Mason, qui avait l’air d’apprécier ses très jeunes admiratrices, James Coburn, Janet Leigh, Anthony Quinn, Lana Turner, Glenn Ford ou Lilian Gish.

La barbarie à visage humain

Ce matin, il fait gris sur Deauville. Dans les rues, deux Ferrari, une Maserati, quelques badauds qui cherchent à immortaliser des stars (Jean-Paul Rouve, Stéphane Guillon !) avec leurs portables. Dans le C.I.D., je repère la très forte présence d’Orange (finis les grands mamours avec Canal + ?), de vieilles gloires de la critique (hello le Nouvel obs) et des nerds hirsutes et barbus, issus de sites improbables. Je récupère mon badge d’accréditation et une charmante hôtesse me dit fermement que les projections du soir, « c’est pas pour la presse. Y a trop de journalistes… »

Je me précipite à la projo de 11h 30. Pour faire plus d’jeuns, quelqu’un à décider de mettre de la musique à fond dans la salle immense du C.I.D. De jolies Deauvillaises en bottes de cheval se réveillent donc sur du Fat Boy Slim. Etrange !

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SOP
(DR)

Puis, le grand documentariste Errol Morris débarque sur scène, avec une insupportable musique techno qui nous vrille les tympans. On nage dans le mauvais goût et Morris lance un «  Je me demande ce qui se passe. » Morris est à Deauville pour présenter S.O.P. : Standard Operating Procedure, son nouveau film sur les photos prises dans la prison d’Abou Grahib. Il parle : « Tout le monde a vu les photos d’Abou Grahib. C’est peut-être les photos qui ont été le plus vues de l’histoire. Mais personne n’a parlé aux photographes. C’était important de raconter l’histoire de ces photos de ceux qui les ont prises. »

Pour ce qui ne le savent pas encore, Errol Morris, 60 ans, est un des plus grands cinéastes en activité. Au fil d’une carrière éblouissante, il s’est intéressé à un homme condamné à mort pour un assassinat qu’il n’avait pas commis (Le Dossier Adams, 1988), au physicien Stephen Hawking (Une brève histoire du temps, 1991) à un bourreau négationniste (Mr Death, 1998) et enfin à Robert S. McNamara, secrétaire américain à la défense qui planifia les bombardements sur le Japon et le Vietnam (Fog of War, 2004). Avec S.O.P., Morris décide de «  faire un film d’horreur qui ne soit pas de la fiction  ». Il cadre donc très serré des militaires et des gardes de la prison d’Abou Grahib, dont Lynndie England, une jeune femme de 20 ans qui tenait un Irakien en laisse, un sourire au coin des lèvres, la commandante de la prison, Janis Karpinski, des « interrogateurs », des agents des services du renseignement qui parlent tous en regardant la caméra. Et la parole, si longtemps confisquée, se libère, comme un torrent.

« Il faut guantanamiser les opérations. »

« C’était un vrai foutoir. Tu dois te considérer mort. Si tu en reviens, t’es un putain de veinard.  » Nous sommes en octobre 2003. Les Américains occupent un Bagdad en plein chaos. La générale Karpinski est en charge de la prison d’Abou Grahib, une des plus sinistres geôles de Saddam Hussein, quelque chose comme l’enfer sur terre. Fin 2003, l’obsession des Américains est de retrouver Saddam et l’on enferme dans la prison tous les Irakiens susceptibles de fournir des informations. La prison est très vite surpeuplée, attaquée au mortier tous les jours et des matons irakiens fournissent parfois des armes aux prisonniers. Les G.I. et les gardiens américains sont sur les dents. Avec l’arrivée du général Miller et d’officiers du renseignement (« les Tigres de Guantanamo »), tout change. « Il faut guantanamiser les opérations. » Des gardes sont donc chargés d’humilier les prisonniers, de les mettre « en condition de stress » avant les interrogatoires, comme il est précisé clairement dans mémorandum du Pentagone du 27 novembre 2002, contresigné par Donald Rumsfeld. C’est ainsi qu’une bande d’hommes et de femmes vont se prendre en photos en train de tenir des prisonniers en laisse, des Irakiens morts de peur, implorants, attaqués par des chiens, obligés de se masturber, menottés nus, avec une culotte de femme sur la tête, empilés nus les uns sur les autres… A ces «  techniques de contre-résistance  », autorisées par le Pentagone, donc, on ajoute de petits bonus, notamment de la musique à fond, 24 heures sur 24, dans la prison. Les Irakiens supportaient le rap, Metallica, « mais quand je leur passais de la country, ils imploraient : Par Allah, arrêtez ! » Qui a dit que les bourreaux n’avaient pas d’humour ?

L’affiche officielle du festival de Deauville - JPG - 44.5 ko
L’affiche officielle du festival de Deauville
(DR)

Si les troufions faisaient ce qu’on leur demandait, ils confessent leurs remords du bout des lèvres, Lynndie England – le regard désespérément vide - ne regrette rien (je ne vous dirai pas pourquoi) et un soldat se permet même de déclarer :«  La seule connerie, c’est d’avoir pris ses photos. » Morris montre les photographies, le hors champ, recoupe les interviews et plonge son spectateur dans une spirale de chocs. De fait, on apprend bientôt que cette «  mise sous stress  » n’était qu’un apéro avant les vrais interrogatoires, où les prisonniers étaient torturés par des agents du renseignement, des vrais pros de la torture, et parfois liquidés. Des tortures en masse, des meurtres dont personne n’a parlé, vu qu’il n’existe pas de photo, pas de preuve

Suite au scandale des photos, quelques troufions ont été emprisonnés, la générale Karpinski – qui n’avait pas son mot à dire quant aux interrogatoires, a été sanctionnée, mais pas un des assassins, des gradés ou des vrais responsables, notamment Rumsfeld, n’a été inquiété. Le président George Bush a même pu déclarer « Nous ne torturons pas, nous avons affaire à quelques pommes pourries », en parlant des lampistes.

Encore plus fort, un « interrogateur  » déclare qu’ «  aucun renseignement valable n’est sorti de ces interrogatoires ». La barbarie, la folie, la torture, la mort, et tout cela pour rien. On en sort en miettes, regrettant quelques afféteries de mise en scène : des reconstitutions de torture un peu gênantes, des ralentis discutables, les multiples changements d’axe de la caméra lors des entretiens, des coups de grosse-caisse pour ponctuer les moments les plus forts… Avec un tel sujet, ce n’était peut-être pas la peine d’en rajouter, non ?

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3 MESSAGES

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  • Torture à Deauville
    le lundi 8 septembre 2008 à 13:50, $ly a dit :
    "La seule connerie, c’est d’avoir pris Ces photos" … intéressant article.
    • Torture à Deauville
      le mercredi 10 septembre 2008 à 23:27
      Pareil, j’ai bien aimé ce papier.
  • Torture à Deauville
    le lundi 8 septembre 2008 à 09:52, dzan a dit :

    homo est homini lupus.

    La plus grande "démocratie" ?

    Et on traite les taliban de barbares ?

    Et dire que Dabeliou et sa clique prient tous les jours.

    Tous des psychopathes. Et dire que "La Frite", et sa Praline risquent d’ètre élus. Ils sont encore plus fous que W.B

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