La résistance par la musique. Bakchich a rencontré Eyadou et Fadimata, membres des groupes Tinariwen et Tartit. Deux Touaregs qui ont décidé de faire passer leurs messages à travers des mélodies alliant tradition et modernité.
Le « blues du désert », vous connaissez ? Eux non plus, ou du moins, pas sous cette étiquette occidentalisée. Et pourtant, Eyadou et Fadimata font partie des deux groupes phares de ce courant musical né en Afrique du Nord, qui a séduit le monde entier : Tinariwen, composé d’hommes pratiquant la guitare électrique, et Tartit, formé d’une majorité de femmes. Les deux formations partageaient l’affiche d’un cycle « Résistances » à la Cité de la musique. « Je ne sais pas ce que c’est le blues, nous on fait de la musique touarègue », explique Fadimata, la charismatique leader de Tartit. Assis à côté d’elle, engoncé dans son boubou pourpre, le jeune bassiste de Tinariwen, Eyadou, écoute attentivement son aînée. « Tartit représente la partie traditionnelle, Tinariwen la partie moderne. Quand nous sommes ensemble, toute la musique touarègue est réunie. » Hypnotique comme le déhanché d’un chameau dans le désert, leur son est celui des nomades, de la douleur et de l’exil.
Surnommée « Disco », parce qu’elle dansait comme une furie dans les années 1980, la chanteuse de Tartit se destinait à l’humanitaire. Mais devant la menace de disparition de la culture touarègue, « nous, les femmes, on a pris l’initiative de la sauver », revendique Fadimata. Issues de la région de Tombouctou, les membres de Tartit se sont « réunies » (traduction littérale du mot tartit) dans un camp de réfugiés durant la rébellion des Touaregs contre le gouvernement malien, en 1990. Cette rébellion, Tinariwen y a participé. Ils troquent alors guitares contre mitraillettes pour défendre leur cause, forgeant leur légende de musiciens armés. Le conflit dure seulement six mois, jusqu’aux accords signés avec le Mali en 1991. Pour Eyadou, trop jeune pour combattre à l’époque, « c’était un mal nécessaire ». Pacifiste dans l’âme, « Disco » appuie tout de même son « frère », fière que les Touaregs aient été « les premiers à se rebeller contre le régime militaire malien. »
Peuple de tradition nomade, les Touaregs viennent du centre du Sahara où, jusqu’au XIXème siècle, ils s’organisaient en confédérations. Aujourd’hui dispersés aux frontières du Mali, du Niger, du Burkina Faso et de l’Algérie, ils demandent en vain leur indépendance. En cent ans, les Touaregs ont subi de nombreux massacres, d’abord par les colons français qui n’acceptent par leur résistance, puis par les autorités issues de la décolonisation. Pendant les famines des années 1970 et 1980, aucune aide ne leur est fournie. Regroupés dans des camps de réfugiés, les « seigneurs du désert » subissent la répression du Mali et du Niger en 1990. Éclate alors la rébellion touarègue, menée par les ishumars (chômeurs). Des accords de paix sont signés avec le Mali en 1992, mais les violences persistent. En 2006, les accords de paix d’Alger prévoient le renoncement de la lutte armée par les Touaregs, et en contrepartie, le développement par Bamako des régions de Kidal, Tombouctou et Gao. Au Niger, qui reste sur une position plus dure, les révoltes perdurent.
Rebelles, résistants, Eyadou et Fadimata se considèrent d’abord comme des musiciens. « La musique est l’arme la plus forte au monde, estime Eyadou. Tu peux être très loin, et parler à toute la planète ». À ce titre, la guitare électrique, importée par Tinariwen dans la musique touarègue, a permis de moderniser leur son, certes, mais surtout de se faire entendre encore plus loin qu’avec un simple violon acoustique ! « Quand on a introduit la guitare chez Tartit, on a eu beaucoup plus d’attention », reconnaît, un peu à contrecœur, la gardienne de la tradition Fadimata.
Se faire entendre, avant tout. Auprès du monde entier pour solliciter de l’aide, évidemment, mais aussi auprès de son propre peuple. Car « Disco » ne l’a pas oublié, c’est en écoutant Tinariwen qu’elle est devenue « révolutionnaire dans son cœur ». « Mon père était fonctionnaire, tout allait bien dans ma famille. Je croyais que tous les Touaregs du Mali étaient comme moi. Avec Tinariwen, j’ai réalisé qu’il y avait un peuple qui souffrait. Je suis alors devenue très ambitieuse, et j’ai voulu aider mon peuple ».
Depuis trente ans, la musique touarègue, circulant sous le boubou par l’intermédiaire de cassettes piratées, fait donc aussi office de média interne pour un peuple majoritairement analphabète. En voyageant, Tartit et Tinariwen peuvent aussi leur transmettre ce qu’ils découvrent à l’étranger. « La musique remplace un peu l’école », résume « Disco ». Et inversement, complète Eyadou : « les festivals de musique touarègue font découvrir aux occidentaux notre mode de vie, et peuvent rapporter beaucoup : écoles, puits, jumelages. » Ainsi, quand on leur apprend que la première occurrence du mot touareg sur Google revient à Volkswagen, plutôt que de s’offusquer, ils se réjouissent de cette publicité, avec humour : « Peut-être vont-ils sortir une voiture Tinariwen ? »
Sur notre reportage vidéo s’est glissée la musique d’un autre groupe Touareg Atri N’Assouf. Inspiré de la musique traditionnelle tamasheq, des sonorités amazigh et plus largement de la musique d’Afrique de l’Ouest, ce groupe est composé de musiciens, issus d’univers et de continents différents. Sur leur premier album AKAL sont invités Tinariwen et Tartit. Des titres d’AKAL en écoute sur le site myspace du groupe.
A lire sur Bakchich.info :
Merci pour ce joli documentaire. Cependant je me permets de souligner que la musique qu’on entends au début du Doc. est celle de ATRI N’ASSOUF, groupe de musique touareg. Il s’agit précisément de leur titre : Tamiditine, utilisé d’ailleurs pour leur promo accompagné d’un clip réalisé par Solveig Anspach. Pourquoi ne pas avoir informé le groupe ? ou au moins mentionner son nom ?
Voici la chanson et le clip : http://www.youtube.com/user/Atrinassouf#p/c/C7F01DA0D791CF12 Le blog : http://atrinassouf.over-blog.com/
Merci
pour ceux qui veulent faire un tour plus exhaustif de la musique targuie : http://www.tamasheq.net
Tinariwen et Tartit sont certes les groupes phares, mais il ne faut pas passer à coté de Terakaft, Abdallah Oumbadougou (à la base de Desert Rebel), Nabil Othmani et bcp d’autres. A noter, la forte présence de la diaspora en Europe et particulièrement en France, avec souvent des concerts sur Paris et en régions.
Concernant AREVA : lire le rapport de Greenpeace sur les mines au Niger http://www.greenpeace.org/raw/content/france/presse/dossiers-documents/abandonnes-dans-la-poussiere.pdf