« La Salle des profs », jouée dans une salle inconnue, tire sa révérence les 13 et 14 novembre.
Antoine Blondin ne franchissait le boulevard Saint Germain que pour aller à Tokyo. Bien obligé : qui voulait gagner le Japon devait alors se rendre à Orly. Le reste de ses jours il les passait, Chabrol dans son fort, cantonné à un choix, celui de tuer le temps, c’est-à-dire sa vie, obligé de trancher entre l’alcool du « Bar Bac » ou celui du « Courrier de Lyon ». Animé par l’esprit d’aventure, contrairement à Monsieur Jadis, c’est volontiers que je m’aventure dans des coins où je me demande ce que je fais… Sans doute pour observer les singes qui, en hiver, quittent la savane pour s’abriter dans les forêts de la ville ?
Que faisais-je donc dans le 11e, pas très loin du mur de ces Fédérés qu’on ne vénère pas assez ? Je sais seulement qu’il était tard et qu’il pleuvait. Rue du Chemin vert, qui n’était pour moi qu’une rue vers ailleurs, j’ai pris à droite comme si ce virage allait me faire échapper à la pluie. Paf ! Une impasse mouillée avec au bout une lumière comme celle d’un phare. C’était un petit théâtre baptisé « Le Passage vers les étoiles ». La lumière ne venait donc pas d’un amer, mais de cette voie lactée. La toiture de l’édifice étant en bon état, on y était au sec. Dans une toute petite salle commençait une pièce : « La salle des profs » ou « Les Coulisses du ciel ». Logique, le passage vers les étoiles ne passe-t-il pas par les coulisses du ciel ? Coup de chance, puisqu’on ne donnait pas une œuvre de Yasmina Reza, à laquelle je préfère le typhon Nino. Je pouvais rester et attendre le go d’eau, le top départ de la fin de la pluie.
En compagnie d’une petite cinquantaine de spectateurs qui, munis d’imperméables et de pépins n’étaient pas là pour fuir les nuages, j’ai passé un moment inattendu. Et bien cru que Pinget, Becket, Dubillard ou Billetdoux, lassés de leurs limbes, avaient un rendez-vous secret. « La Salle des Profs » est un titre nul qui cache un texte jubilatoire, étonnant, émouvant. BHL et Xavier Bertrand diraient « moderne » En parallèle, en tout cas sans dialoguer, deux personnages, un matheux et une littéraire, soliloquent sur l’infini valeur et le dérisoire de la connaissance. Sur le poids du savoir et sa légèreté. Sur les parallèles qui, contrairement à ce qui se passe dans une chanson de Brel, ne sont pas faites pour se rencontrer. Un troisième homme dont on ignore s’il est balayeur ou prof aussi, est là pour nous rappeler la matérialité, celle de l’odeur de l’encre, la poussière de la craie, l’inconfort des bancs : l’école éternelle.
Dans ce théâtre sans baignoires, je me sens Archimède ou Platon, ce qui ne m’arrive pas souvent, même les jours où il fait humide. Les mots sont savants sans être ridicules, leur enfilage est drôle, loufoque et grave. L’auteur, Christiane Renaud jusque là connue pour sa connaissance du grec et ses livres érudits, et aussi quelques romans, a eu raison de sortir de ses dictionnaires pour mettre du désordre dans tous ces mots trop sages. Les trois acteurs, Boris Van Overtveldt, Simon Gourfink et Anna Durand sont bons, et l’actrice accomplit une seconde performance, minimaliste, en réglant une mise en scène astucieuse, sans espace et sans moyens. Maintenant si vous voyez un type traîner sans pébroque dans le 11e les jours de pluie, c’est moi.
« La Salle des profs », théâtre « Le Passage des étoiles », 17 cité Joly Paris 11e, les jeudi 13 et vendredi 14 novembre.