L’Intérieur multiplie les séances de formation sur les kits salivaires de dépistage des produits stupéfiants. Bakchich révèle quelques couacs.
C’est à grand renfort de publicité et de com’ que l’Intérieur avait, à l’été 2008, présenté un nouveau décret [1], modifiant le code de la route, introduisant des « épreuves de dépistage salivaire », et renforçant le délit de « conduite après usage de stupéfiants » [NDLR :cannabis, amphétamines, cocaïne, morphine], créé par la loi du 3 février 2003 [2].
En théorie, hors cas expressément prévus par la loi d’accidents mortel ou corporel de la circulation, dans toutes les autres situations (accident matériel, simple contrôle routier, etc.), le recours au dépistage salivaire est laissé à l’appréciation de ces gentils agents qui ornent nos autoroutes et routes. C’est-à-dire à leur discernement – et chaque automobiliste a pu, un jour ou l’autre, être « régalé » par le bon sens d’un policier moyen.
C’est pour pallier les contraintes du dépistage urinaire et, surtout, son coût économique (le budget des réquisitions judiciaires de médecins ou de laboratoires explose) que les pontes de la maison Poulaga ont décidé de mettre en place un dépistage simplifié à partir de la salive des conducteurs.
C’est ainsi que trois kits salivaires ont été en compétition, sous la forme d’un marché public. Le choix de celui utilisé par nos joyeuses forces de l’ordre s’est fait après deux ans d’étude en laboratoire et s’est porté sur RAPIDSTAT, « produit d’une collaboration de sociétés allemande, américaine et française ».
Seulement voilà, au-delà de l’attention à porter aux dates de péremption des tests RAPIDSTAT – dont la durée de vie n’excède pas 18 à 24 moins –, leur utilisation n’est pas si fiable qu’annoncée, et même, en interne, elle est largement commentée lors des séances de formation…
Quelques couacs ont ainsi été relevés ici et là. Un officier de police en poste en Seine Saint-Denis nous a ainsi confié qu’il est « délicat et difficile de préciser, sur un procès-verbal, les éléments qui nous ont conduit à recourir au test salivaire et pas urinaire. Par exemple, on invoque le respect des contraintes de temps, un délai prévisible d’attente excessif du médecin, l’éloignement des structures de soins ou de nos propres locaux, etc. Mais tout cela est très subjectif. Et, même, comment peut-on dire que ces éléments d’appréciation sont valables de jour comme de nuit ? Parfois, il faut à peine cinq minutes pour regagner le commissariat, et, souvent, en pleine nuit, les urgences de l’hôpital intercommunal sont désertes… ».
Mieux : « contrairement à la conduite sous l’influence de l’alcool, la législation portant sur la conduite après usage de stupéfiants ne comporte pas de seuil minima. Il nous suffit d’apporter la preuve que l’automobiliste a fait usage de stupéfiants, par exemple de cannabis, quelle qu’en soit la quantité, pour qu’il puisse être poursuivi. L’odeur, dans l’habitacle du véhicule, est souvent un bon indice. ».
Pourtant, nous explique ce magistrat au parquet de Bobigny, « en dehors d’opérations ciblées pour lesquelles les magistrats des parquets doivent être sollicités, les dépistages systématiques sont à utiliser avec discernement. Voir à proscrire. Le procureur de la République de Bobigny a été, par le passé, suffisamment explicite là-dessus : il n’existe pas de réquisition permanente des forces de police qui les autoriserait à systèmatiquement opérer à un dépistage salivaire lors de contrôles routiers. » Fermez le ban.
Pour l’année 2008, 52 000 kits de dépistage salivaire ont été ainsi commandés et financés par la Direction de l’administration de la police nationale (DAPN). Ainsi, sur les 40 000 kits prévus pour la police nationale, près de la moitié sont déjà arrivés dans les commissariats de dix-huit départements de France. Que les automobilistes de la province profonde se rassurent, des kits supplémentaires seront prochainement distribués.
Pourtant, d’après un gradé « référent désigné » par sa direction et tout juste sorti d’un stage de formation sur le sujet, les problèmes rencontrés sur le terrain sont nombreux : « Le test RAPIDSTAT doit être stocké à une température entre 2° et 30°C et il faut prendre le soin de le ramener à température minimum de 15° C avant son utilisation. Je ne suis pas sûr que les collègues, l’été, au bord des routes, vont s’emmerder avec ça. »
Haussant les épaules, le policier égrène ensuite une longue liste de précautions : « Le temps d’exécution du prélèvement et du dépistage ne doit pas excéder 15 minutes […] La température d’incubation doit être la température ambiante […] La lecture du test salivaire doit être facilement interprétable [ …] Le prélèvement doit être sans danger pour l’automobiliste soumis au test et pour le collègue qui le réalise. Même si le prélèvement est à usage unique, les collègues n’aiment pas trop ça, être en contact avec d’éventuelles maladies, on voit de ces trucs, des fois ».
Et ce n’est pas tout, d’après un commissaire affecté en Sécurité publique : « Il arrive que le volume de salive nécessaire au dépistage salivaire ne soit pas suffisant lorsque l’automobiliste est sous l’emprise de l’alcool ou de médicaments, il a alors la bouche sèche… Donc, afin d’augmenter la salivation de l’automobiliste, on frotte sur le manche collecteur aromatisé pendant 4 secondes et ainsi activer l’odeur. On essaie d’être pégagogique : on explique à l’automobiliste qu’il n’a pas assez de salive. On lui demande de placer l’éponge collectrice entre la face interne de sa joue et sa gencive. On collecte sa salive pendant 30 secondes chaque côté de la bouche, en faisant gaffe à ce qu’il ne mâche ni suce l’éponge ».
Plus technique, et plus préoccupant : "Je vous passe les détails techniques mais, dû à l’analyse immuno-enzymatique, l’anticorps pour la famille des morphiniques n’est pas spécifique… ça veut tout simplement dire que le résultat du test salivaire peut être positif si vous êtes sous médication à base de codéine. Donc on fait gaffe, si la lecture est sujette à caution, on laisse filer". Autrement dit, peu de chance pour que vous vous retrouviez au ballon pour usage abusif de sirop antitussif. Mais sait on jamais, un peu de zèle, parfois…
Ultime recommandation faite aux policiers, comme un clin d’oeil au racolage passif, « vérifier que l’automobiliste à dépister n’a rien en bouche depuis au moins 10 minutes ». Une précaution précieuse pour les policiers affectés en « zones boisées ».
Article L 235-2 du code de la route : « Les officiers ou agents de police judiciaire font procéder, sur le conducteur ou l’accompagnateur de l’élève conducteur impliqué dans un accident mortel de la circulation, à des épreuves de dépistage en vue d’établir si cette personne conduisait en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants.
Il en est de même si la personne est impliquée dans un accident de la circulation ayant occasionnée un dommage corporel, lorsqu’il existe à son encontre une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a fait usage de stupéfiants.
Les officiers ou agents de police judiciaire peuvent également faire procéder à ces mêmes épreuves sur tout conducteur ou tout accompagnateur d’élève conducteur, soit qui est impliqué dans un accident quelconque de la circulation, soit qui est l’auteur présumé de l’une des infractions au présent code punies de la peine de suspension du permis de conduire, ou relatives à la vitesse des véhicules ou au port de la ceinture de sécurité ou du casque, soit à l’encontre duquel il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a fait usage de stupéfiants.
Si ces épreuves de dépistage se révèlent positives ou lorsque le conducteur refuse ou est dans l’impossibilité de les subir, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder à des vérifications consistant en des analyses ou examens médicaux, cliniques ou biologiques, en vue d’établir si la personne conduisant en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ».
Lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] Décret 2008-754 du 30 juillet 2008 - Arrêté ministériel du 24 juillet 2008 modifiant l’arrêté du 5 septembre 2001
[2] Loi n°2003-87 du 3 février 2003
Forcément si les parents attendent que leur boulot soit fait par des flics, on arrivera à rien.
La prévention ne se fait pas au bord d’une nationale avec un test salivaire. ça c’est de la répression et il en faut aussi.
La prévention commence chez vous ! Moi mes parents me dépistaient au laboratoire. Aujourd’hui, je fais pareil sauf que c’est plus simple. Je les teste à la maison 8 à 10 fois par an. Et je peux vous dire que ça les tient bien éloignés du problème, ce qui était le but de la manœuvre.
Les tests utilisés par les forces de l’ordre sont plutôt compliqués à utiliser. Toutes ces formations à leur utilisation ne m’étonnent pas.
Quand on pense que des particuliers comme vous et moi pouvons acheter des tests salivaires qui se pratiquent en quelques secondes seulement et qui sont 3x plus sensibles que ceux de la police, on se demande vraiment comment se font les achats publics.
Personnellement, je suis pour le dépistage au volant, mais encore faut-il utiliser des tests qui marchent.