Un récit de l’extravagante et pathétique soirée où une cinquantaine de "people", patrons, sportifs célèbrent l’accession à l’Elysée de leur ami Sarkozy
Les salons avaient été réservés, pour préserver le secret, pour un « prince arabe ». Mais c’est la smala dorée sur tranche de Nicolas Sarkozy qui y a passé la soirée en ce 6 mai 2007, date de sa victoire à la présidence de la République. L’événement fait l’objet d’un récit, « La Nuit du Fouquet’s » (Ed. Fayard), sous forme d’un petit livre à prix équivalent, signé des journalistes Ariane Chemin (Le Monde) et Judith Perrignon (ex-Libération). Elles narrent ce qu’elles appellent « la scène primitive du sarkozysme », cette fête « bling-bling » pendant laquelle ses meilleurs amis ont célébré le sacre de Sarko Ier dans le restaurant symbole des Champs Elysées. Trempée dans le fiel, la plume alerte des deux journalistes peut tuer. Laurence Parisot, la patronne du Medef, peut-elle s’en relever – elle que Sarkozy, racontent les auteurs, traite de « conne » ? La prochaine fois que ces deux-là se croiseront, on a envie d’être là… On aurait aimé surprendre d’autres conversations : Hugues Gall, ex-directeur de l’Opéra, avec Bernard Laporte ? Christine Albanel, agrégée et future ministre, avec Basile Boli ? Et voilà Johnny, qui picole en dégustant ces « émulsions, mousses et gambas » qui ne nourrissent pas son homme, et que les journalistes croquent, tanguant, seul, sous les effets de l’alcool. Laeticia, la moitié de Johnny ? « Elle a l’air d’une petite épouse parfaite et lisse, sortie d’une cabine de maquillage, prête à blanchir toute la noirceur de Johnny ». Touché !
Au cœur du triangle d’or de Paris, Sarkozy fête sa victoire entouré des puissants financiers qui font jour après jour le CAC 40, de vedettes du show-biz, de quelques amuseurs de la télé, de sportifs ou ex-champions reconvertis. Le gâteau est décoré d’un arc de triomphe bleu blanc rouge, comme le drapeau ; pourtant les élus et hommes politiques conviés se comptent sur les doigts d’une main. C’est un signe. Le suffrage universel, valeur en baisse. Raffarin, le couple Balkany, Karoutchi, et quand même François Fillon, l’élu de la Sarthe qui a fait campagne aux côtés de Sarkozy, futur Premier ministre. Madame Fillon prend à part Nicolas Beytout (alors patron du Figaro, nommé lundi 19 novembre à la tête du pôle médias de LVMH où il coiffera Les Echos) pour lui confier ce qu’au Mans on lui a raconté : « La dernière fois qu’un élu de la Sarthe a été nommé au gouvernement, c’était Joseph Caillaux. Sa femme Henriette a tiré sur Calmette ». Gaston Calmette était, ce fameux jour de mars 1914, le patron du Figaro, qui avait le ministre des Finances du gouvernement Doumergue dans sa ligne de mire. C’était l’affaire Caillaux. Un crime prémédité que la justice a traité comme un drame passionnel.
La passion, grande absente de la soirée… Invisible, Cécilia finit par arriver à pas d’heure, elle qui avait organisé la fête une semaine auparavant. « Qu’elle ce qu’elle fout là », grogne un officier de sécurité. Plus personne ne l’attendait. Elle a essuyé son rimmel qui coulait sur le pashmina blanc d’Isabelle Balkany, qui n’a sûrement pas protesté. Ca va lui coûter cher en pressing.
Formidable reportage que cette reconstitution, qu’il ne faut pas oublier de lire en creux. Pourquoi Arnaud Lagardère – son frère, disait-il – n’est pas là ? Pourquoi Franz-Olivier Giesbert, le patron du Point, n’a pas été invité ? Et où sont les piliers de toujours, Brice Hortefeux, Patrick Devedjian, bannis par le Prince… ou la Princesse ? Les absents parlent, en cette première soirée du quinquennat. Le livre manque cependant d’une enquête : Sarkozy est-il redevable pour quelques mystérieuses raisons aux stars de la soirée, les Patrick Kron, Bernard Arnault, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Antoine Bernheim ? Quels sont les renvois d’ascenseur, opérations financières, OPA, meccanos industriels, en cours ou programmés, dont ces capitaines d’industrie pourraient profiter ? L’avenir du sarkozysme le dira peut-être.
Ariane Chemin et Judith Perrignon, « La nuit du Fouquet’s », Fayard.
Ce petit livre, qui semble avoir été quelque peu ignoré par la critique mais pas par les lecteurs, m’a bien plu. Que soit planifiée une fête cossue n’est pas surprenant mais qu’elle ait lieu avant d’aller rejoindre ses électeurs…
Effectivement, une soirée pathétique tout comme les vacances américaines qui ont suivies et dont nous nous sommes retrouvés témoins malgré qu’elles ne devaient pas faire l’événement.