L’affaire traîne depuis 2001. Un magistrat membre du Syndicat de la magistrature et substitut du procureur de la République à Versailles a eu le tort d’écrire une phrase publiée dans un livre, « Vos papiers ! Que faire face à la police ? » (Ed. l’Esprit frappeur) et jugée diffamatoire par le ministère de l’Intérieur. Dirigé à l’époque par Daniel Vaillant, le ministère porte plainte. En juin dernier, le magistrat a gagné en Cassation. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Il n’est pas bon d’être flic aujourd’hui en France, ô que non. Pas tant à cause de la mauvaise image que beaucoup de Français ont du métier, que de celle, vraiment infâme, que certains magistrats tentent de véhiculer.
En 2001, le Syndicat de la magistrature (SM) ne s’est pas gêné pour jeter l’opprobre sur les policiers. Dans un livre publié à l’Esprit frappeur, Vos papiers ! Que faire face à la police ?, Clément Schouler, magistrat et à l’époque vice-président du SM, accuse les flics de ne pas toujours exercer leur métier dans le respect des lois.
Pas de doute, le sadique homme cherche l’embrouille, tout comme l’organisation syndicale à laquelle il est affilié et qui le soutient mordicus. Il suffit de lire cette phrase, dénichée en introduction du livre, pour s’en convaincre : « Les contrôles d’identité au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient ». Et l’embrouille, il la trouve.
Peut-être à cause du contexte. 2001, on s’en souvient, est une année particulièrement chargée en manifestations, attentas, crimes, et autres atteintes à la sécurité intérieure. D’abord, il y eut Gênes, en juillet, un mort, et une trentaine de flics mis en cause. Puis le 11 septembre… En octobre, ce sont deux policiers qui sont tués au Plessis-Trévise (Val-de-Marne), et les manifestations qui s’en suivent. Cette année-là, la sainte sécurité était menacée de toutes parts. Alors forcément, critiquer ouvertement la police en cette période mouvementée ne pouvait pas ne pas avoir d’incidences judiciaires immédiates…
Clément Schouler est donc poursuivi en justice, à cause de sa phrase, dénichée en introduction du livre, jugée diffamatoire par le ministère de l’Intérieur – dirigé à l’époque par Daniel Vaillant. Comme le dessinateur auteur de la couverture caricaturale, et l’éditeur, Schouler perd le procès en Appel, pour diffamation envers la police nationale, sur le fondement de l’article 30 de la loi relative à la liberté de la presse, du 29 juillet 1881. Mais, contrairement à ses deux acolytes, le magistrat ne compte pas en rester là. Il porte le procès en Cassation. Et, la nouvelle tombe le 17 juin dernier, l’emporte, au motif qu’en « subordonnant le sérieux de l’enquête à la preuve de la vérité des faits, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Ah, elle est belle démocratie française ! Un magistrat mal-intentionné critiquant les méthodes des services de l’État qui gagne face à l’État lui-même … !
Bref, bref… Bien que satisfait de la nouvelle, le Syndicat de la Magistrature s’insurge contre ces types de procès : « De telles procédures ont pour conséquence de porter atteinte à la liberté de l’information et de l’expression. Et dans le cas présent, c’est aussi notre liberté de parole syndicale qui est en cause », indique à Bakchich la secrétaire générale du syndicat Hélène Franco. Et un communiqué du SM publié sur leur site Internet précise que « le livre est actuellement le seul texte complet sur le régime juridique des contrôles d’identité à l’usage de tous et évoque à maintes reprises la jurisprudence de la Cour de cassation sanctionnant les contrôles d’identité discriminatoires. Cet ouvrage n’est donc que l’expression du devoir d’information qui s’impose à tous les magistrats dont la mission constitutionnelle est la sauvegarde des libertés individuelles ».
Par ailleurs, l’assertion du livre – qui n’est donc pas brut de décoffrage –, est confirmée et reconfirmée par la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS), qui a pu, depuis 2001, pointer les dysfonctionnements de certains contrôles d’identité. Comme on peut le lire dans le document ci-dessous.
La bataille remportée, la guerre n’est pas pour autant gagnée. Après sept ans de procès, Clément Schouler, épuisé, n’en a pas fini avec la justice. La décision de la Cour de Cassation casse certes celle de la Cour d’Appel, mais ne règle pas définitivement l’affaire, renvoyée illico en Appel. Après l’Appel, le pourvoi en Cassation est possible. L’histoire pourrait très bien conduire ses protagonistes jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme…
… Avec l’avantage que l’Européenne trancherait certainement en faveur du magistrat, celle-ci étant beaucoup plus attachée à la liberté d’expression que son homologue française. Le député vert Noël Mamère, est l’un de ceux qui a eu l’occasion de le constater. Dans son procès contre M. Pellerin, directeur du Service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI), la Cour de Strasbourg lui a donné raison, en novembre 2006 : « La condamnation de M. Mamère pour complicité de diffamation d’un fonctionnaire constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression garantie par la loi relative à la liberté de la presse du 29 juillet 1881 ».
L’affaire Clément Schouler rappelle celle, plus récente (2002) et également toujours en cours, du groupe de rap La Rumeur. Comme notre magistrat, Hamé, membre de La Rumeur, est accusé de diffamation publique envers la police nationale, par le ministère de l’Intérieur (alors dirigé par Nicolas Sarkozy). En cause, trois phrases extraites d’un article publié dans le journal du groupe de rap. Relaxé à deux reprises, Hamé se retrouve, le 3 juin dernier, à la Cour d’Appel de Versailles. Verdict le 23 septembre prochain.
Conclusion, en matière de liberté d’expression, l’État français a encore un peu de chemin à faire.
Pour lire le point du vue du syndicat des journalistes CFTC sur l’affaire, cliquez ici (Rubrique « Actualité »).
Pour se faire une idée du controle au faciès, errer dans la gare RER/Metro de la défense me semble intéressant et suffisant.
Rien que l’idée même du procès pour un motif si futile me semble contraire à la séparation des pouvoirs qui est un fondement de la démocratie et la racine de l’état de droit.
Cela n’est surement pas sans heurs, ni sans dérives mais les dérives contraires me semblent bien plus dangereuses.
Il me semble malheureusement que l’on soit dans des temps où les frontières se troublent et où l’arbitraire des politiques veut l’emporter.
( et pourquoi pas une unité nationale autour de la guerre en afghanistan tant que l’on y est ? à la facon des bushistes ou du big brother de 1984 )
En réalité, la cour d’appel s’était mélangée les pinceaux. Elle a confondu l’exceptio veritatis (l’accusé est relaxé s’il a pu prouvé la réalité des faits diffamatoires) avec l’exception de bonne foi. Celle-ci suppose la réunion de plusieurs éléments : la poursuite d’un but légitime, l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’expression et l’objectivité (le sérieux de l’enquête appréciée différemment selon le genre de l’écrit). Mais il est vrai qu’il est peut être tentant, et plus facile pour un juge, de fonder le sérieux de l’enquête sur la véracité des faits. Le sérieux de l’enquête est du ressort des moyens employés par l’auteur pour affirmer les faits de "contrôle au faciès" et non pas de leur résultat (la réalité des faits). la cour a du penser que le caractère sérieux de l’enquête pouvait être déduits des seuls faits établis.
La cour d’appel de renvoi devra donc se pencher à nouveau sur le dernier élément de l’exception de bonne foi, le caractère objectif, ou sérieux de l’enquête. On n’est pas sorti de l’auberge.