L’homme serait devenu une force géophysique capable de modifier les plus grands équilibres de la vie. Mais chaque époque pense le présent avec les mots du passé.
Comme parabole de la crise écologique, difficile de trouver mieux. Mais commençons par présenter les lieux. Soit un îlot inhabité apparu dans la baie du Bengale à la suite de l’incroyable cyclone de 1970. Pour les Indiens, l’îlot s’est aussitôt appelé Purbasha. Mais pour les voisins du Bangladesh, South Talpatti.
Il faut préciser que ce bout de terre de 3,5 km de long à marée basse a constamment été disputé. Pardi ! il fallait bien savoir à qui appartenait ce tas de boue instable. La guerre ayant été évitée de justesse, l’armée indienne, triomphante, a fini par débarquer – provisoirement – en 1981, pour y planter un drapeau. Lequel n’a pas dû tenir bien longtemps, compte tenu des pluies de mousson, des vents et des typhons qui agitent les eaux de la région. Et le temps a passé.
L’île déserte l’est restée jusqu’à ces derniers jours, avant de disparaître, purement et simplement. Les vagues et l’érosion ont fini par venir à bout du limon, et des images satellitaires, confirmées par des témoignages de pêcheurs, montrent sans détour que l’eau a gagné la partie.
Reste à comprendre ce qui s’est passé. Pour les chercheurs du Centre d’études océanographiques de l’université Jadavpur de Kolkata (Calcutta), la cause est entendue : l’île a été la victime du dérèglement climatique. Lequel fait monter le niveau des mers par dilatation de l’eau et fonte des glaces terrestres. Où l’on voit que la brutalité extrême de phénomènes physiques, géologiques et écologiques ramène à leurs ridicules proportions un grand nombre d’affaires humaines.
On le sait peut-être, le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen a popularisé un néologisme de belle facture. Selon lui et quelques autres, l’humanité aurait quitté sans s’en rendre compte l’ère holocène, apparue il y a 10 000 ans, pour entrer dans l’ère anthropocène. Anthrôpos, rappelons-le, c’est l’homme, qui serait donc devenu une force géophysique capable de modifier les plus grands équilibres de la vie.
Confrontée à cette révolution radicale, la pensée trébuche et, le plus souvent, hoquette et radote. C’est d’ailleurs la règle. Chaque époque pense le présent avec les mots du passé. Voyez le cas tragicomique de la ligne Maginot, où nos soldats montent peut-être encore la garde. Voyez la manière dont tous nos politiques cherchent les moyens de relancer une croissance sans fin, celle qui nous a menés à l’anthropocène.
L’Inde continue donc à engloutir non des îles, mais de précieuses ressources, pour se colleter avec le voisin honni, le Pakistan. Et le Bangladesh, pays plat comme la main, au niveau de la mer, devra trouver un espace inexistant pour des millions de réfugiés climatiques. La solution ? On cherche.