Monsieur Claude (Guéant) et les Al Saoud

D’un avion à l’autre, d’une capitale à l’autre, Claude Guéant parcourt le monde et cumule des miles. Son job ? En bon mécano de l’ombre, mettre un peu d’huile dans la politique de rupture du bolide Sarko menée au pas de course sur les routes de l’Orient compliqué. Sur fond de crise libanaise liée à l’élection d’un futur Président, l’homme à la burette n’a pas chômé en ce début novembre : le Secrétaire général de l’Elysée est ainsi passé à Damas, le 4, pour y rencontrer Bachar Al-Assad, dans la foulée de la rencontre entre Kouchner et son homologue syrien à Istanbul. Il est revenu à Paris, ville hôte quelques jours plus tôt du dialogue, encouragé par la France, entre les leaders des deux camps qui s’opposent. Il est repassé à Beyrouth le 9 novembre, en amont d’une nouvelle visite de Kouchner, pour pousser vers le consensus recherché, quitte voir encore la date des élections repoussées.

L’Élysée s’active – attention, message ! – et veut peser sur le dossier libanais. Du coup, on ne s’en cache pas et les communicants de la présidence ont très volontiers annoncé l’ensemble de ces déplacements. Sauf un. Une escapade en catimini de Claude Guéant à Rome, qui se voulait discrète. C’était sans compter sur les paparazzis du roi d’Arabie Saoudite, qui l’ont pris en flag’ de salamaleks appuyés. Publiée par le quotidien saoudien Al Watan, une photo datée du 7 novembre montre l’ami Guéant en compagnie du Roi Abdallah, et de son ministre des Affaires étrangères, le Prince Saoud Al-Fayçal, dans leur lieu de résidence à Rome, au cours d’une visite historique au Vatican.

Pourquoi tant de précipitation à lui « remettre un message du Président Sarkozy », comme l’indique laconiquement la légende de la photo d’Al Watan, jusqu’à le rattraper à Rome ? Lors de sa visite à Riyad le 27 octobre, le ministre français de la Défense, Hervé Morin, s’était déjà fait le messager d’un Sarko décidément très allant avec le souverain saoudien. Guéant y était lui aussi passé quelques jours plus tôt. C’est vrai qu’approche la visite de Sarko en Arabie Saoudite, prévue pour janvier, précédées de celles de MAM et de Kouchner.

En réalité, les industriels français de la défense sont sur les dents, et un geste généreux du souverain pour dynamiser l’économie française serait apprécié… Aussi, faut-il éliminer les grains de sable qui parasitent ces belles perspectives. Premier sujet qui fâche Sa majesté Al Saoud : le rapprochement de la France avec la Syrie. Nécessaire vu de Paris pour contraindre Damas à ne plus s’ingérer dans les affaires libanaises, il peut risquer de conforter le régime de Bachar Al-Assad, allié de l’Iran, et ouvrir la voie à sa réintégration comme acteur de poids dans la région. Une stratégie française qui inquiète les Saoudiens, interlocuteurs jusque-là toujours privilégiés par Chirac sur le dossier libanais. Et qui les contrarie d’autant plus qu’elle rejoint la ligne pro-syrienne prônée par son petit voisin du Qatar en quête d’influence, dont l’Emir est aussi le grand et généreux ami de Sarkozy.

Outre l’achat de 80 Airbus, le Qatar a joué un rôle décisif de médiation dans la libération des infirmières bulgares. La veille de l’escale de Guéant à Rome, le quotidien saoudien Al Watan se fendait d’un éditorial un brin perfide : « Avant l’annonce du divorce, Cécilia a joué un rôle central dans la libération des infirmières bulgares. Elle a été considérée comme une messagère de l’humanité (…) Le héros, cette fois, est le Président Sarkozy au Tchad. Dans les deux cas, l’ancien couple est apparu en bienfaiteurs, pour avoir sauvé des ressortissants européens », mais sur le dos des enfants libyens « exploités à des fins politiques », et du Darfour « prêts à être vendus sur le marché européen ». En clair : à trop vouloir fricoter, on peut risquer de perdre aussi des amis…